De la tyrannie de la Direction par Objectifs
Maxime Morand. Photos: Oivier Vogelsang/disvoir.net
«Nous vivons sous le joug d’un système de management qui fabrique du stress et de la souffrance et des carrières fulgurantes aux succès discutables. Tout cela, sous le prétexte tyrannique de créer de l’efficacité et du bonheur au travail! La belle arnaque! En effet, depuis 30 ans, la Direction par Objectifs, (MBO en anglais), a cancérisé les entreprises d’abord, les adminis-trations ensuite, et, dans la foulée, les institutions enseignantes. Est-ce un cancer inéluctable avec pronostic vital engagé? Quel traitement anti Direction par Objectifs faudrait-il prescrire? Disséquons le mal en présence. Le mot «objectif» signifie: «jeter devant». Jeter devant soi, avec un résultat pronostiqué dans le temps. Se pro-jeter dans le futur avec des buts à atteindre. Quel est le degré de visibilité aujourd’hui? Faible, voisin de zéro.
Aucune importance, le CEO et le COO vous -annoncent un plus 15 pour cent comme obligatoirement atteignables. Vous êtes une personne dirigée vers la réalisation de vous-même. Le moteur de votre carrière vous pousse à ne pas vous arrêter sous peine d’un accident qui vous laisse-rait sur le côté. Donc, vous foncez. Prouver à vous-même et aux vôtres, à votre équipe, que vous êtes à la hauteur des attentes projetées en vous, devient l’essentiel de votre motivation.
Le paradis à atteindre va conjuguer deux composantes: le succès et la souffrance qui vont se baiser, mutuellement, sans affection.
Les arguments de l’arnaque sont baraqués. Réussite individuelle, performance personnelle mesurée, part variable de la rémunération en rapport. En rapport avec qui? En rapport solitaire avec soi-seul. Ainsi, avons-nous une lecture de la dérive du capitalisme qui finit par se ré-duire à une dimension de réussite purement individuelle. Aussi, la réussite dans le temps et sa mesure sont-ils devenus des tyrans organisa-tionnels. Tyrannie de la fausse certitude projetée, tyrannie du contrôle en continu, tyrannie des réajustements perpétuels d’organigrammes afin de masquer la dure réalité des objectifs non atteints. Chacun ayant ses propres objectifs individualisés, le travail de groupe devient une organisation où chacun surveille l’autre, afin de veiller à un éventuel démarquage. La tyrannie du travail se constituant en tribunal où chacun juge chacun en n’oubliant pas de s’auto-flageller ou de s’auto-congratuler. Exagération? La souffrance au travail est un véritable fléau de notre société occidentale.
Y-a-t-il quelqu’un, un leader nouveau–né, qui oserait, dans la culture de son entreprise, un anti-modèle? Au fond, la Direction Par Objectifs est une extraversion. Un mouvement qui nous fait sortir de nous-mêmes. L’objectif, avec son jeu de mots, finalement, nous fait nous jeter dehors. En bonne logique, accompagnée d’humour, il faut recommander le mouvement inverse: «habiter avec soi-même», et oser la question de quelle est notre véritable raison d’être? Ne plus être seulement performant, mais devenir dense, attirant.
Crever les objectifs obsédants pour la qualité de qui nous sommes, intenses, disposés à livrer du «sans soucis» à nos clients. Juste à prendre soin d’eux et de nous-mêmes, ensemble.
La Direction par Objectifs? Une intention à tuer, pour un moment de repos, de reposi- tionnement: mon intensité professionnelle et personnelle attirent quels clients, quels collaborateurs? »