Fusions

"Le leadership doit inspirer et stimuler les collaborateurs"

John Antonakis est professeur en comportement organisationnel à l’Université de Lausanne. Il est aussi un expert des questions de leadership. Pour HR Today, il détaille les principaux enjeux auxquels sont confrontés les responsables des ressources humaines lors d’un processus de fusion.

HR Today: Lors d’une fusion, quels sont les principaux défis posés au leadership? 

John Antonakis: Faire fusionner deux sociétés avec des valeurs et des objectifs différents, c’est comme si vous faisiez danser deux personnes sur un rythme différent. Une danse le tango et l’autre la valse. Le but du leadership est d’éta- blir des valeurs, des normes et un scénario commun. 

Et quel genre de leadership voyez-vous assumer ce rôle? 

Quand deux sociétés s’assemblent, il se pro-duit en général un choc entre les deux cultures d’entreprise. Le rôle du leadership est de fournir une vision inspiratrice commune aux deux équipes. Il agit comme un ciment social. Et ceci est seulement possible avec un leadership fort. 

Quelle est votre définition du leadership fort?

Par définition, le leadership sert à mener le personnel vers des objectifs communs. Le leadership est donc un processus d’influence. Ce que nous appelons le leadership fort est un leadership de transformation. Un leadership qui transforme des équipes, des organisations ou des sociétés vers une vision valable. Je dis valable, car une vision n’existe qu’en rapport à son utilité pour les collaborateurs. Et chaque personne s’identifie avec cette vision car en la réalisant, elle se sent concernée par le processus et ressent une certaine dignité. Le leadership fort est justement celui qui est en mesure de faire que les collaborateurs s’identifient à une nouvelle vision. Des exemples? Nelson Mandela en Afrique du Sud. Il a réussi à sortir son pays de l’Apartheid sans guerre civile. Gandhi aussi. Il est parvenu à chasser les Anglais sans recourir aux armes. Le peuple indien n’avait pas d’aspiration à la liberté, mais Gandhi l’a transformé et lui a donné l’envie de se libérer. Le leadership fort donne à chacun une certaine dose d’espoir, les rend optimistes pour le futur et leur donne l’impression d’être utile. C’est une sorte d’empowerment. 

Comment devenir leader du changement? 

Indéniablement, un leader fort dispose de charisme. Il doit aussi être une source d’inspiration. Ils fixent des objectifs élevés et arrivent à communiquer ces objectifs en les rendant réalisables. Il fait que les gens refusent le statu quo et se disent: on peut faire mieux. Ces capacités sont partiellement inhérentes aux facultés intellectuelles du leader (son QI), et partiellement à sa personnalité. Est-il dominant, extraverti et ferme? Est-il confiant? Quelqu’un qui n’est pas très convaincant, qui ne maîtrise pas l’art de la communication deviendra difficilement un bon leader. 

Des critères qui permettent de choisir entre deux cadres lors d’une fusion? 

Je ne dis pas que c’est nécessaire. Je pense que tout ceci va être négocié au moment de préparer la fusion. Mais si vous me demandez de choisir entre dix managers pour prendre le rôle du leadership fort, alors oui, ce sont des critères qui peuvent jouer un rôle déterminant. 

Comment le faites-vous concrètement? 

Nous avons une série de tests psychologiques: sur les aptitudes cognitives, la personnalité, la motivation implicite (c.-à-d. le besoin de pouvoir) de devenir leader. Le pouvoir est un énorme motivateur. Chaque bon leader a une dose saine de narcissisme. Je ne dis pas qu’ils le sont tous. Mais le pouvoir est au leader ce que le sang est au vampire. La tentation d’utiliser son pouvoir pour se servir lui-même est fort et peut créer une «dépendance.» Pour moi, le leader authentique est celui qui emploie son pouvoir pour le bien des autres. 

Iriez-vous jusqu’à conseiller ce genre de tests à des entreprises? 

Oui bien sûr. Les humains sont des mauvais juges. Trop de recruteurs basent leurs décisions sur leur intuition (et donc leurs préjugés). Prenez l’exemple de l’égalité homme-femme. On a fait des tests lors du recrutement des musiciens d’un orchestre. Quand les chefs d’orchestre voyaient le ou la candidat(e) ils avaient tendance à choisir les hommes (même si, objectivement, les femmes étaient égales ou meilleures). A visage et à voix cachée, le choix était plus équilibré. Pourquoi? Parce que le métier de musicien est associé aux hommes. Je pense que des tests QI, de personnalité ou de compétences sociales devraient se faire de manière plus scientifique, avec des questionnaires précis. Ces tests sont plus objectifs et sont fortement reliés avec la performance réelle au travail.

Mais l’entretien reste important, non?

Quand un candidat rentre, la première impression est décisive. Tout le déroulement de l’entretien sert ensuite à consolider cette première impression. C’est donc très difficile pour un recruteur d’évaluer objectivement un candidat par un entretien d’embauche uniquement. 

Mais pourquoi procède-t-on toujours aux entretiens d’embauche? 

Parce qu’on ne sait rien faire d’autre et parce qu’on fait plus confiance à nos intuitions qu’à des données chiffrées noir sur blanc. La Suisse est encore en retard par rapport à l’Angleterre ou aux Etats-Unis. Ici, on procède encore par tâtonnements. Mais qu’on me comprenne bien, l’entretien d’embauche est encore un exercice utile. Il devrait simplement ponctuer le processus, et seulement concerner les candidats qui ont réussi les tests psychologiques. Je pense que ces méthodes de recrutement basées sur une approche scientifique du recrutement sont l’avenir.

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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