«Il faut une alternative aux grands portails emplois»
Marcel Fustier, directeur du portail emploi jobtic.ch basé à Lausanne, a annoncé en début d’année une joint venture avec SR Compétences SA. Il revient ici sur l’évolution actuelle du marché de la diffusion d’offres d’emploi sur internet.
Marcel Fustier: "Les grands portails appartiennent à des éditeurs et font principalement de la diffusion d’annonces. Nous, nous offrirons en plus à nos clients un soutien actif et une proximité, en les aidant à définir leurs réels besoins." Capture d'écran: jobtic.ch
Vous venez de lancer une joint venture avec SR Compétences SA. Quelle est la vision derrière ce partenariat?
Marcel Fustier: Il y a tout d’abord eu une réflexion de fond sur la direction que devait prendre la plate-forme jobtic.ch ces prochaines années. Mon ancien associé (qui a vendu ses parts fin 2012, ndlr.) et moi étions arrivés courant 2011 à la conclusion que nous devions trouver un partenaire fort, dont les activités étaient complémentaires aux nôtres. Seuls, nous n’étions pas de taille pour survivre dans ce grand marché de l’internet. Nous cherchions aussi un partenaire disposant de trois atouts importants : une certaine assise financière, des ressources en personnel et une certaine vision entrepreneuriale afin de nous permettre d’évoluer rapidement. Fin 2013, SR Compétences SA est devenu ce nouveau partenaire.
Quel est votre nouveau positionnement?
Notre objectif est de développer les services RH. Nous étudions la possibilité de mettre à disposition des entreprises notre outil de gestion des candidatures (e-recrutement). Nous devenons donc aussi un éditeur de logiciel eRecruiting. Nous souhaitons également développer d’autres services RH à valeur ajoutée en lien avec la création d’offres d’emploi, la création d’une marque employeur et même le soutien dans le processus de recrutement. Ce rôle pourrait être endossé par notre partenaire SR Compétences SA. Au final, nous voulons nous diversifier dans les services aux ressources humaines.
Ce soutien au recrutement consisterait donc à sélectionner les CV et à mener les entretiens à la place des entreprises?
Jobtic.ch se concentrera sur sa plus-value, c’est-à-dire la diffusion de l’annonce. Notre portail n’est pas une agence de placement. L’accompagnement du recrutement sera effectué par le groupe SR Compétences SA s’il existe un besoin. Il y a des synergies à faire valoir et nous croyons au service RH plus qu’à la simple diffusion d’une annonce.
En quoi cela vous différencie-t-il des grands portails comme jobup.ch?
Premièrement, les grands portails appartiennent à des éditeurs et font principalement de la diffusion d’annonces. Nous, nous offrirons en plus à nos clients un soutien actif et une proximité, en les aidant à définir leurs réels besoins. Notre offre sera également complémentaire en innovant en permanence, ce afin d’apporter des solutions concrètes aux professionnels du recrutement. Prenez le cas d’une PME qui recrute. Elle va se demander où diffuser son annonce - presse, portails emploi ou réseaux sociaux ? -, comment la formuler, comment trier les candidatures, si ses ressources sont suffisantes, etc. Ce service sera une de nos plus-values par rapport aux grandes plates-formes.
Vous avez dénoncé l’an dernier dans une lettre ouverte le rachat de jobs.ch par Tamedia et Ringier, en affirmant qu’il créait une situation de monopole. Peut-on dire que votre nouveau positionnement est votre réponse à cette consolidation des portails emploi en Suisse?
Cela peut être une forme de réponse en effet. Mais il faut bien voir que nous sommes David contre Goliath. Nous n’avons pas la même force de frappe. Un groupe de presse comme Tamedia reçoit une aide à la presse de la Confédération. Une grande partie de cette aide est aujourd’hui réinvestie par Tamedia et Ringier dans le multimédia. Dernier point : est-il normal qu’une entité de ces groupes (JobCloud SA) occupe plus de 85% du marché? Cette situation n’est pas normale et devrait être dénoncée mais seuls, nous n’avons aucune chance auprès de la Commission de la concurrence (COMCO).
Vous avez donc contre-attaqué en changeant votre positionnement…
Il s’agissait plutôt de réfléchir à la manière de poursuivre nos activités tout en gardant notre propre identité. Il faut une alternative aux grandes plates-formes et à leurs politiques de prix unique. Mais il faut aussi que les entreprises soient réceptives à notre message. Dans le cas contraire, je crains que dans le futur il ne reste qu’un seul acteur.
Côté prix, les cabinets de recrutement ont bénéficié pendant longtemps d’un tarif préférenciel auprès de jobup, qui a décidé récemment de supprimer cet avantage…
Effectivement, les forfaits avantageux réservés aux agences de placement ont changé depuis le 1er avril 2014. Je peux tout à fait comprendre cette réévaluation de la prestation de jobup. Mais l’augmentation de 277%, voire 400%, a choqué plusieurs entreprises. Par le passé, ce portail accordait des prix diversifiés à plus de 180 agences de placement. Cela lui permettait d’annoncer avoir plus de 7000 offres d’emplois, alors qu’en réalité il n’en dispose que de 3000 réelles - le marché romand est un petit marché et toutes les PME ne recrutent pas en même temps. La majorité des annonces emploi de jobup proviennent des agences de placements. En relevant les prix, ses responsables ont à mon avis l’intention d’éliminer certaines agences et donc de faire un certain tri dans leurs offres d’emploi.
Mais ces agences de placement profitaient aussi de la situation. Elles refacturaient à leur client le prix de diffusion de l’annonce et gardaient une marge. Aujourd’hui, jobup a simplement décidé de reprendre cette marge à son compte…
Pour moi, il s’agit juste d’un argument marketing. Mais, encore une fois, est-ce que cela justifie la notoriété offerte par une annonce sur un grand portail emploi? Notoriété n’est pas toujours gage de qualité. Il suffit de discuter avec les responsables RH et les vrais recruteurs pour s’en rendre compte.
En vous liant avec SR Compétences, n’allez-vous pas faire des jaloux parmi les autres sociétés de sélection de personnel?
Non. Avant tout, l’entreprise SR Compétences SA est une société romande spécialisée dans la délégation de consultants et de personnel hautement qualifié en informatique, avec plusieurs activités. Elle offre aussi bien de la délégation de compétences que du service RH comme le portage salarial, de l’outsourcing d’équipe et de la direction de projet IT. Ce n’est donc pas une agence de placement au sens propre.
Est-ce que vous envisagez de devenir une plate-forme spécialisée dans le conseil en recrutement?
Notre projet est de développer ce service sur la plate-forme jobtic.ch. Nous sommes en train de refaire notre site. L’idée est de remettre au centre l’utilisateur. A partir de là, nous allons développer nos services, autant côté candidat que côté recruteur. On va donc repenser la manière d’utiliser ces outils. Nous serons capables de nous positionner entre une plate-forme comme LinkedIn et une plate-forme de diffusion d’annonces emploi. Nous pourrions aussi imaginer du multiposting ou de l’aide au multisearch.
Imaginez-vous un jour devenir le partenaire des grands portails emploi, eux s’occupant de la diffusion des annonces, vous du service après-vente sur le processus de recrutement?
Oui, cela est tout à fait envisageable. Nous travaillons actuellement déjà avec des brokers, comme Prospective ou Publicitas. Nous sommes tous des multi-diffuseurs et dépendons aujourd’hui de Google, que je qualifie de régie publicitaire. Je n’ai donc pas de problème à devenir une plate-forme complémentaire aux grands diffuseurs d’annonces. Il faut être clair, les grands portails n’ont pas l’exclusivité sur internet, même s’ils ont une position dominante en Suisse romande et Suisse allemande.
En Suisse alémanique, on assiste à l’émergence de plusieurs portails emploi dits «verticaux», dédiés à des professions ou des secteurs d’activité. Comment évaluez-vous cette tendance?
Chez jobtic.ch, nous pensons que cette tendance va se renforcer. Nous allons d’ailleurs mettre en place sur notre portail des espaces différenciés (portails thématiques) selon les secteurs d’activité. Nous travaillons aujourd’hui sur quatre portails thématiques en parallèle, reliés entre eux sur jobtic.ch. Il faut réfléchir proportionnellement au marché dans lequel nous évoluons et à sa capacité à accueillir de la spécialisation.
Quels seront ces quatre espaces différenciés ?
Il s’agira des domaines santé & médical, informatique & télécommunications, vente & management, ainsi qu’électronique & micromécanique.
Jobtic SA et SR compétences SA
Jobtic SA a été fondée en 2006 par Marcel Fustier et exploite le portail emploi jobtic.ch. Outre la publication d’offres d’emploi, jobtic.ch propose un magazine, un agenda et des offres de formations continue et professionnelle.
SR compétences SA a été fondée en 2004 par Jean-Jacques Stuppi, Marc Renevier et Arnaldo Fedrigo. Les trois entrepreneurs sont actifs dans le recrutement depuis plus de 30 ans. SR compétences SA propose des services dans la délégation de consultants et le placement de personnel, notamment dans les systèmes d’information et les télécommunications.