Comment décrire des missions organisationnelles et individuelles cohérentes et motivantes
Le cas d'une fondation d'accueil de jour des enfants qui a connu une forte croissance et qui a souhaité harmoniser la GRH des différentes structures avec des définitions de postes et des missions organisationnelles cohérentes pour toute l'organisation.
Photo: Rudi Suardi / iStock
Cadre théorique
Créée en 2006, la Fondation de l’enfance et de la jeunesse (FEJ) à Pully a connu, comme beaucoup d’organisations du même type, une croissance importante, passant de 5 structures (avec 44 collaboratrices et collaborateurs) au moment de sa création à 18 structures (avec plus de 260 collaboratrices et collaborateurs) en 2024, soit un nombre de structures multiplié par trois et un effectif du personnel par six en 17 ans! Cette croissance s’est produite soit par l’ouverture de nouvelles structures, soit par l’intégration de structures existantes qui, de fait, avaient leur propre mode de fonctionnement et leur propre manière de gérer leur personnel.
Face à cette situation, la direction de la FEJ a souhaité harmoniser la gestion des ressources humaines des différentes structures et mettre en œuvre un système unifié de définition des postes (cahiers des charges) et d’évaluation des prestations professionnelles (entretiens d’appréciation). En l’occurrence, la direction de la FEJ a préféré développer un système de gestion et d’évaluation des prestations professionnelles collectives, plus proche des réalités vécues par les équipes des différentes structures, plutôt qu’un système se basant sur la gestion et l’évaluation des prestations exclusivement individuelles.
Cette démarche comportait donc de nombreux défis: comment faire de l’exercice décrié de rédaction des descriptions de poste, à la réputation bureaucratique, une occasion supplémentaire pour responsabiliser et motiver les collaboratrices et les collaborateurs? Comment réaliser une démarche cohérente qui tienne compte de la nécessaire articulation entre les aspects collectifs et individuels? Comment, de manière générale, mettre en œuvre une méthode agile et efficiente pour optimiser le fonctionnement de l’organisation, le climat des équipes et la motivation du personnel?
Après avoir expliqué l’avantage de gérer des fonctions plutôt que des postes, nous présentons une manière de rédiger les missions d’une manière motivante, avant d’expliquer la démarche permettant d’articuler les missions organisationnelles et individuelles.
Pourquoi privilégier les fonctions plutôt que les postes?
Dans un souci d’efficience du système, il a été privilégié la définition de fonctions (1) et non de postes spécifiques, personnalisés. Sur cette base, des diagrammes de fonctions (tel que présenté en image) ont été élaborés, clarifiant les responsabilités de chaque fonction et permettant, si nécessaire, de les adapter rapidement. De cette manière, chacun·e dispose en même temps d’une vision globale des responsabilités respectives des différentes fonctions présentes au sein de l’organisation et, en particulier, d’une clarification des responsabilités de sa propre fonction (qui n’est, en général, pas si différente de celle qui aurait été établie dans la description de son poste). De plus, le remplacement des descriptions de postes personnalisées par des descriptions de fonctions génériques rend la maintenance documentaire beaucoup plus simple et plus agile, et donc facilite une mise à jour plus fréquente, source de grande satisfaction autant pour les responsables hiérarchiques, les professionnels·les RH que pour les collaboratrices et collaborateurs!
Une rédaction des missions motivantes
La rédaction de la raison d’être/de la mission, des responsabilités et des buts organisationnels, ainsi que des buts et des responsabilités des fonctions suit des principes issus de la psychologie du travail et des organisations, dont les plus importants sont synthétisés dans l’encadré ci-contre. Nous observons en effet que la manière de rédiger les missions, les buts et les responsabilités d’une entité/d’une équipe ou d’une fonction a une portée sur la responsabilisation et la motivation intrinsèque de l’équipe/de la personne à les réaliser.
C’est ce que nous nommons la finalisation des missions. En ce sens, l’idée de finalisation rejoint celle que l’on trouve à un niveau plus général dans le cadre du management: passer d’une réflexion axée essentiellement sur les tâches à effectuer, sans référence à leur utilité, à celle axée sur les prestations concrètement fournies (à des clients) et, de manière plus générale, sur les finalités des missions (voir l’exemple ci-après).
Une démarche cohérente qui articule les aspects collectifs et individuels
Toute la logique du management des performances collectives – tout comme individuelles d’ailleurs – repose sur la raison d’être de l’entité/de l’équipe, sur son sens. Il s’agit donc que ces entités/équipes disposent de missions bien formulées, qui vont servir de base, en particulier, à l’évaluation des performances collectives. En outre, il est important que les missions organisationnelles et individuelles soient articulées de manière cohérente: c’est ce que propose la méthode au moyen d’un tableau de répartition des responsabilités, le diagramme de fonctions.
L’idée générale de la méthode est de suivre un cheminement du bas vers le haut (bottom-up) en commençant par le recensement de toutes les activités de l’entité. Cette manière de faire a l’avantage de coller à la réalité du terrain et d’intégrer d’emblée le personnel dans la démarche. À chaque étape, il est intéressant de confronter le résultat des réflexions ainsi obtenues avec celles préexistantes, généralement produites classiquement du haut vers le bas (top-down).
Première étape: définition des responsabilités et buts organisationnels de l’entité. Commencer par lister l’ensemble des activités de l’entité/équipe de travail de manière à disposer d’une vision complète de celles-ci. Une fois cet inventaire établi, regrouper de manière thématique les différentes activités en responsabilités plus globales, puis ces responsabilités en différents buts: on obtient ainsi les responsabilités et buts organisationnels.
Deuxième étape: rédiger la raison d’être et la mission de l’entité qui englobe les différents buts organisationnels. Discuter et valider cette formulation avec les textes préexistants définissant les missions de l’organisation et des entités.
Troisième étape: déterminer les différentes fonctions présentes dans l’entité.
Quatrième étape: sur cette base, établir un tableau à double entrée, le diagramme de fonctions. Dans la première colonne, disposer l’ensemble des buts et responsabilités, puis dans les colonnes suivantes, les différentes fonctions. À l’intersection des lignes et des colonnes, décider du niveau de responsabilité opportun, en utilisant des lettres qui codent ce niveau (voir la figure ci-contre).
Cinquième étape: définir chaque fonction en reprenant toutes les responsabilités mentionnées dans la colonne en relation. En effet, les codes du diagramme de fonctions indiquent le degré de responsabilité et il s’agit de rédiger (en suivant les principes de rédaction mentionnés ci-après) le but et la responsabilité selon ce code. Enfin, rédiger une raison d’être/la mission de la fonction. Cette raison d’être/mission est rédigée de manière à ce qu’elle ait un lien clair avec la mission du département/service.
Notons que, si cette méthode se veut conceptuellement linéaire, comme l’illustre la figure, elle ne l’est méthodologiquement pas. En effet, il s’agit d’un processus itératif entre les différents documents produits: il se peut qu’en rédigeant des descriptions de fonction, on constate qu’il manque certaines responsabilités pour pouvoir atteindre la raison d’être de la fonction. Il faut alors retravailler le diagramme de fonctions, et rajouter les responsabilités manquantes, voire créer un ou des nouveaux buts. La réflexion peut aller jusqu’à interroger la nécessité de créer une fonction ou au contraire de remettre en question l’une ou l’autre. Il y a donc nécessairement des allers et retours, utiles et constructifs, entre les différentes étapes. Une figure représente les différents éléments présentés avec un exemple tiré de la FEJ (voir ci-après).
Les flèches noires montrent que la mission organisationnelle se décline en missions d’entité, puis en missions des fonctions. Elles sont bidirectionnelles dans la mesure où l’atteinte des missions individuelles permet de réaliser les missions des entités, et finalement la mission organisationnelle. Pour que, prises dans leur ensemble, les missions fassent sens, il faut garder à l’esprit les trois critères de Cardona et Rey (2022). Le critère d’inclusion, qui stipule que chaque mission devrait contribuer à accomplir celle du niveau supérieur; le critère de complémentarité, qui stipule que les missions doivent être complémentaires et non entrer en conflit entre elles; et enfin, le critère de cohérence, qui cherche à s’assurer que les missions soient coordonnées entre elles.
La flèche verte illustre le passage du diagramme de fonctions aux buts de la description de fonction, et la flèche rouge indique la même déclinaison au niveau des responsabilités.
Conclusion
Cette méthode saisit l’opportunité que présente la rédaction des missions, à la réputation bureaucratique, pour en faire de véritables outils de gestion, agiles, permettant de gérer la performance organisationnelle. Grâce aux principes de rédaction et à la vision d’ensemble qu’ils apportent, ces documents responsabilisent et créent les conditions de la motivation pour les collaboratrices et les collaborateurs qui, comprenant mieux les tenants et aboutissants de leurs fonctions, seront d’autant mieux à même de réaliser leurs missions et responsabilités de manière performante.
(1) Une fonction résume sous une formulation générique les responsabilités et tâches clés attribuées à une catégorie particulière de postes, qui se retrouvent dans plusieurs unités de l’organisation. Typiquement, la fonction d’«éducateur·trice», ou d’«assistant·e», est générique et peut se décliner en de nombreux postes au sein de la même organisation. Notons que les rubriques contenues dans une description de fonction sont les mêmes, à peu de chose près, que celles des descriptions de poste: identification de la fonction, positionnement hiérarchique, raison d’être de la fonction, buts et responsabilités principales, délégations de compétences formelles, profil de la fonction (formation de base, formation complémentaire, expérience recherchée, connaissances particulières, maîtrise des outils informatiques, maîtrise des langues, compétences selon le référentiel en place dans l’organisation, conditions spéciales, etc.).
(2) Traduction libre des auteurs.
Cadre théorique
Nombreuses sont les théories illustrant les besoins psychologiques des individus dans la vie, ou dans le cadre du travail. L’une des plus influentes de la psychologie du travail et des organisations, la théorie de l’autodétermination (Deci & Ryan, 2000; Ryan & Deci, 2000), met en avant les besoins d’autonomie, de compétence et d’affiliation. La satisfaction de ces besoins entraîne du bien-être et de la motivation intrinsèque (Ryan & Deci, 2017). Elle augmente également la vitalité dans le cadre du travail et diminue l’épuisement (Van den Broeck et al., 2008). De plus, elle permet aux individus de donner du sens à leur vie (Martela et al., 2017), et surtout de donner du sens à leur travail (Martela & Riekki, 2018). Un travail qui fait sens pour les individus permet notamment d’augmenter la motivation intrinsèque, le bien-être, ou encore la performance (Martela & Pessi, 2018).
De même, le modèle des caractéristiques de l’emploi (Hackman & Oldham, 1976) met en avant les états internes de motivation, de satisfaction et de performance que les collaboratrices et les collaborateurs peuvent atteindre si leur emploi comprend, en particulier, les dimensions suivantes: la variété des compétences, l’identité de tâche, l’importance de la tâche. La variété des compétences est «la mesure dans laquelle un emploi exige une variété de différentes activités dans la complétion du travail, ce qui inclut l’usage de différentes compétences et aptitudes de la personne (2)» (Hackman & Oldham, 1976, p.257). L’identité de tâche est de son côté «la mesure dans laquelle un emploi exige la réalisation d’un travail identifiable «complet»» (Hackman & Oldham, 1976, p.257). Enfin, l’importance de la tâche est la possibilité d’avoir un impact sur autrui. Cet élément est d’autant plus important que la possibilité de contribuer au bien commun, la motivation prosociale, est un aspect motivationnel très important (Grant, 2007; Grant et al., 2007; Grant & Hoffman, 2011).
Il s’agit donc de transférer ces théories dans la rédaction des missions, buts et responsabilités organisationnelles et individuelles, et ce d’autant plus que ce sont des documents essentiels et nécessaires à la bonne réalisation et au développement de l’entier des activités de l’organisation!
En résumé, pour formuler des missions, buts et responsabilités qui respectent ces principes, autrement dit de manière finalisée, on sera attentif·ve à (Emery, Gonin, Audrin & Dima, à paraître):
- formuler la mission, les buts et responsabilités, le «pourquoi», en indiquant la finalité poursuivie, le «pour quoi»;
- dans ce sens, indiquer les résultats apportés («pour», «afin de», «dans le but de», adjectif qualificatif, etc.) par le poste sous l’angle du destinataire du travail (interne ou externe);
- formuler la mission, les buts et responsabilités, en montrant leur importance, et en donnant la possibilité à la collaboratrice ou au collaborateur d’être autonome et compétent·e dans leur réalisation, d’être en mesure de les réaliser en entier, et d’en voir le résultat.
Pour illustrer notre propos, prenons l’exemple d’un·e agent·e d’exploitation, d’un·e concierge, dans une fondation d’accueil de jour pour enfants à qui on confierait la tâche suivante:
«Balayer la cour.»
Est-ce que cette formulation est de nature à responsabiliser et à motiver la personne tout en indiquant la finalité souhaitée? Il ne nous semble pas que cela soit le cas. Nous pouvons alors reformuler cette responsabilité de la manière suivante:
«Prendre toutes les mesures nécessaires pour que les alentours du bâtiment soient propres et que les enfants disposent d’un espace de jeu adéquat et sécurisé.»
On remarque que cette nouvelle formulation:
- donne une autonomie au collaborateur (par exemple, dans l’organisation de son travail);
- ce faisant, cette formulation montre également au collaborateur qu’il peut exercer ses diverses compétences, et lui montre qu’il a les capacités d’agir sur son environnement pour atteindre un but précis (par exemple, dans le choix de la méthode et des outils);
- de plus, elle montre la possibilité de réaliser une tâche significative complète, intégralement, du début à la fin, avec un résultat évident;
- enfin, cette responsabilité met en avant le bien commun auquel le collaborateur contribuera, à savoir de mettre à disposition un espace de jeu adéquat et sécurisé pour les enfants.
Il est donc possible de formuler les missions de manière motivante tout en trouvant un juste milieu entre décrire toutes les tâches, rendant le document dé-responsabilisant et aussitôt périmé, et énoncer des missions tellement générales qu’elles n’ont plus de sens! Ainsi, généralisés à la rédaction de l’ensemble des missions organisationnelles et individuelles, ces principes théoriques permettent de rédiger des documents motivants et responsabilisants pour l’entier des collaboratrices et des collaborateurs.