GRH sans DRH

Ces grandes PME qui n’ont pas encore de responsable RH

Le cas de Hewlett Packard est entré dans les manuels de management: la firme américaine avait tenté de développer ses affaires sans directeur des ressources humaines. Si HP en est revenu depuis, de nombreuses sociétés en Suisse romande tentent de s’en sortir sans fonction RH.

Les témoignages seront rares, on vous avertit d’entrée. Les sociétés de taille moyenne qui ont décidé de ne pas se doter d’une fonction RH ne se pressent pas au portillon pour partager leur expérience. A Fribourg, l’entreprise Villars Maîtres Chocolatiers SA était dans cette situation jusqu’en 2012. Avec plus de 140 employés. La direction de l’entreprise n’a pas souhaité donner de commentaires. «Nous avons engagé une responsable RH à temps partiel depuis lors. Et le timing actuel n’est pas idéal. Nous n’avons pas suffisamment de recul pour participer à votre article», regrette la directrice du marketing du chocolatier Anne-Sophie Trancart.

Auteur d’une des seules études sur l’outsourcing RH en Suisse romande*, Frédéric Favre, actuellement directeur RH adjoint chez Migros Valais, a rencontré de nombreux patrons dans le cadre de son étude (il a également créé HRplus, une Sàrl active dans le conseil RH pour PME). Selon lui, «ce ne sont pas les casse-tête RH qui leur manquent. Mais quand on évoque le coût de la prestation, ils sont soudain beaucoup plus réservés. Ils préfèrent engager un ou une employé de commerce pour réaliser ces tâches.»

Selon Frédéric Favre, le droit du travail plutôt libéral de la Suisse explique aussi cette réserve. «En cas de gros conflits qui finit devant les prud’hommes, au pire, l’employeur doit s’acquitter d’une amende de quelques milliers de francs. Ils estiment donc que le prix à payer pour un spécialiste RH n’en vaut pas la peine.»

L’autre raison qui pousse les patrons de PME à poursuivre sans responsable RH est qu’ils s’estiment tout à fait capables d’assumer ces tâches tout seuls. «La plupart des dirigeants de PME sont certains d’être très à l’écoute de leur personnel. Ils ont toujours pratiqué de la sorte, alors pourquoi changer?», constate Frédéric Favre. «Et quand arrivent les conflits ou les ruptures de contrats brutales, ils sont surpris et ne l’avaient pas vu venir...». Difficile d’estimer le nombre de PME qui sont dans cette situation. La question de l’engagement d’un responsable RH se pose en général dès 100 collaborateurs. Selon les chiffres du Secrétariat d’Etat à l’économie, la Suisse comptait en 2009 environ 3500 entreprises de 50 à 100 collaborateurs.

C’est le cas notamment du détaillant de proximité Edelweiss Market en Valais. Son directeur, Sébastien Bruchez, a accepté de témoigner. Sa société emploie aujourd’hui 70 personnes à temps partiel, soit une trentaine d’équivalents temps pleins. Il précise que cette croissance est récente. Ils étaient 5 personnes en 2008. Pourquoi n’a-t-il toujours pas de responsable RH? «La première raison est économique. Dans une structure comme la nôtre, la priorité va aux cadres de proximité et aux commerciaux. Les RH et l’administratif, je m’en occupe moi-même, avec l’aide d’un fiduciaire.»

Ses défis RH les plus contraignants sont les salaires: «Dès septante personnes, ça commence à être un peu lourd techniquement, avec les vacances et les congés maladie», confie-t-il. Quant à la gestion RH plus stratégique? «Je préfère m’en occuper moi-même. Nous sommes tous les jours sur le terrain à motiver les équipes. Dans notre secteur, les salaires sont assez bas. Nous compensons par un management de proximité et une attention portée à l’humain. Dans les grands groupes, ils ont certes des structures RH plus sécurisantes, mais ils sont plus distants des problématiques du terrain», pointe-t-il pour conclure.

* Cette étude est aussi à l’origine du Dossier HRM n° 34, L’externalisation RH: de la sous-traitance à l’outsourcing, disponible dans notre librairie en ligne sur www.hrtoday.ch

 

DRH auprès de deux PME en même temps, il livre son témoignage

Marc-André Vilette a été DRH à temps partagé pour plusieurs entreprises en France voisine. Auteur d’un Dossier HRM sur les ressources humaines en PME, il explique ici pourquoi ce modèle ne convainc pas encore tous les patrons de PME. Il donne aussi ses conseils à un jeune qui souhaiterait devenir le RH de plusieurs petites et moyennes entreprises en même temps. Interview.

Vous avez été DRH dans plusieurs entreprises simultanément. Dans quelles circonstances?

Marc-André Vilette: Oui, effectivement, j’ai été le DRH de 5 entreprises différentes. Mais je n’ai cumulé la fonction que pour deux entreprises à la fois. Je déconseille d’en faire plus. C’est important de bien s’imprégner de la culture de chaque société. Et notre temps de travail n’est pas extensible à l’infini.

Que conseillez-vous à un jeune DRH qui souhaiterait se lancer dans une telle aventure?

Il faut tout d’abord que cela soit le résultat d’un choix et non par défaut. Pourquoi? Car quand vous êtes partagé entre plusieurs entreprises, la charge de travail a tendance à augmenter. Très souvent, c’est en engageant un DRH à temps partiel que le patron se rend compte de l’utilité de la fonction RH. Et donc les demandes augmentent. En général, l’entreprise finit par engager quelqu’un à temps plein... le DRH à temps partagé en priorité.

Quelles sont les contraintes pour le DRH à temps partagé?

Il faudra avoir une bonne capacité d’adaptation. Les deux entreprises peuvent évoluer dans des secteurs très différents. Cela dit, si vous choisissez deux entreprises qui sont actives dans le même secteur, le travail sera plus rassurant, avec les mêmes conventions collectives, les mêmes concurrents et les mêmes connaissances du marché. Il faut aussi penser au temps de transport entre les différentes entreprises. Ce n’est pas anodin. Au-delà d’une certaine dis- tance, cela ne devient plus raisonnable.

Quelles conséquences pour l’entreprise qui engage un DRH à temps partagé?

Les interlocuteurs (d'abord le dirigeant, mais aussi les responsables et les autres salariés) devront s’organiser pour bénéficier des compétences du DRH quand il est là. Au lieu d’un libre service, il s'agira d'accumuler les questions. Cela permet de mûrir les réflexions et d’optimiser le temps de présence du DRH. Mais ils devront aussi accepter les contraintes liées à cette double casquette, respecter les règles convenues au début de la collaboration (même si on est joignable par mobile en cas de vraie urgence).

N’y a-t-il pas un problème de confiance si le DRH est aussi actif chez un concurrent par exemple?

Il ne faudrait pas que cela soit un concurrent direct. Mais la confiance est un enjeu de taille. La relation de confiance doit se construire ensemble. C’est d’autant plus vrai pour une fonction partagée. Et concernant les informations sensibles, je m’étonne toujours que les patrons soient si sceptiques vis-à-vis d’un DRH à temps partagé, alors qu’ils font très souvent une confiance aveugle à leur fiduciaire.

Propos recueillis par Marc Benninger

 

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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