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Cadres supérieurs sous présomption de culpabilité

Depuis deux décennies, les politiques RH se sont renforcées pour lutter contre le mobbing. Ces dispositifs ont permis de briser un tabou: reconnaître que certains cadres, forts de leur pouvoir hiérarchique, pouvaient abuser de leur position et fragiliser les collaborateurs.

Formations, chartes éthiques, cellules d'écoute, audits sociaux, plateformes anonymes de lancement d'alerte... Les outils se sont multipliés, avec un objectif: protéger le salarié, considéré comme la partie faible de la relation. Ce mouvement a eu des effets bénéfiques indéniables: réduction des abus, meilleure sensibilisation aux risques psychosociaux, légitimation de la parole des victimes et responsabilisation accrue des managers. Dans nos organisations hiérarchisées, ce progrès représente une avancée majeure de la culture managériale.

Mais qui protège les cadres supérieurs?

Cependant, cette protection asymétrique a un revers dramatique. Les cadres peuvent être victimes de comportements de mobbing venant de leurs collaborateurs: contestation systématique, rumeurs, dénigrement, stratégies d'obstruction, voire instrumentalisation des dispositifs censés protéger les plus faibles. Dans un contexte de forte pression économique, certains salariés en difficulté cherchent à reporter la responsabilité sur leur hiérarchie. Dès qu'un audit est déclenché, les managers sont dans une position d'extrême fra-gilité. Le dogme implicite «le manager a tort, le salarié a raison» s'impose alors. Car le pouvoir formel du cadre de diriger, d'évaluer et de décider, le désigne comme suspect par principe. Cette présomption de culpabilité fragilise douloureusement les cadres supérieurs, qui se retrouvent privés de moyens de défense. Pour la direction générale et les DRH, le licenciement apparaît alors comme la seule issue pour écarter le cadre et tenter d'apaiser les esprits, voire rétablir un semblant de calme social, au détriment de toute autre considération. De nombreux cadres supérieurs vivent désormais sous cette menace diffuse. Par crainte d'être accusés, ils adoptent des comportements défensifs: entretiens individuels portes toujours ouvertes, prudence extrême dans leurs feedbacks, réticence à exiger des efforts ou à sanctionner des contre-performances. Cette peur permanente mine leur autorité et affaiblit la fonction managériale elle-même.

Restaurer l'équilibre de tous les acteurs

Protéger les salariés du mobbing est un impératif, mais cela ne doit pas se traduire par une fragilisation systématique des cadres supérieurs. Le management n'est pas seulement un rapport de force; c'est aussi une fonction d'équilibre, qui implique de fixer des objectifs, d'évaluer la per-formance, de gérer des tensions. Certes exercer l'autorité peut créer des conflits, sans pour autant relever du harcèlement. Confondre les deux, c'est risquer de délégitimer la fonction managériale elle-même. Les DRH ont ici un rôle déterminant:

  • Développer des dispositifs capables de distinguer l'exigence de l'abusif.
  • Assurer leur rôle de RH en aidant leurs cadres à exercer leur autorité de manière juste et équi-librée, plutôt qu'en les réduisant à des figures de soupçon permanent.
  • Garantir le contradictoire dans les audits et enquêtes internes, afin que la parole des cadres supérieurs ait la même valeur que celle des salariés et garantir une équité de traitement de la part des psychologues et autres intervenants chargés de ces investigations.
  • Accompagner les cadres supérieurs dans la prévention des risques psychosociaux, non pas seulement comme «suspects potentiels», mais aussi comme acteurs exposés à des pressions multiples.

Reconnaître que les cadres supérieurs peuvent parfois être victimes ne diminue en rien la souffrance des salariés. Cela étend au contraire le périmètre de la protection à tous les acteurs de l'entreprise. Car toute organisation cohérente repose sur un équilibre entre droits et devoirs. 

Certes, il faut protéger les salariés contre le mob-bing. Mais il est tout aussi essentiel de protéger les cadres supérieurs contre des accusations ins-trumentalisées. Cet équilibre entre autorité et respect mutuel est indispensable pour garantir un management responsable, qui ne soit pas condamné d'avance.

Une question de gouvernance

Une entreprise qui ne protège que les uns au détriment des autres fragilise ses fondations mêmes. Dans un monde où la défiance menace les organisations de l'intérieur, la véritable maturité consiste à bâtir des systèmes justes, capables de protéger sans opposer, de responsabiliser sans fragiliser. Cest à ce prix que les entreprises pourront garantir ce qui fonde une gouvernance solide: la clarté des règles, l'équité de traitement et la capacité à arbitrer sans biais.

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Romain Chevalot s’appuie sur 20 ans d’expérience en Ressources Humaines et dans l’accompagnement de cadres dirigeants. Fort de ses responsabilités au sein de comités exécutifs, il a développé une perspective unique sur l’analyse des organisations et leurs dynamiques. Diplômé de l’IMD et formé au coaching de cadres dirigeants, il partage aujourd’hui sa vision à travers des missions de conseil et d’accompagnement. 

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BR

Depuis plus de 25 ans, Bernard Radon a collaboré avec plus de 600 cadres dirigeants, construisant une expertise solide dans les domaines du leadership et du management. Auteur reconnu et observateur des luttes de pouvoir au sein des organisations, il propose une réflexion pragmatique et des outils innovants. Son travail met en lumière des perspectives stratégiques, offrant une approche singulière pour ceux qui cherchent à naviguer dans les complexités organisationnelles.

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