Les pratiques RH des GAFAM

«La culture de l’apprentissage en continu fait partie de notre ADN»

DRH pour la Suisse et l’Autriche de Microsoft, Caroline Rogge détaille ici les prestations RH les plus appréciées par leurs collaborateurs. Elle évoque aussi leur culture d’entreprise et leur positionnement par rapport aux autres géants du tech américains.

Quelles sont les prestations RH qui plaisent le plus aux collaborateurs de Microsoft Suisse?
Caroline Rogge: Nous avons mis en place plusieurs actions qui stimulent l’engagement des collaborateurs (employee engagement en anglais). Cette année, l’accent sera mis sur la formation continue (reskilling). La philosophie de Microsoft est très orientée vers le futur. Nous devons avoir des profils qui collent avec notre culture, mais qui correspondent aussi aux besoins futurs de l’organisation. Et comme nous ne savons pas comment la technologie va évoluer dans cinq à dix ans, cette culture de l’apprentissage en continu fait partie de notre ADN.

Comment cela se traduit-il sur le terrain?
Notre CEO Satya Nadella (nommé en 2014, ndlr) en parle énormément et cela aide beaucoup. Tous ses discours évoquent ce «learning mindset». Sur le terrain, cela se traduit par un mix de modules en présentiel, en ligne et en groupe, sur des sujets de compétences techniques et relationnelles. Chaque employé a un curriculum de formation à suivre pour rester à jour avec les nouveautés du monde digital. Cela sera par exemple des certifications dans les domaines du Cloud ou de l’IA. Nos employés apprécient beaucoup ces prestations financées entièrement par Microsoft, car cela sert à leur carrière. Nous avons initié ce programme en 2019 et allons le développer cette année.

Ces modules sont-ils obligatoires?
Certains oui, d’autres non.

Lesquels sont obligatoires?
Cela dépend des fonctions. Pour les RH, tout ce qui touche à la compliance et à la protection des données par exemple. Pour les formations non-obligatoires, nous avons le luxe d’avoir accès à toutes les formations de LinkedIn Learning (Microsoft a acheté LinkedIn en 2016 pour 26 milliards de dollars, ndlr).

A part le reskilling, quelles autres prestations RH sont appréciées?
Nous investissons énormément dans la santé et le bien-être (employee wellbeing en anglais). Cela concerne les congés maternité, mais aussi les congés pour raisons de care, si un membre de la famille est malade par exemple. Nous avons introduit ces prestations il y a deux ans et elles sont très appréciées par tous les employés.

Quel est le détail de votre congé maternité?
Il est de 20 semaines. Nous offrons aussi un congé paternité et un congé adoption de six semaines. Pour les tâches de family care, nous offrons un mois par année. Pour le deuil, c’est deux semaines. C’est beaucoup plus que ce que prévoit la loi.

D’autres prestations?
Tout ce qui concerne la santé physique et psychique. Ce trend est très américain. Des employés bien dans leur peau seront bien dans leur travail. Nous offrons un montant annuel pour des abonnements sportifs ou des cours de yoga par exemple. Nous faisons aussi beaucoup de campagnes de prévention, sur des sujets comme la santé mentale ou le Work-Life Balance. Je précise que toutes ces offres se rajoutent à nos campagnes RH classiques.

Etes-vous précurseur dans ce domaine?
Oui, sur le marché de l’emploi suisse en tout cas. Plusieurs grandes entreprises commencent à nous joindre, Novartis et Nestlé par exemple.

Google incitait ses collaborateurs à utiliser 20% de leur temps sur des projets innovants (la firme a depuis supprimé cette prestation). Et chez vous?
Non. En revanche, nous donnons du temps pour la formation. Ce n’est pas un 20% fixe mais tout le temps pris pour développer leurs compétences est compris dans le temps de travail. Ce fut un changement d’état d’esprit important au niveau de notre encadrement. Si un collaborateur bloque deux vendredis par mois pour se former, c’est ok.

Avez-vous un exemple de ces formations?
Depuis 2019, nous menons une vaste opération de formation sur le coaching. Microsoft a par exemple créé un MOOC (Massive Open Online Course), en collaboration avec Michael Bungay Stanier, Australien d’origine qui a écrit d’excellents livres sur le coaching (The coaching habit). Il a été engagé dans nos quartiers généraux à Redmond (Etat du Washington) où il a tourné une série de vidéos que nous avons ensuite diffusées à tous nos employés dans le monde pendant cinq semaines. Tous les lundis nous recevions des tâches à effectuer. Nous avons également prévu des intervenants sur le terrain, pour accompagner les équipes. C’est donc une combinaison entre les séquences vidéo et des formations sur site. Cette opération va se poursuivre cette année et a été un grand succès parmi nos collaborateurs.

Toutes ces initiatives sont-elles liées à l’arrivée de votre nouveau CEO il y a six ans?
Non, pas directement. Mais Satya Nadella est un leader très sensible à ce besoin de se former en permanence. Il a introduit dans notre culture le concept de Growth Mindset. Il s’est inspiré des travaux de la psychologue américaine Dr Carol Dweck, dans son livre «Growth Mindset». C’est l’épouse de notre CEO qui lui a passé cet ouvrage.

Offrez-vous un accès aux crèches, des boissons et des repas?
Nous avons un barista en interne pour les cafés et nous offrons toutes les boissons. Les repas sont payants par contre, mais à tarifs subventionnés. Et nous n’avons pas de garderie.

Parlez-nous du recrutement chez Microsoft. J’ai lu que votre approche était très agressive?
Evidemment, nous voulons attirer les meilleurs (rires). Cela dit, pour la Suisse en tout cas, je ne dirais pas que nous sommes agressifs. Ici, nos besoins ne sont pas énormes. Nous recrutons environ 20 jeunes diplômés, sur un total d’environ 50 engagements par année.

Combien de candidatures recevez-vous par année?
De plus en plus (sourire).

Vous savez combien?
Non pas exactement car nous avons un système global pour trier toutes les candidatures.

Détaillez-nous ce dispositif mondial de recrutement?
Kathleen Hogan, notre Chief People Officer, est basée à Redmond. Le leader de l’unité de recrutement lui rapporte directement. Cette unité est composée d’une équipe de recruteurs, tous des spécialistes dans leur domaine, souvent des anciens chasseurs de tête, et qui recrutent pour tout le groupe. Pour la Suisse et l’Autriche, j’en ai six basés dans toute l’Europe. Ils ne rapportent pas directement à moi, mais je les utilise quand j’ai des besoins.

Et ils ont une série d’outils à leur disposition?
Oui bien évidemment. Ils travaillent notamment avec LinkedIn Recruiter et GitHub (achetée par Microsoft en 2018 pour 7,5 milliards de dollars, ndlr). Ils font aussi de la chasse de tête classique. Et nous avons une équipe dédiée aux jeunes diplômés, basée ici en Europe et qui source tous les candidats des grandes écoles.

Pour sélectionner les candidats, on dit que Microsoft mise avant tout sur l’intelligence et la capacité à résoudre des problèmes complexes, plutôt que sur l’expérience. Juste? 
C’est surtout l’état d’esprit qui compte. Vont-ils bien s’intégrer dans notre culture? Et il ne s’agit pas d’un cultural fit, car nous estimons que la culture évolue en permanence. Nous cherchons plutôt un growth mindset: des personnes flexibles mentalement, créatives, avec des compétences digitales, qui sont désireuses d’apprendre et qui acceptent que leur job sera peut-être totalement différent dans dix ans.Microsoft se considère donc comme organisation qui va se transformer en permanence? Oui. Prenons un exemple. Il y a trois ans, nous avons fait un gros investissement au niveau mondial afin de trouver des «Cloud Solution Architects», pour répondre aux besoins RH de notre offre Cloud Azure. Ce sont des profils très techniques et notre unité de recrutement a eu beaucoup de peine à les trouver.  Nous avons donc analysé nos données internes et mené des sondages sur LinkedIn pour comprendre la situation. Et nous avons découvert que 80% de ces profils travaillaient déjà chez nous! Nous avons donc dû en former et élargir le sourcing à d’autres pays. Nous utilisons beaucoup les données pour préparer notre organisation aux défis du futur.

Qu’est-ce qui caractérise votre culture d’entreprise?
C’est difficile à définir en un mot. C’est une culture bâtie autour du «Growth Mindset». C’est plutôt un état d’esprit de croissance, une culture vivante de l’apprentissage. Notre état d’esprit est de nous dire que chaque jour, nous serons meilleurs que la veille.

Cette culture a-t-elle beaucoup évolué depuis que vous êtes dans l’entreprise?
Oui, beaucoup. Au tout début, elle était très technique. Puis nous sommes devenu une culture très orientée vente. Aujourd’hui, je dirais que c’est un mix entre le growth mindset et un retour vers le technique.

Pouvez-vous nous détailler cette évolution?
Après les années de démarrage, notre activité principale a été de vendre des licences. Nous nous adressions donc principalement aux responsables informatiques. Aujourd’hui, nous nous adressons plutôt aux décideurs, aux CEO, CDO (Chief Digital Officer), aux CFO et aux DRH pour leur demander comment Microsoft peut les accompagner dans leur transformation digitale. C’est une approche fondamentalement différente.

Votre rôle de DRH a-t-il évolué dans ce nouveau contexte?
Oui. J’ai par exemple beaucoup de meetings avec les clients, ce qui n’était jamais le cas auparavant. Je ne fais pas de la vente, mais j’accompagne nos vendeurs chez les gros clients pour leur expliquer comment la fonction RH utilise la technologie et les données pour accompagner les leaders et transformer l’organisation.

Quels sont ces outils?
Tout ce qui est Office365, Teams et PowerBI. PowerBi est une base de données avec un dashboard avec tous les chiffres RH. Je connais en permanence l’état de nos effectifs et notre turnover par exemple.

Il est de combien votre turnover?
D’environ 10%. Et nous sommes en train de tester un nouvel indicateur, le turnover prédictif.

De quoi s’agit-il?
C’est un indicateur qui intéresse beaucoup nos leaders. En se basant sur différents indicateurs (métier,  ancienneté, rôles, etc.) nous sommes en mesure de déceler les segments de population qui risquent de nous quitter. Chez nous, ce sont les personnes qui sont là depuis trois à cinq ans. C’est assez logique d’ailleurs, car après trois ans dans le même  rôle, ils se demandent de quoi sera fait leur avenir.

Comment réagissez-vous face à ces risques?
Le premier réflexe de nos leaders a été de demander plus d’argent pour les retenir, sous forme de bonus de rétention. Nous le faisons très exceptionnellement, mais ce n’est pas un but en soi. Car nos données des entretiens de sortie nous ont également appris la raison principale de ces départs: la perception d’un manque de possibilités d’évolution et de développement de carrière. Donc nous faisons un gros travail de sensibilisation à ces opportunités en interne, les plans de développement et le succession planning que nous pouvons offrir à nos collaborateurs.

Revenons au changement de votre modèle d’affaire. Comment cela se traduit-il en termes d’organisation du travail?
Prenons le cas d’un de nos vendeurs qui a un grand compte à gérer, une grande banque suisse par exemple. Il ou elle ne peut pas tout savoir. Nous avons donc constitué autour de lui une équipe multidisciplinaire, avec des rôles très techniques et des rôles plus commerciaux. C’est un changement important. Alors que nous travaillions auparavant en silos, aujourd’hui c’est vraiment ce travail d’équipe qui a pris le dessus. La collaboration est devenue une dimension importante de notre culture.

La concurrence avec les autres GAFAM est forte, ce qui fait grimper les salaires – en tout cas aux Etats-Unis – avec une surenchère dans les bénéfices que vous offrez. Avec quelles conséquences pour vous?
Si je prends uniquement le marché suisse, nous commençons à sentir la concurrence de Google, bien implantée avec ses 5000 personnes. Mais cette concurrence est récente.  Auparavant, ils étaient très orientés développement et nous très vente. Mais depuis qu’ils proposent des services Cloud, la concurrence est devenue plus frontale.

Et avec Facebook?
Jusqu’ici non pas vraiment. Ils sont plutôt en concurrence avec notre division réalité virtuelle.

Amazon?
Oui, c’est un concurrent dans le Cloud, avec AWS (Amazon Web Services) la division technologie concurrentielle.

Apple?
Non. Ils sont plutôt orientés retail.

Et comment vous positionnez-vous par rapport à cette surenchère dans les prestations RH?
La concurrence est une bonne chose. Elle nous maintient sur nos gardes. Cela dit, nous n’allons pas tout changer pour nous aligner sur un concurrent. Nous tâchons de retenir nos talents et de parler avec eux de leur avenir chez Microsoft. Mais nous ne sommes pas dupes, certains partiront, souvent des jeunes diplômés qui n’ont jamais fait autre chose et qui pensent que l’herbe est plus verte ailleurs. C’est assez normal d’ailleurs. Parfois, il faut laisser partir quelqu’un pour qu’il revienne dans quelques années. Ce sont les fameux boomerangs (sourire). A l’avenir, notre challenge sera de mieux segmenter nos prestations par rapport aux différentes classes d’âge. Les Millenials par exemple ne veulent pas forcément d’une carrière à vie chez Microsoft. Ils veulent travailler trois ans chez nous, puis mener un projet ailleurs, puis un autre ailleurs. Nous devons accepter cette réalité. Pour les jeunes, la loyauté à vie à une société n’existe plus.

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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