Le consultant et le DRH croisent le fer sur les coûts cachés d’un outsourcing RH
De l’appel d’offres à la transmission de la prestation RH au fournisseur, le chemin est souvent long et semé d’embûches. Pour esquisser les enjeux les plus importants d’une procédure d’outsourcing RH, le consultant Frédéric Favre et le DRH Fabrice Courtet ont accepté de mettre à plat leurs différences et de confronter leur vision du métier. Interview croisée.
Fabrice Courtet et Frédéric Favre, St-Sulpice (canton de Vaud), octobre 2010. Photo: Pierre-Yves Massot/arkive.ch
Le premier achète des prestations RH, le second les vend. Fabrice Courtet est le DRH d’une société de distribution valaisanne DS Holding SA (1000 collaborateurs), une entreprise qui a récemment décidé d’externaliser une partie de son administration RH. En face de lui, Frédéric Favre, créateur d’une société de conseil en GRH, HRplus Sàrl, fournisseur de prestations RH. Les deux hommes ont accepté de croiser leur point de vue sur la procédure d’attribution d’un mandat d’outsourcing.
Quelles prestations RH avez-vous choisi d’externaliser? Et depuis quand?
Fabrice Courtet: Les salaires, la gestion des cas maladie et accident, la LPP et les différents documents relatifs au chômage. Cela représente la majorité des tâches administratives. La décision d’outsourcer a été prise avant mon arrivée. Le contrat a été signé en août 2009 et les prestations sont traitées à l’externe depuis le début 2010. Je suis arrivé à la fin de la transition.
Pour quelles raisons votre groupe a-t-il choisi l’outsourcing?
F. C.: La motivation était de rationaliser et de regrouper. Nous étions dans un contexte de fusion entre deux départements RH, ceux de FAIR Express Holding SA et de Distribution Suisse Holding SA à Sion. Externaliser l’administratif nous a permis de fusionner les RH à Bussigny.
Rationaliser l’organisation des RH. Est-ce un bon argument?
Frédéric Favre: Oui et non. Dans ce cas précis, il semblerait que la décision n’a pas été prise par les RH mais par le groupe, avec un objectif de rationalisation. C’est un cas d’école assez classique. Pour rationaliser, on externalise et on se débarrasse du bébé avec l’eau du bain. C’est une erreur. Et ce n’est en tout cas pas de l’outsourcing stratégique. Idéalement, on externalise uniquement ce que l’on maîtrise. Evidemment l’outsourcing doit permettre de rationaliser, mais si c’est l’unique but de l’opération, la qualité ne suivra pas. L’argument majeur est de s’associer avec des personnes très compétentes dans un domaine précis. La réduction ou la stabilisation des coûts est secondaire.
F. C.: Oui c’est juste. Si vous externalisez une prestation qui ne fonctionne pas, cela ne va pas marcher à l’externe non plus.
Prenons le cas des salaires. Le DRH doit maintenir une vue d’ensemble du processus et assurer la récolte des données. Après tout ce travail, est-ce que cela vaut la peine de laisser faire la dernière opération à un fournisseur externe?
F. C.: Au niveau du traitement des données, il faut établir un partenariat. Cela va dépendre du contrat de prestation. Chez nous, les seules données que nous devons transmettre sont les engagements et les sorties. Tout le reste part directement chez notre fournisseur. Nous gardons un droit de regard.
F. F.: Ce point est très important. Il faut analyser la situation avant la signature du contrat. Cela arrive souvent qu’un fournisseur ne réalise pas forcément dans quoi il s’engage. Car gérer les paies dans une société comme DS Holding n’est pas la même chose que dans une PME. Ce travail d’analyse permet d’éviter de rajouter des étapes inutiles, et donc de rallonger le processus. Dans certains cas, l’outsourcing n’est pas la bonne solution.
Oui, mais au moment de l’appel d’offres, le fournisseur aura tendance à proposer un prix bas sans tenir compte de ce travail d’analyse…
F. C.: Vous avez raison. Je pense par ailleurs que le contrat, très bien étudié, est à la base d’un bon partenariat. Chez nous, la phase de préparation du contrat a duré plusieurs mois. Autant le département informatique que les RH ont été mis à contribution. Cela représente un énorme investissement en temps.
F. F.: Pour revenir à la question du prix, une prestation RH n’est pas une plaque de beurre qui vaut tant. Pourtant les entreprises se focalisent sur le prix. Les études le montrent: plus le temps passe, plus le facteur prix diminue. Pourquoi? Parce qu’au-delà du prix, il faut tenir compte de la qualité du service. Le problème, c’est que les directeurs financiers s’attardent toujours sur le prix. C’est au RH de leur montrer la différence.
F. C.: Oui mais c’est le job des directeurs financiers de s’inquiéter de la rentabilité d’une entreprise. J’estime au contraire que c’est au fournisseur de nous proposer une prestation qui corresponde à la réalité. Vous êtes des professionnels. Vous connaissez bien les risques du métier. C’est une franchise à avoir. J’ai vécu trop de mauvaises expériences avec des fournisseurs qui facturent des prestations qui n’avaient jamais été évoquées au moment de la signature du contrat.
F. F.: Vous vivez dans un monde idéal. Si vous construisez une maison, on vous fera plusieurs offres. A vous de voir que la qualité des matériaux n’est de loin pas égale entre les différentes offres. Aujourd’hui, c’est à la personne qui achète d’opérer ce contrôle. Les DRH qui ont vécu des mauvaises expériences sont ceux qui n’ont pas pris la peine d’investir les six mois d’analyse en amont.
La critique tient la route. N’est-ce pas à vous DRH de challenger un directeur financier et de lui montrer qu’il y a autre chose qu’un simple prix?
F. C.: Nous sommes d’accord. C’est à nous d’analyser les offres, de préparer la collaboration, d’étudier le contrat dans le détail et de s’assurer que tous les coûts ou coûts cachés sont mis sur la table. Mais c’est au fournisseur de jouer carte sur table. Si on va vers un sous-traitant, c’est qu’on a aussi besoin de son expérience.
D’accord, mais êtes-vous prêts à payer cette expérience et ce conseil?
F. C.: (sourire) On dira que les conseils sont la tranche marketing de l’investissement du fournisseur.
Vous avez donc externalisé des prestations depuis le début de l’année. Quelles sont les retombées positives?
F. C.: (longue pause) Je dirai plutôt: qu’est-ce qui n’est pas négatif… Dans notre cas, notre partenaire est très compétent. On sait que nos salaires sont justes. On ne doit pas passer du temps à tout contrôler. Je l’ai déjà vécu. Je sais aussi que chaque fois qu’il y a un problème, il m’appelle. C’est un souci en moins. Il n’y a donc rien de négatif. Est-ce mieux qu’avant? Je ne peux pas encore vous le dire.
L’externalisation vous a-t-elle permis de consacrer plus de temps aux prestations RH stratégiques?
F. C.: Non, pas encore. Le côté administratif nous occupe encore énormément. Il y a eu des événements importants (licenciements collectifs, ndlr) qui nous ont pris du temps.
En externalisant les salaires, n’avez-vous pas perdu un certain pouvoir symbolique?
F. C.: Non, car nous restons toujours maîtres des décisions, tout est validé par nous.
F. F.: Les RH commettent souvent l’erreur de ne pas négocier la réutilisation des économies réalisées grâce à l’externalisation. C’est lié à la peur de voir leur raison d’être disparaître avec l’outsourcing. Cela est vrai si l’on considère les RH comme des exécutants de la volonté de la Direction et des champions de l’administratif. En revanche, si on considère les RH comme des vraies partenaires, on doit utiliser les économies pour les réinvestir ailleurs.
F. C.: Et j’irai même plus loin: créer de la valeur grâce au développement des compétences, la baisse du turnover et l’augmentation de l’engagement.
C’est un objectif chez vous?
F. C.: Bien sûr. Il est même attendu et demandé.
Les intervenants
Fabrice Courtet, (en gris sur la photo) 42 ans, est le DRH de Distribution Suisse Holding SA depuis décembre 2009. Auparavant, il a été directeur général chez Aux Délices SA (pâtisserie) à Crissier et membre du management de McDonald’s durant 7 ans.
Frédéric Favre, 31 ans, est conseiller en gestion des ressources humaines chez HRplus Sàrl à Sion et St-Sulpice (canton de Vaud). Il est également chargé de cours à la HEG Arc de Neuchâtel et a publié une étude sur l’outsourcing RH en Suisse romande en 2009.