Quand un projet de fusion développe sa propre dynamique
Depuis le 1er mars 2006, Implenia est le numéro un de la construction en Suisse. Le programme RH derrière cette nouvelle société vise notamment à rassembler le potentiel humain. Le DRH Jean-Pierre Vogt parle à HR Today de sa participation à cette fusion «marathon».
Depuis le 15 novembre 2005, Jean-Pierre Vogt ne voit plus passer les jours. Responsable des ressources humaines et membre de la direction du Groupe Zschokke, il apprend ce jour-là que les deux plus grosses entreprises de construction, Zschokke et Batigroup, vont unir leur destin. «L’annonce de la fusion a surpris le marché autant que les collaborateurs», se souvient Jean-Pierre Vogt. Bien que les deux conseils d’administration aient donné leur feu vert un mois auparavant, rien n’était encore planifié». Pour les cadres des deux entreprises, cette fusion «marathon» commence le 17 novembre. Première conséquence pour l’équipe RH: ses membres doivent annuler leurs vacances de Noël. «Nous avions trois mois pour tout planifier: la fusion stratégique, administrative et opérationnelle de deux grandes entreprises qui, certes, travaillaient dans le même secteur, mais avec des structures relativement complexes», explique Jean-Pierre Vogt.
Le 2 mars, la fusion est officiellement approuvée par les deux assemblées générales. «Pour atteindre ces objectifs, nous avions besoin d’une organisation hors du commun. Et, en in-terne, nous n’avions naturellement pas les moyens de le faire», explique Jean-Pierre Vogt. Pour faire face, ils mandatent une société de conseil externe. Une équipe est chargée de planifier, de préparer les réunions des groupes de travail et de documenter tous les processus. Seul le principe du «Due diligence» a été pris en charge par les anciens organes de révision, puisqu’il s’agissait de deux sociétés cotées en bourse.
Pour la réalisation des plans de fusion, huit groupes de travail voient le jour, avec des objectifs clairs pour chacun. Les équipes sont décrétées «paritaires» puisque composées de cadres des deux entreprises. Le département des ressources humaines est intégré dès les premiers jours dans la planification. Jean-Pierre Vogt rejoint les équipes «administration/affaires centrales» et «mesures urgentes». Mais la mission première des RH est de mettre au clair la question des places de travail. Une interrogation lourde de conséquences pour le moral des troupes. «Le plus gros problème, c’est que dans un premier temps, nous ne savions pas très bien où nous allions. Nous nous sommes donc efforcés d’avoir une communication autant transparente que possible. Et, parallèlement à cela, il fallait que les collaborateurs des deux entreprises apprennent à se connaître», note Jean-Pierre Vogt.
Concrètement, le département RH organise des entretiens avec les acteurs clés de la société. Les informations se sont ensuite difusées dans l’entreprise par elles-mêmes. «Ces premiers entretiens nous ont appris que le projet de fusion était en train de créer sa propre dynamique! Et ceci malgré le sentiment d’insécurité qui régnait à plusieurs niveaux de l’entreprise. Les collaborateurs ont compris qu’il s’agissait avant tout de renforcer les positions des deux entreprises et non d’un processus de réduction des coûts à tout prix».
D’emblée, on informe les collaborateurs qu’il n’y aura pas de licenciements collectifs. L’annonce est censée rassurer le personnel. Sans pour autant être une garantie absolue. Grâce à un gros effort des équipes de travail, qui alternent des périodes de quatorze jours d’affilées, la nouvelle société prend forme rapidement. Le 8 fé-vrier 2006, les collaborateurs reçoivent un courrier résumant la situation. «Il n’y a qu’un moyen pour être sûr d’avoir l’attention de tout le monde: glisser vos informations dans les fiches de paye, conseille Jean-Pierre Vogt. Nous avons également envoyé de nombreux messages électroniques concernant les étapes intermédiaires. Mais dans le secteur de la construction, ce moyen de communication n’est pas optimal».
La lettre du 8 février est avant tout un aperçu de la procédure de fusion. Mais le document contient également des informations précises censées rassurer les collaborateurs. Car derrière les garanties avancées au sujet des places de travail, la réalité est plus nuancée: sur les deux prochaines années, 618 postes sur 6600 doivent disparaître. Mais en tenant compte des retraites anticipées et des réorientations professionnelles, les licenciements effectifs devraient représenter entre 45 et 50 postes. «Nous avons dû faire appel à notre expérience pour formuler ces prévisions. Elles sont néanmoins relativement proches de la réalité. L’évolution du marché est une des grosses inconnues. Bien qu’à l’heure actuelle les indicateurs du secteur immobilier soient plutôt rassurants. Nous ne pouvons pas prévoir non plus combien de gens vont nous quitter de leur propre gré. Un autre exemple: quel sera l’effet produit sur les travailleurs étrangers qui ne pourront plus toucher l’entier de leur fonds de prévoyance dès la mi-2007 (en raison des accords bilatéraux)? Ou à quel point nos collaborateurs sont-ils mobiles et prêts à déménager?»
Néanmoins, ces bonnes prévisions s’expliquent également par le positionnement de Zschokke et Batigroup dans le secteur de la construction: ils sont plutôt en train d’élargir leurs activités que de les réduire.
Mais le nombre de collaborateurs ne fait pas tout. Implenia a formellement garanti à ses collaborateurs que les contrats de travail resteraient inchangés jusqu’à la fin 2006. Un geste important pour la motivation du personnel. Les conditions de la caisse de pension resteront identiques jusqu’en 2008.
«Pour Implenia, le but de la fusion est clairement le renforcement de sa position sur le marché», assure Jean-Pierre Vogt. Pour y arriver, la firme compte sur le potentiel de synergies dans les infrastructures, les ateliers ou le parc de machines. Tout aussi important est le potentiel d’amélioration du capital humain. «Et pour cela, les bons mots ne suffisent pas», sourit Jean-Pierre Vogt. Un bon exemple qui illustre les réelles intentions d’Implenia ressort d’une des tâches principales des ressources humaines. En effet, la nouvelle réglementation des primes d’ancienneté est le produit d’un mélange entre les règles de Zschokke, Batigroup et d’une nouvelle philosophie. Grosso modo, dès la cinquième année d’activité, le collaborateur touche une prime de 1000 francs, puis la même somme pour 10, 20, 25, 30 et 40 ans. «Nous voulons récompenser les gens qui viennent de commencer chez nous. D’un autre côté, nous cherchons à maintenir les effets liés à la progression et souligner la valeur des employés fidèles», explique Jean-Pierre Vogt qui ajoute que cette formule coûte aussi plus cher à l’entreprise.
Avec la fondation d’Implenia, la première étape de cette fusion «marathon» touche à sa fin. Aujourd’hui, il s’agit de mettre l’entreprise sur les rails. La nouvelle appellation sert aussi de programme: «Le but avoué d’Implenia est d’être le leader du marché de l’immobilier pour des raisons de coût et de technologie», avait annoncé le président du conseil d’administration, Anton Affentranger, au début de la fusion. Et c’est avec le slogan «Nous sommes Implenia» qu’a eu lieu la première réunion des cadres avec une centaine de personnes les 23 et 24 mars. La transformation continue, mais les équipes ne sont plus paritaires, ce sont des équipes Implenia.
L’interviewé
Jean-Pierre Vogt est DRH chez Zschokke depuis dix ans et a déjà conduit, au niveau des ressources humaines, la fusion entre Zschokke et Locher. Avant d’entrer au service de Zschokke, il a également travaillé chez Nestlé durant quatre ans en tant que Contrôleur de gestion puis à l’UBS en tant que Gestionnaire Crédit et enfin chez Bull Suisse SA, société d’informatique, en tant que DRH.