L'enfer du décor
Tétraplégique depuis une chute en snowboard en 2004, l'informaticien Yves Vionnet a créé en 2010 le Swiss Recovery Center. Lâché par ses sponsors depuis la crise sanitaire, il propose de créer une assurance employeur pour soutenir un collaborateur en cas de pépin.
Photo: Pierre-Yves Massot / realeyes.ch pour HR Today.
Il aurait dû partir sur la côte basque avec des amis pour une semaine de surf dans l’océan atlantique. La mauvaise météo annoncée l’oblige à revoir ses plans. Ce sera un week-end de snowboard à la station des Marécottes en Valais avec ses potes. À 28 ans, Yves Vionnet est en pleine forme et vient de décrocher son job de rêve: administrateur système dans une grande société informatique de l’Arc lémanique. Mais la vie ne tient qu’à un fil. Une culbute malheureuse et son casque lui fracture sa 6e cervicale. «Je suis passé du paradis à l’enfer en quelques secondes», se remémore-t-il, en levant le regard vers le ciel, assis dans sa cuisine d’Etagnières, petit village du Gros de Vaud où il vit désormais entouré de ses proches (sa sœur est dans l’appartement du dessus et ses parents sont à 200 mètres). Accrochées aux murs de son deux pièces et demie rangé avec soin: des planches de surf et des affiches touristiques vintage des îles hawaïennes.
Abandonnés à eux-mêmes
Avec son moral d’acier enduit d’optimisme, il a créé en 2010 le Swiss Recovery Center à Villeneuve (canton de Vaud). Une institution qui accompagne les personnes paralysées dans leur vie d’après. Il explique: «Malgré une réhabilitation et un soutien exceptionnel, en sortant de Nottwil (un des quatre centres suisses de traitement des paralysies médullaires, ndlr), les patients sont quelque peu abandonnés à eux-mêmes. Ils sont soutenus financièrement par l’assurance invalidité et/ou accident/maladie, mais rien n’est prévu pour les accompagner dans leur nouvelle vie.»
Pointe de l’iceberg
Car être fixé sur une chaise 16 heures par jour n’est que la pointe de l’iceberg. Cet immobilisme – ainsi que la lésion – causent des problèmes de tension artérielle, des troubles de la fonction intestinale, des escarres, une médication importante et des douleurs chroniques de toutes sortes. Sans parler des complications psychiques, psychologiques et sociales (isolement, dépression, perte d’identité)... Après son accident et une opération en urgence au CHUV de Lausanne, Yves Vionnet est transféré à Nottwil d’où il ressort après sept mois. Commence alors une longue quête à travers le monde afin de trouver des solutions pour améliorer sa santé. C’est à Southfield près de Détroit aux États-Unis qu’il découvre un centre spécialisé dont l’entraînement intense stimule le système nerveux et améliore sensiblement son état de santé général. Il y s’y entraîne pendant six mois. Mais le programme coûte cher (CHF 7200.- par mois) et n’existe pas en Suisse.
Réduire les complications
Entrepreneur dans l’âme, il investit son petit capital assurance perte d’intégrité, rachète les droits de la méthode américaine et revient en Suisse. Avec le soutien de Jérôme Barral, de l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne, et d’un étudiant en Master, spécialiste des activités physiques adaptées, Yves Vionnet lève des fonds privés et ouvre le Swiss Recovery Center. «La raison d’être du centre était d’accompagner les personnes paralysées pour qu’elles maintiennent un minimum d’activité physique et de réduire ainsi considérablement leurs complications de santé. C’est pareil dans la vie normale, plus vous êtes actifs et à l’air frais, mieux vous irez», illustre-t-il.
Élan brisé par la crise
Entouré d’une équipe de professionnels APA (activité physique adaptée), il développe une méthodologie d’entraînement baptisée SPRALT (Suivi Post-Réhabilitation A Long Terme). Il engage ensuite une partie de son équipe à temps partiels et montre une petite structure RH pour le suivi administratif de l’opération. En 2019, Philippe Nantermod (PLR) et Rebecca Ruiz (PS) déposent un postulat auprès du Conseil fédéral qui demande une prise en charge de ce suivi à long terme des personnes paralysées par les assurances maladies. Mais cette dynamique positive se brise en 2020 en raison de la crise sanitaire. Les donateurs privés se retirent et Yves Vionnet est obligé de fermer son centre de Villeneuve.
1000 personnes par an en Suisse
Lui ainsi que les autres participants se retrouvent seuls à leur domicile, avec une santé déclinante: «En Suisse, il y a environ 1000 personnes par an dans la même situation que moi. Sans un accompagnement adéquat, nous allons tous vers une lente descente aux enfers. Je me devais de réagir.» Il active donc son réseau de soutiens via ThinkSport (Julien Gafner, Resoltion Legal Partners; Rémy Tzaud, Softcom; Jérôme Barral, UNIL; Pascal Allaz, 925 Interactive; Yves Delalay, CRR-SUVA Sion et Baptiste Delalay, coach de vie) et obtient un coup de pouce financier d’Innosuisse. Après trois journées au vert en décembre 2021, l’équipe s’accorde sur une feuille de route en trois étapes.
Assurance employeur
La première sera de créer une assurance employeur. Il détaille: «L’entreprise paierait une cotisation annuelle au centre afin que ses collaborateurs puissent être pris en charge après réhabilitation en cas de lésion grave (paralysie). Les employés seraient ainsi rassurés de savoir que s’il leur arrive un pépin, ils ne seront pas lâchés dans la nature. Ils pourraient même revenir dans l’entreprise au meilleur des cas. Ce serait aussi une sorte de Fringe Benefit qui renforcerait la marque employeur.» Et pourquoi ce suivi n’est-il pas pris en charge par les assurances maladies et accidents? «Les bienfaits de notre méthode et de notre accompagnement sont évidents, mais doivent faire l’objet d’une étude en Suisse qui sera menée par des institutions de recherche basées en Romandie. Cela prendra encore des années avant d’obtenir le feu vert des caisses maladies et accidents. Nous devons donc prendre les devants.»
Sondage et immeuble
Pour affiner son offre, Yves Vionnet va lancer un sondage auprès des entreprises durant le premier trimestre de 2022. «Nous souhaitons proposer un modèle qui corresponde aux attentes et qui trouve son marché.» Un deuxième sondage sera adressé aux personnes paralysées pour mesurer leurs attentes. Enfin, les frais de fonctionnement du nouveau Swiss Recovery Center seraient aussi en partie garantis par les rendements d’un immeuble financé en crowdfunding. «Nous cherchons quelques philanthropes prêts à nous aider sur ce troisième volet», annonce-t-il. À noter enfin que le nouveau centre recherche des locaux sur la Riviera vaudoise, proche du croisement autoroutier A9 (Valais-Lausanne) et A12 (Fribourg-Vevey).
Lui est né à Montreux en 1975. L’aîné d’une fratrie de trois, son père est peintre en carrosserie et sa mère, femme au foyer, dirige une petite entreprise de nettoyage. Il grandit à Blonay, déménage à Etagnières en 1981. Passionné d’informatique, il reçoit son premier ordinateur – un Atari – quand il réussit son entrée aux classes supérieures. Après un apprentissage de commerce chez l’assureur vie Winthertur, il rejoint le département informatique de l’assureur Providentia à Nyon. Migros Vaud l’engage ensuite comme technicien informatique. Il se souvient: «C’était le tout début de la digitalisation, nous mettions en place Windows NT, nous installions du matériel HP et nous densifions progressivement l’offre des serveurs.» En 2001, le département informatique est externalisé et Yves Vionnet intègre la nouvelle société ilem Group (informatique lémanique). Il monte en grade et obtient son diplôme d’administrateur système. Une nouvelle vie allait commencer.
Bio express
1975: Naissance à Montreux
2004: Accident de snowboard
2010: Fonde le Swiss Recovery Center
2020: Fermeture du centre faute de soutiens