Portrait

Le coach

DRH de l’Union des associations européennes de football (UEFA), le Lausannois Julien Baehni prépare son organisation pour l’Euro 2016.
A un mois du coup d’envoi de l’Euro 2016, le siège de l’UEFA, qui chapeaute les 55 associations nationales, est en ébullition. Huit milliards de téléspectateurs suivront la compétition à la télévision. Julien Baehni, DRH de l’UEFA, arrive d’un pas léger à la réception de la Maison du football à Nyon. Malgré son emploi du temps surchargé et les affaires qui secouent son institution, il a accepté sans chichi de recevoir HR Today pendant deux heures. A seulement 35 ans, ce Lausannois dynamique et souriant n’est pas du genre à plier sous la pression. Nous sommes sans doute plus nerveux que lui. A deux pas de nous, le légendaire gardien de buts néerlandais Edwin van der Sar scrute le lac Léman, les mains dans les poches, avec la décontraction de celui qui en a vu d’autres. «Souhaitez-vous que je vous présente», offre amicalement Julien Baehni. Nous refusons poliment, comme si toutes ces soi- rées passées devant des matchs de Champions League (également organisés par l’UEFA) n’étaient pas dignes d’un rédacteur en chef d’une revue spécialisée en ressources humaines. Veuillez donc m’excuser, chères lectrices, pour ce portrait aux effluves de gazon humide et de crampons terreux. Mais soyez rassurées, nous ne sommes pas ici pour parler tactique et arbitrage. Plutôt pour comprendre les préoccupations d’un DRH à quelques semaines d’une grosse compétition internationale.
 

23000 candidatures par année

L’organisation de l’Euro 2016 a commencé en 2013 pour Julien Baehni. «En termes de ressources humaines, un tel événement se prépare des années à l’avance et nous avons débuté les recrutements en 2013 déjà. De 420 collaborateurs, nous allons monter à 600 pendant la compétition (36% de femmes), sans compter les 6500 bénévoles, sélectionnés par le comité d’organisation français. Les profils recherchés sont notamment des experts en billetterie, des gestionnaires de sponsors, du personnel technique pour la préparation des stades et des spécialistes de l’événementiel ou de la production télévisuelle. Nous recevons plus de 23 000 candidatures par année. Ce sont surtout des passionnés de football qui ambitionnent de travailler avec nous, dont un qui a déjà postulé 170 fois», sourit-il. Bénéficiant d’une marque mondialement connue et grâce à une stratégie de recrutement adaptée, l’UEFA est en mesure d’assurer tous ses recrutements en interne. «Le recrutement classique avec seule publication sur le site est révolu. Nous adoptons une approche beaucoup plus proactive, via LinkedIn et d’autres plateformes spécialisées, avec revue des statistiques et de la performance de chacun de ces canaux.»
 
Après cette séquence, l’équipe RH de Julien Baehni prend en charge les aspects juridiques et administratifs. «Composer avec les lois du travail françaises est un joli défi. Les restrictions d’heures nous ont contraints à trouver des solutions innovantes. Nous devons être irréprochables au niveau des contrats, des certificats médicaux et des aspects salariaux», détaille-t-il.
 
En plus de ces aspects administratifs, Julien Baehni investit beaucoup de temps dans l’accompagnement du personnel en vue de leur réinsertion. «Comme la majorité des engagements sont des CDD (contrats à durée déterminée, ndlr), nous soutenons nos collaborateurs dans leur cycle de vie professionnelle. Nous leurs offrons un photo shooting, des conseils pour soigner leur profil LinkedIn ainsi que leur CV que nous distribuons sur des plateformes de recrutement dans le sport et l’événementiel. Nous leur proposons également des tests de personnalité et un calendrier des prochains événéments sportifs internationaux. Je compare souvent mon rôle de DRH à celui de coach d’une équipe de football. Il faut à la fois aider, écouter, motiver, former, challenger et réguler. L’objectif est de créer une bonne cohésion d’équipe.»
 
 

De l’écoute pour traverser l’incertitude

Julien Baehni insiste aussi sur l’aspect psychologique de sa fonction. «La dimension stratégique est importante mais elle ne doit pas se faire au détriment de l’écoute. Notre nouveau secrétaire général ad interim, le Grec Theodore Theodoridis (qui a remplacé Gianni Infantino nommé à la présidence de la FIFA, ndlr) écoute énormément. Je l’accompagne lors de ses visites dans nos unités. Il s’entretient avec le manager puis insiste pour entendre aussi les collaborateurs. Cette écoute active nous a permis de traverser la période d’incertitude de ces derniers mois». Pour mémoire, le président de l’UEFA Michel Platini a démisionné de ses fonctions en mai 2016, à cause d’une affaire d’honoraires.
 
Julien Baehni n’en dira pas plus. «L’UEFA est une organisation très politisée. Mon rôle est de soutenir les dirigeants et d’assurer la bonne conduite de nos manifestations.» Pour comprendre les enjeux, un coup d’œil sur les chiffres de l’organisation est révélateur. Selon le dernier rapport financier, l’UEFA a généré plus de 2 milliards d’euros de recettes lors de la période 2014/2015. L’exercice s’est pourtant soldé sur un déficit de 28 millions d’euros. Julien Baehni: «Notre activité est cyclique. Un exercice avec l’organisation d’un Euro génère un résultat net positif, qui est réinvesti dans le football les trois années financières suivantes. L’objectif est d’atteindre un résultat cumulé proche de zéro, en accord avec le statut de l’UEFA en tant qu’organisation à but non lucratif. Ainsi, plus de 80 % de nos rentrées d’argent sont réinjectées dans les clubs et les associations nationales.» A noter que ces chiffres sont en constante évolution depuis une quinzaine d’années. Le football est devenu une affaire de gros sous, avec l’explosion des droits télévisés, des contrats publicitaires et des salaires des joueurs.
 
D’une petite centaine de collaborateurs en l’an 2000, l’effectif de l’UEFA a grimpé à 420 en 2015 (hors période Euro). Julien Baehni: «Nous organisons plus de 2000 matchs par année. A cela, s’ajoute nos activités dans le Fair-Play financier afin d’assurer que tous les clubs soient traités équitablement. Nous avons également mis en place une cellule pour lutter contre les matchs truqués, avec des systèmes d’analyse pour comparer ce qui se passe pendant les matchs avec l’activité sur les sites de paris sportifs.»
D’un point de vue RH, Julien Baehni cite plusieurs projets qui lui tiennent à cœur. «Nous avons lancé en 2015 un dispositif pour prévenir le harcèlement moral et sexuel, avec une personne de confiance à l’interne et un médiateur externe. Cette initiative, appelée «We care about you», souligne notre tolérence zéro envers toute forme de harcèlement ou discrimination. L’autre grand projet RH se nomme «UEFA People», avec trois mots clés: Passion, Purpose et Pride. Le but est de mettre en lumière l’activité de nos collaborateurs pendant les tournois que nous organisons, à commencer par l’Euro. Nous récoltons des témoignages, des infographies et des vidéos qui sont un signe de reconnaissance, mais aussi des précieux supports que nous allons réutiliser pour nos prochaines campagnes de recrutement».

Un sens aiguisé de la diplomatie

Recruté à l’UEFA en 2009 comme spécialiste RH, Julien Baehni a remplacé le DRH Andreas Korner en 2012, après une campagne à couteaux tirés. Comment a-t-il fait la différence? «Ma maîtrise de plusieurs langues et mon ouverture d’esprit ont sans doute joué en ma faveur. Dans une institution comme la nôtre, il faut avoir un sens aiguisé de la diplomatie.» Visiblement très à l’aise dans ce milieu truffé de stars, il croise régulièrement quelques anciennes gloires du ballon rond qui se recyclent volontiers dans les couloirs feutrés de l’UEFA. Des anecdotes croustillantes? «Je me souviens d’avoir croisé un matin le joueur Franck Ribéry. Je l’ai trouvé plutôt terne. J’ai compris par la suite qu’il était venu pour une affaire disciplinaire», glisse-t-il.
 
Parcours sans faute en revanche pour Julien Baehni. Il grandit à Saint-Sulpice (canton de Vaud). Ses parents tiennent une librairie spécialisée dans les guides de montagne à Renens. En 1996, il entre à l’UBS comme apprenti de commerce. Il y effectue sa maturité professionnelle et se passionne pour l’économie et les marchés financiers. La banque l’envoie à Zurich pour conseiller ses clients fortunés. Il y apprend l’allemand puis revient sur les bords du Léman. Après une formation en économie d’entreprise à la HEIG-VD, il intègre le centre de recrutement d’UBS à Lausanne. «J’ai toujours adoré mener des entretiens d’embauche. Découvrir la vie des gens en lisant leur CV et en écoutant leurs parcours de vie est un métier magnifique». En 2008, juste avant la crise financière, il quitte le milieu bancaire et entreprend un voyage au long cours en Australie, en Asie puis en Amérique latine, où il ajoute un peu d’espagnol à son portefeuille de langues. Il est à Ushuaia (sud de l’Argentine) quand l’UEFA lui annonce que sa candidature a été retenue. Chères lectrices, si vous avez tenu jusqu’ici, sachez encore que Julien Baehni est célibataire.
 

Bio express

  • 1996 Entre chez UBS comme apprenti de commerce.
  • 2008 Voyage étendu à travers l’Australie, l’Asie et l’Amérique du Sud.
  • 2009 Entre chez l’UEFA comme spécialiste RH.
  • 2012 Nommé DRH de l’UEFA.

 

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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