La chronique

Avez-vous rédigé vos cartes de vœux?

La vie au sein des organisations s'articule autour de nombreux micro-rituels qui façonnent l'entier de notre quotidien. A propos, avez-vous rédigé vos vœux? Vous savez, ces cartes multicolores d'un goût douteux que l'on envoie tout azimut à la planète entière pour dire qu'on existe? 

Arrêtons-nous un instant et faisons nôtre la vérité de l'ethnologue André Georges Haudricourt: «N'importe quel objet, si vous l'étudiez correctement, toute la société vient avec.» Il en va ainsi du rituel des vœux: il s'agit - sous le couvert de la banalité la plus convenue - d'un exercice qui n'est extraordinairement pas banal. Nous savons, n'est-ce pas, où le diable aime à se cacher et c'est un plaisir que de le traquer dans l'infinitésimal de notre réalité. Tentons l'expérience. 

Carte de vœux, de visite, d'identité

Envoyer sa carte de vœux revient, à peu de choses près, à envoyer sa carte de visite, donc sa carte d'identité. Il est donc autant question de stratégie de présentation de soi que de «bonheur», de «santé» ou encore de «longue vie». «Montre-moi tes vœux et je te dirai qui tu es», pourrions-nous résumer. 

Tout y est culturellement codifié dans ce mouvement qui apparaît si naturel: le papier d'abord (avec ou sans filigrane, sans oublier le grammage, voire le gaufrage), le format de la carte ensuite, la couleur de l'encre (bleu royal, noir funèbre, ocre distingué), son odeur (si, si), l'enveloppe (cachetée ou non), parfois même le timbre, sans omettre - c'est une évidence - le message (pré imprimé ou manuscrit) ainsi que le crucial choix du destinataire. Les citations, en exergue, restent toujours intéressantes à analyser: Lao-Tseu, Bouddha, Aristote... sont aux vœux ce que les plumes sont aux paons: des marqueurs culturels destinés à montrer que l'émetteur, ma foi, «à de belles lettres». 

Des stratégies de communication multiples

Il est vrai que tous ces détails participent au vaste rituel du savoir-vivre ensemble: ils visent à séduire, à convaincre, à rapprocher, à relier, à confirmer, à rassurer, à rappeler au bon souvenir. 

Mais il convient de s'en méfier: ces signes sont aussi de véritables stratégies de communication de soi ou de qui l'on voudrait être. C'est qu'à travers le jeu distingué des vœux, c'est finalement nous-même, à notre insu, que l'on raconte. 

C'est ainsi que certains se complaisent dans l'élégance (une carte blanche et pure), d'autres dans le baroque (un mobile digne de Calder), ou dans le high tech-high touch (la carte de vœux vocale) ou d'autres enfin dans le politiquement correct («pas de vœux onéreux cette année, mais nous soutenons une école au Burkina Faso»). Le mauvais goût est également très prisé: qui n'a pas reçu la célèbre enveloppe bleue marine avec son adresse écrite à la main - au feutre argenté - avec à l'intérieur d'horribles bonbons menthes saccharinés? Je vous fais grâce des insoutenables e-cartes de vœux impersonnelles qui polluent nos boîtes email et qui rappellent le début de la publicité.  

Les cartes que l'on reçoit

Mais s'il y a les vœux que l'on envoie, il y a les vœux que l'on reçoit. Recevoir les vœux de tel Président de Conseil d'administration, d'Ambassadeur renommé, de personnalité médiatique en vue, de Conseiller fédéral, de Professeur... ou que sais-je encore (chacun ses fantasmes)..., c'est déjà, en quelque sorte, faire partie du corps des élus. En effet, c'est le signe honorifique que l'on est admis dans le cercle privilégié du pouvoir. 

Avez-vous d'ailleurs remarqué, ô combien les heureux récipiendaires de ces cartes de vœux les conservent sur leurs bureaux, exposées largement à la vue de tout un chacun, comme des chasseurs exposent leurs trophées? 

C'est que la carte de vœux devient alors un certificat de bonne appartenance sociale, un passeport identitaire attestant de notre position dans le champ des rapports de pouvoir structurant la réalité. 

Alors... bonne année 2009 à tous!!! 

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Stéphane Haefliger est psychosociologue de formation, membre de direction du cabinet Vicario Consulting et chargé de cours régulier dans les universités romandes. Il est également l’auteur de: DRH et Manager, levez-vous! Vie et mort des organisations, Editions EMS, Paris, 2017.

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