Craintes et espoirs s’entrechoquent sur l’externalisation des prestations RH
Le sujet est révélateur de la posture parfois paradoxale des responsables RH en organisation. Qu’elle soit crainte ou embrassée, l’externalisation de prestations RH est encore fortement débattue en Suisse romande. Souvent formulés à mots couverts, les arguments des «contres» buttent contre les chiffres des études. Le point sur une tendance de fond.
Le jeu de miroir est déroutant. L’externalisation des prestations RH est souvent très mal vue par les praticiens. Ils y voient, à tort ou à raison, une perte de maîtrise de leurs compétences clés et doutent fortement des réels avantages économiques et stratégiques brandis par les fournisseurs de services RH externes.
Mais cette impression résiste rarement à l’éclairage factuel des études de marché et de la réalité objective d’une pratique. Tour d’horizons des enjeux les plus classiques et quelques clés pour s’en sortir. L’externalisation des prestations RH vers un fournisseur externe est-elle une pratique courante?
Selon plusieurs DRH interrogés durant cette enquête, l’impression est plutôt celle d’un retour de balancier. «Je connais beaucoup de sociétés qui en reviennent. Les avantages ne sont pas si décisifs que l’on veut bien nous le faire croire», note une responsable RH de la région lémanique, qui préfère garder l’anonymat. La réalité semble pourtant bien différente.
Selon Thomas Chardin, auteur d’un ouvrage français sur l’externalisation RH et directeur marketing chez ADP France (fournisseur de services RH), «depuis 10 ans, l’externalisation croît de 10 pour cent chaque année». Il s’appuie sur plusieurs études dont celles de Markess International et Nelson Hall (qui évalue la croissance annuelle à 6 pour cent).
«C’est donc une tendance de fond. Pas une mode promise à une croissance exponentielle et très conjoncturelle. Le développement de l’externalisation est linéaire depuis une décennie», affirme Thomas Chardin. Et quid de l’effet crise 2008/2009? «La crise a eu deux conséquences majeures sur l’externalisation des RH. L’intérêt économique a plutôt poussé les entreprises à opter pour une externalisation durant la crise. Mais cet effet a été contrebalancé par un deuxième effet crise: le report de plusieurs projets à cause de l’incertitude.»
Selon les études, la réduction de coût est de 20 pour cent
L’intérêt économique de l’outsourcing est également débattu. Les sceptiques assurent que le gain financier équivaut finalement à «une économie de bouts de chandelles». Un DRH explique: «Si vous considérez tout le travail de récolte de données à effectuer à l’interne, les imprévus qui seront forcément facturés en plus et le temps que vous passez à contrôler votre fournisseur, le gain économique est minime.»
Mais ce point de vue résiste lui aussi difficilement à l’objectivité des chiffres. Thomas Chardin: «Plusieurs études le montrent: la réduction de coût est estimée à 20 pour cent. Le deuxième avantage économique d’un outsourcing est la flexibilité. En externalisant une prestation RH, vous la payez uniquement quand vous en avez besoin. Vous diminuez donc vos coûts fixes. Il est vrai cependant que ces coûts peuvent varier vers le haut en cas de complications ou d’imprévus.»
A noter que le retour sur investissement mettra plus ou moins de temps à tomber selon la taille de l’entreprise. «Pour une PME de moins de 50 personnes, entre l’analyse du besoin, le choix du fournisseur et le transfert des activités, il faut compter un mois. Pour une très grande entreprise de plus de 5000 personnes, on compte environ 18 mois», précise Thomas Chardin.
Le retour sur investissement varie quant à lui de 12 à 18 mois. A noter que les entreprises qui sont satisfaites avec un fournisseur, renouvellent le partenariat sur le très long terme. Chez ADP France, la moyenne est supérieure à 19 ans.
Le deuxième argument qui plaide en faveur d’un outsourcing concerne la qualité des prestations RH. En externalisant les salaires ou la LPP à un fournisseur dont c’est le cœur de métier, le département RH peut compter sur un service de qualité. «La paie est un processus critique, qui n’autorise aucun droit à l’erreur. La gestion des salaires est complexe et récurrente, sensible et circonscrite à des tâches bien identifiées et assez chronophages. Toutes ces raisons expliquent pourquoi de nombreuses sociétés décident d’externaliser la gestion des salaires», détaille Thomas Chardin.
A cet argument de la qualité du service rendu, les sceptiques répondent que l’externalisation des prestations RH crée une situation de dépendance au fournisseur externe. Ce qui est vécu comme une perte de maîtrise et de contrôle sur un processus clé du département RH. Ces craintes quant à l’externalisation de prestations RH reviennent dans plusieurs études sur le sujet.
En externalisant, les RH craignent de perdre leur pouvoir symbolique
Enfin, il faut parler de la dimension stratégique d’une externalisation. Les fournisseurs de prestations RH recourent volontiers à l’argument stratégique pour démontrer les bienfaits d’un outsourcing.
En clair, plus un DRH parvient à se dégager de ses tâches administratives, plus il aura du temps à consacrer à son rôle de Business Partner. Thomas Chardin: «L’outsourcing stratégique implique un recentrage sur le cœur de métier du DRH. Il devient un créateur de lien social et accompagne les directeurs de ligne ou les chefs de projets dans la conduite de l’opérationnel.»
A ce discours de «partenariat stratégique», les responsables RH interrogés ont répondu que l’externalisation est aussi une perte du pouvoir symbolique. Comme le souligne ce DRH: «Le département RH est déjà externe à l’organisation. Pour mieux s’intégrer dans l’entreprise, il faut plus de contacts et plus de points d’ancrage. Si vous outsourcez vos prestations administratives, vous perdez ces points d’ancrage.
Et si ce n’est plus les RH qui gèrent la paie, on les écoute moins attentivement…». On touche ici au pouvoir, réel ou symbolique, dont dispose un DRH auprès de son comité de direction. Thomas Chardin: «En général, les responsables de la paie représentent 40 pour cent de l’effectif d’un département RH. Si le pouvoir du DRH se mesure à la taille de son équipe, cela va poser un problème.
Mais on peut également se demander si une équipe RH composée de quatre partenaires stratégiques n’a pas finalement plus d’impact sur la performance RH de l’entreprise? Avec les changements et les inconvénients que cela représente, je doute que tous les DRH veuillent vraiment être des Business Partners. Ils s’abritent donc derrière leur fonction régalienne de responsable administratif.»
Externaliser? Des conseils pour se décider
Faut-il externaliser certaines prestations RH? Le spécialiste de l’outsourcing RH Thomas Chardin donne ses conseils pour trancher. «Tout d’abord, j’invite les DRH à prendre suffisamment de temps pour analyser la situation avec objectivité. Cela commence par une étude approfondie de la situation de départ. Quel est mon cœur de métier? Quelles sont la performance et la qualité des prestations RH fournies? Et enfin, quel est le coût réel de ces prestations?
L’exemple classique et le coût d’un bulletin de paie. Selon plusieurs sondages menés en France, le prix psychologique varie entre 10 et 15 euros. Mais selon une étude Cegos de 2006, le prix réel d’un bulletin de paie (paie et gestion administrative associée) a été calculé à 44 euros par mois par salarié. Une fois le prix effectif connu, il est possible de le comparer avec les prix proposés par les fournisseurs externes.
Le choix du prestataire va dépendre non seulement du prix mais de la qualité de la prestation et surtout de la qualité du cahier des charges qui sera à la base de l’accord entre client et fournisseur. L’étude du cahier des charges est donc primordiale. Je conseille toujours d’avoir une transparence contractuelle totale avec son fournisseur. Et chaque situation doit être étudiée différemment.
Il n’y a pas de réponse valable de façon générique. La paie peut très bien être une prestation stratégique, qu’il vaudra mieux ne pas outsourcer. Une fois le contrat signé, il faut veiller à la communication et à l’implication des partenaires internes dans le processus de transfert. Une externalisation n’est pas un changement à la marge. Ce n’est pas non plus un projet qui nécessite d’impliquer tout le monde. La direction générale doit par contre être impliquée.»
L’intervenant