Droit et travail

Le difficile rôle des RH à l’aune de l’évolution sociétale du droit

Le rôle des RH, qui va de la bouée de sauvetage du collaborateur esseulé à la main armée de l’employeur, a été passablement perturbé dans une société qui n’accepte plus les mauvais risques. Panorama de cette évolution.

Le rôle des collaborateurs du service des ressources humaines a sensiblement évolué au cours du temps, témoin d’une société en transformation constante dans le monde du travail. Avec l’avènement d’organisations importantes en nombre de collaborateurs ou en termes financiers, la gestion des ressources humaines constitue un des services stratégiques de l’entreprise.

Initialement vu comme un centre de coûts, le service RH ne rapportait rien: il était là pour engager des collaborateurs, les sanctionner et les licencier; les personnes qui y travaillaient négociaient des salaires et des rémunérations variables en fonction de ce qui leur était demandé ou des budgets de la société, sans se préoccuper d’égalité salariale, de jurisprudence fédérale et faisant promettre le secret sur les montants alloués. Heureux temps pourrait-on être tenté de penser, même s’il est plutôt satisfaisant de voir le personnel comme une composante importante de la réussite de l’entreprise, à tout le moins dans le secteur tertiaire.

Le recrutement

Traditionnellement et schématiquement, le rôle des RH est cantonné aux procédures de recrutement, de promotion et de licenciement du personnel. Une tâche importante sinon primordiale est l’engagement de personnel aussi qualifié que possible ou prometteur: le bon RH savait faire la différence lors de l’entretien d’embauche entre le candidat qui resterait longtemps attaché à l’entreprise sur le point de l’embaucher et celui qui se révélerait un maillon faible ou quitterait après quelques petites années.

De plus en plus, la procédure de recrutement échappe aux RH. En effet, dans l’idée de prendre toutes les garanties, il est de plus en plus fréquent qu’après le premier tri, les organisations fassent appel à des chasseurs de tête ou simplement à des instituts chargés de vérifier les compétences des candidats retenus par exemple en les plaçant dans des situations particulières ou en leur faisant passer des tests de personnalité.

Plus de place dès lors au profil d’un candidat singulier, qui ne se coule pas dans le moule: les recommandations des externes mandatés pour le recrutement apparaissent souvent difficiles à contourner. Une vraie perte de pouvoir pour les RH.

L’embauche

Dans ce domaine, les écueils jalonnent le chemin. Ainsi, le RH prendra garde à ne pas poser de questions à une candidate sur un potentiel désir d’enfants: la demande étant interdite car trop privée, la réponse peut être mensongère; au surplus, poser la question est déjà un indice de prévention à l’encontre des femmes et pourrait donner lieu, de la part de la candidate éconduite, à une action en discrimination à l’embauche, sous l’angle de l’article 8 de la loi sur l’égalité entre femmes et hommes du 24 mars 1995 (ci-après LEg). Le RH précautionneux demandera sans doute à celui qu’il est sur le point d’embaucher un extrait de casier judiciaire et une attestation de l’office des poursuites, en sus des habituels certificats de travail et des références incontournables.

Les critères de fixation des salaires

Pouvoir offrir aux candidats et aux employés des salaires conformes à ce qu’ils attendent n’est plus véritablement à l’ordre du jour: chacun a naturellement tendance à surévaluer ses compétences et sa valeur, à en vouloir plus sur tous les plans. Le défi majeur des responsables RH à l’heure où les budgets sont en plus en plus serrés est celui de fixer des critères clairs, suffisamment objectifs pour éviter de prêter le flanc à la critique et à les appliquer sans faire d’exceptions, malgré les sollicitations des responsables de lignes ou des collaborateurs personnellement.

L’enjeu est de taille: en effet, la collaboratrice qui compare son salaire à celui d’un collègue ayant un poste comparable mais mieux payé peut obtenir avec effet rétroactif sur 5 ans la différence de rémunération, avec intérêt de retard au taux légal de 5%. La facture peut être très lourde et la faute facilement imputée au RH, qui, de par sa position, a connaissance des salaires de toute l’entreprise, par ailleurs bientôt plus transparents.

L’évaluation du personnel

Alors que l’appréciation du personnel était souvent très sommaire, rarement écrite et encore moins signée, elle est devenue aujourd’hui un élément capital du dossier du collaborateur, dont les décisions judiciaires font grand cas. Capitale dans toutes les structures pour une bonne gestion du personnel, l’évaluation est souvent considérée comme une perte de temps par la ligne; il incombe aux RH de faire entendre raison à ceux qui veulent la repousser, quels que soient leurs motifs réels: l’évaluation permet aussi parfois de faire apparaître les lacunes de certains cadres dirigeants!

La tenue du dossier du collaborateur

Loin d’être une tâche subalterne, la tenue à jour et complète du dossier de chaque collaborateur est essentielle: tout doit être écrit, la loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données permettant au collaborateur de consulter son dossier personnel et prévoyant des sanctions pénales sous forme d’amende pour l’employeur qui ne communiquerait pas toutes les données. Ainsi, chaque élément présentant un caractère disciplinaire dont l’employeur souhaiterait se prévaloir devra se retrouver dans le dossier du collaborateur.

Conflits

S’il était courant que les conflits interpersonnels finissent par une démission ou un licenciement, tel n’est plus le cas. Pour se conforter à la jurisprudence fédérale du 9 mai 2012, les RH auront prévu la mise en place d’une personne de confiance hors hiérarchie, en principe externe à l’entreprise, qui puisse garantir la confidentialité de ce qui lui est rapporté. Ils perdent dès lors une prérogative qui leur appartenait naturellement, celle de régler les conflits entre collaborateurs. Cette implication personnelle du service RH lui donnait une certaine influence, qu’il a perdue en devant déléguer.

Licenciements

Dans ce domaine, l’implication du RH est particulièrement importante. En effet, il faut garantir au personnel dont on se sépare une manière non alarmante mais plutôt sécuritaire de prendre congé de lui tout en préservant les intérêts de l’entreprise; c’est le RH qui pensera à faire couper les accès informatiques, compter les jours de vacances restants, préparer une information qui en dit assez mais pas trop sur le départ, voire rassurer le collaborateur sur le fait que ses droits seront respectés et fréquemment élaborer la convention de départ.

Finalement, quel regard porter sur le RH en 2020? Pris entre l’obligation de faire passer les consignes de la direction et sa qualité d’expert sur les questions de droit du travail, il assume aussi le rôle de surveillant et intervient pour faire compenser les heures supplémentaires ou prendre les vacances, parfois contre la volonté du collaborateur. La tâche est toujours plus complexe; de bonnes connaissances en psychologie humaine, doublées de compétences juridiques lui sont plus que jamais nécessaires.

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CS

Christine Sattiva est avocate au cabinet Sattiva – Gétaz Kunz à Cully. Elle est spécialiste FSA en droit du travail, vice-présidente du tribunal des prud’hommes de l’administration cantonale, chargée de cours à l’UNIL. Lien: avocates-lavaux.ch

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