Il n’y a pas de méthode pour réussir une fusion
La fusion des Entreprises Electriques Fribourgeoises et Electricité Neuchâteloise SA a marqué l’actualité économique de 2005. Du côté des ressources humaines, l’enjeu a été de reconnaître les défis stratégiques afin d’harmoniser le capital humain autour de la nouvelle société. Sans recettes miracles.
A la fin des années 1990, le monde électrique suisse se prépare activement en vue de l’ouverture du marché de l’électricité. Une loi fédérale doit réglementer cette ouverture. Les prix de l’énergie sont au plus bas, de nombreuses installations de production ne sont pas concurrentielles en terme de coûts et la Suisse compte plus de 1200 sociétés électriques! Dans ce contexte, deux distributeurs cantonaux d’énergie, les En-treprises Electriques Fribourgeoises (EEF) et Electricité Neuchâteloise SA (ENSA) entament des démarches exploratoires en vue d’un éventuel rapprochement.
Très rapidement, de nombreux éléments démontrent qu’une telle approche est source de synergies importantes pour les deux sociétés et de nature à créer une nouvelle entité forte dans le paysage électrique suisse romand. A fin janvier 2001, EEF et ENSA annoncent officiellement leurs fiançailles.
Les conseils d’administration des deux sociétés, constitués principalement de représentants des pouvoirs publics des cantons de Fribourg et Neuchâtel décident que la fusion s’effectuera de manière consensuelle, par étapes successives sur une durée de 5 ans. Elle aboutira à la création d’une société unique à l’horizon 2006-2007.
Au 1er mai 2001, une nouvelle direction est nommée et se met au travail… pour aboutir à la création de Groupe E au 1er janvier 2006. Tous les objectifs fixés au moment de l’annonce du rapprochement ont été atteints ou dépassés. Le refus, par le peuple suisse, le 23 septembre 2002 de la LME (Loi du Marché de l’Électricité) n’a pas remis en question ou ralenti le processus de fusion.
Les défis pour les Ressources Humaines Pour la direction Ressources Humaines, il n’existe pas de recettes universelles ou de formule miracle. Il faut (simplement!) comprendre la stratégie et les objectifs stratégiques et les transformer en objectifs RH; cela a signifié:
- Apporter sa contribution en terme de valeur ajoutée
- Accompagner le changement en vue de la création d’une nouvelle culture d’entreprise
- Gérer la fusion de deux organisations et la sélection de l’encadrement
- Faciliter la mobilité interne
- Gérer la durée de la fusion (4 ans, c’est long!)
- Identifier et implanter les outils et processus RH nécessaires
- Harmoniser les règlements du personnel et les prestations sociales
…tout ceci en continuant de gérer le quotidien ainsi que de nombreux projets survenus en cours de route.
Pour réussir à relever ces nombreux défis, le directeur RH a été intégré dès le début du processus dans l’équipe de direction. Ensuite, de nouvelles compétences ont été recrutées afin d’étoffer l’équipe RH.
Apporter sa contribution en terme de valeur ajoutée L’objectif principal d’une fusion est de créer de la valeur pour les actionnaires, les clients et les collaborateurs. Ne pas se concentrer uniquement sur les actionnaires, mais conserver l’équilibre «Actionnaires – clients – employés», car ceux qui investissent leur vie dans l’entreprise sont les égaux de ceux qui investissent.
Si une direction Ressources Humaines veut exister, se développer et apporter sa contribution, elle doit démontrer la valeur ajoutée qu’elle produit. En d’autres termes, elle doit dire ce qu’elle peut fournir et non ce qu’elle fait! La valeur ajoutée est définie par le bénéficiaire, donc les collaborateurs de l’entreprise, et non par la Direction RH.
Idéalement, un DRH devrait être un leader, un facilitateur, un concepteur (mettre sur pied une série de systèmes), un coach, un architecte (prendre une idée et la traduire dans la réalité » mettre en pratique). Comment jouer ces cinq rôles? En pensant uniquement en terme de valeurs (avoir de la valeur et apporter de la valeur).
Cette manière de penser et d’agir ne peut que contribuer à la création de valeurs. Les éléments financiers sont facilement identifiables, par contre, les éléments intangibles sont plus difficiles à démontrer, car non valorisables immédiatement, mais a posteriori seulement; ce n’est pas une raison pour les ignorer. Au contraire, leurs valeurs ajoutées peuvent être énormes.
Accompagner le changement Dans un marché monopolistique, dont le changement est l’exception et la tradition la règle, l’annonce de la fusion a provoqué beaucoup d’interrogations parmi les près de 1100 collaboratrices et collaborateurs concernés.
Très vite, avant l’été 2001, des séminaires destinés à l’ensemble des cadres des deux sociétés ont été organisés, avec pour but un échange d’informations, d’outils et d’expériences afin de vivre sereinement la période de changements ainsi que savoir utiliser des méthodes à même d’accompagner les collaborateurs. Ils se poursuivent aujourd’hui encore !
Une vision, des objectifs stratégiques et une charte, reprenant les valeurs intangibles en terme d’attitude et de comportement ont rapidement vu le jour. Un système d’appréciation des performances individuelles a également repris les éléments clés dans les différents critères de compétences requis.
L’accompagnement au changement et la création d’une nouvelle culture d’entreprise ne se décrète pas du jour au lendemain et ne se termine en aucun cas au moment de la fusion. C’est un travail de longue haleine, nécessitant une écoute permanente, une disponibilité et une présence sur le terrain. L’implication de l’ensemble de l’équipe de direction doit être visible.
Une fusion c’est compliqué et l’on ne communique jamais assez! Il faut être très présent, écouter et échanger en permanence avec le personnel. Il ne faut pas laisser (trop longtemps) le personnel dans le doute et être conscient qu’un même message doit être répété à plusieurs reprises, car il n’est jamais compris de façon identique. Prendre en compte et accepter les différences de perception permet également d’identifier les freins et les moteurs parmi les collaborateurs.
A titre d’exemple, dès le début du processus, il a été pris un engagement formel de ne procéder à aucun licenciement en raison de la fusion; ceci à condition que chaque collaborateur démontre une flexibilité en terme de poste et de lieu de travail. Cet acte découle directement de la culture d’entreprise des deux sociétés concernées… et il a été tenu!
Par culture d’entreprise, il faut comprendre ce qu’une entreprise a généré pour régler ses relations, soit la chaîne de décisions; la relation en-tre subordonnés et supérieurs; la manière dont l’entreprise est dirigée.
Gérer la durée de la fusion Dés le début du processus, il a été décidé par les conseils d’administration une fusion sur 5 ans, en étapes successives. Avec le recul, la question peut se poser : aurait-il fallu fusionner comme tout le monde, en trois mois?
Le fait d’avoir laissé du temps a permis de prendre certaines décisions sans précipitation. Les décisions de construire un nouveau site administratif ou de changer de nom par exemple, ont été prises en fin de processus de fusion et se sont imposées par elles-mêmes. Par contre, le fait de fusionner immédiatement les organisations, même en conservant deux sociétés distinctes, s’est avéré profitable.
Le plus grand risque, dans ce genre d’exercice, vient du marché. Durant une période de fusion, les sociétés concernées sont affaiblies, car elles se concentrent sur elles-mêmes, au détriment de leurs clients. Par chance, le marché électrique ne s’est pas ouvert aussi vite qu’imaginé en 2000!
Conclusions Dans une fusion, la fonction DRH est l’exemplarité de la Direction et à l’occasion de démontrer sa réelle valeur ajoutée.
Pour le personnel, les fusions sont d’extraordinaires outils de développement personnel. Elles offrent des perspectives de développement et d’évolution personnelle très rapide… à condition de le vouloir en saisissant les opportunités lorsqu’elles se présentent! Il s’agit d’une source d’apprentissage accéléré et d’un bagage professionnel à forte valeur pour le futur.
Pour Groupe E, la fusion a été un catalyseur qui a créé une nouvelle entité plus performante, dotées d’outils et de processus adaptés aux marchés et attentes de ses clients.
De nombreux projets n’auraient pas été réalisés, si les deux sociétés ne s’étaient pas rapprochées. A ce titre, la fusion a été un véritable catalyseur du changement et a permis de réaliser des progrès énormes en une période finalement très courte.
En conclusion, il n’y pas de méthodes pour réussir une fusion, mais toute une série de points qu’il faut aborder avec méthode, selon la situation propre à chaque fusion! La meilleure mé-thode, c’est la crédibilité du management. Les porteurs de messages doivent être crédibles (ceci est valable pour tout et pas seulement pour les fusions), car on ne peut motiver personne. On peut mettre des personnes dans des conditions qui les motivent pour réussir.