Jean-Claude Biver: «Faites confiance à votre intuition»
Jean-Claude Biver est un entrepreneur qui a compris l'importance du droit à l'erreur en organisation. Entretien avec un dirigeant aussi inspirant qu'éloquent.
Photo: DR
En deux mots, qui est Jean-Claude Biver?
Je suis un passionné, un intuitif et un instinctif. Et j’ai aussi un côté très pragmatique: dans mes activités quotidiennes, je me sens constamment redevable aux autres sur le plan moral et éthique.
Comment la morale et l’éthique vous aident-elles pour diriger une entreprise?
Chaque dirigeant et manager devrait avoir un comportement moral et éthique irréprochable envers ses collaborateurs. À mon avis, ce sont là les qualités premières si vous souhaitez garantir la pérennité et le succès d’une entreprise.
Quels sont vos ingrédients du succès économique? Quels conseils donneriez-vous aux jeunes managers?
Je leur conseillerais tout d’abord d’avoir confiance en leur instinct et leur intuition. Ne jamais avoir peur de commettre une erreur. Et qu’ils corrigent simplement leurs erreurs quand elles arriveront. Il ne s’agit pas de perdre confiance en soi, mais d’apprendre de ces faux-pas. Apprendre est une manière de rester jeune et d’ouvrir les portes du futur. J’ajouterais que ces jeunes managers ne doivent pas toujours être convaincus du bienfondé de leur action. C’est bien plus important d’oser essayer quelque chose de nouveau. Enfin, je leur conseille de s’entourer de collaborateurs de qualité, au-dessus de la moyenne et même bien meilleurs qu’eux dans certains domaines.
Que signifie pour vous le «Leadership 4.0»?
Très honnêtement, je ne sais pas très bien ce que cela veut dire... Selon moi, un bon leadership exige en premier lieu du respect. Cela implique de reconnaître la valeur de chaque collaborateur et par effet rebond cela contribuera au succès de l’entreprise. Il s’agit aussi de faire grandir les équipes avec de la formation continue. J’attache également une grande importance au droit à l’erreur. Personne ne devrait avoir peur de l’échec.
À propos d’échecs, vous étiez récemment sur scène lors du «FuckUp Night» organisé par le Théâtre 11 de Zurich. Qu’est-ce qu’un entrepreneur comme vous gagne à participer à ce genre de manifestation?
La raison est simple. Je souhaite partager mon expérience avec les jeunes entrepreneurs. C’est essentiel de transmettre l’expérience et les connaissances accumulées durant une carrière aux nouvelles générations. Je leur redonne ce que j’ai reçu en quelque sorte.
Pourquoi le droit à l’erreur est-il si important en organisation?
Les erreurs incarnent l’esprit d’initiative et la force d’une entreprise, car il n’y a aucune dynamique ou de créativité sans elles. En tant qu’entrepreneur, ou comme manager, je ne dois pas craindre ces erreurs. Au contraire, je dois les affronter, et quand elles se produisent, les corriger et tout faire pour qu’elles ne se reproduisent plus. Si je commets des erreurs en tant que chef, c’est bon pour l’esprit d’équipe. Cela rend le manager plus humain.
Comment bien gérer une erreur?
D’abord bien l’identifier et se demander si elle se reproduit souvent. Ensuite la corriger et s’assurer qu’elle ne se reproduise plus.
Vous tenez une fois par mois avec votre équipe de direction des séances d’erreurs. De quoi parlez-vous?
Lors de ces séances, chaque directeur – nous sommes cinq – doit parler d’une ou deux erreurs commises durant le dernier trimestre. En tout, cela représente donc environ 40 erreurs par semestre que nous allons pouvoir corriger.
Votre pratique est assez unique en Suisse où ce droit à l’erreur est encore peu répandu dans la culture du travail. Comment changer cet état de fait?
C’est un problème culturel à mon avis. C’est un état d’esprit que nous apprenons durant notre enfance, notre scolarité et nos études. Nous le transmettons ensuite à notre tour à nos enfants. Nous avons donc besoin d’un changement de paradigme complet, passer de la réprimande à la reconnaissance de l’erreur. Cela prendra sans doute plusieurs générations.
Lors de votre intervention au «FuckUp Night», vous avez dit que «les succès doivent toujours être attribués à l’équipe et les échecs au chef. C’est ainsi que l’esprit de famille naîtra dans votre entreprise». Comment faire pour que les dirigeants adoptent cette règle?
C’est une question de formation et d’éducation. Malheureusement, notre système éducatif n’enseigne pas ces valeurs morales et éthiques à nos futurs dirigeants. Nous avons là un fort potentiel d’amélioration.
«Avec la passion, tout est possible», dites-vous souvent. Est-ce valable pour tout le monde?
Oui. Personnellement, sans ma passion pour l’horlogerie, je ne serais pas là où je suis aujourd’hui. Mais cette passion ne vient pas toute seule. Soit vous la cherchez vous-même, soit vous avez besoin de quelqu’un pour la mettre en lumière. Pour moi, cette personne fut Jacques Piguet, qui dirigeait à l’époque la manufacture horlogère Frédéric Piguet SA. C’est lui qui m’a fait découvrir la mécanique d’une montre. Depuis ce moment, j’ai été fasciné par cet univers et j’ai ensuite suivi mon propre chemin. Mais je sais aussi que les passions ne sont pas toujours cultivées, c’est bien dommage.
À passé 70 ans, vous êtes encore très actif. Quels projets souhaitez-vous encore mener?
Je souhaite encore transmettre tous les privilèges reçus durant ma carrière et ma vie privée. C’est l’objectif principal de mes 20 prochaines années.
Biographie
Jean-Claude Biver est né le 20 septembre 1949 au Luxembourg. Dans les années 1980, il a commencé par ressusciter la manufacture horlogère Blancpain. Il a ensuite redressé la marque Omega avant de multiplier par dix le chiffre d’affaires de la marque Hublot en quelques années. Entre 2014 et 2018, il dirige la division horlogerie de LVMH (Louis Vuitton Moët Hennessy). Il est aujourd’hui président non-exécutif de cette division et vient d'annoncer le lancement d'une nouvelle marque baptisée JC Biver.
L'entrepreneur a reçu de nombreuses distinctions, dont le «Best Watchmaking Manager», «Manager de l’année» et l’«Ordre de Mérite du Grand-Duché de Luxembourg». À côté de son activité dans l’horlogerie, Jean-Claude Biver est également le propriétaire d’une ferme qui fabrique 5 tonnes de Gruyère par année. Etabli dans le canton de Vaud, il est le père de cinq enfants.