Interview

«Le monde flou requiert de la souplesse de l’audace, de la vision et de l’entraide»

Dans un monde où crises et instabilités s’enchaînent, Caroline Loisel invite à embrasser le flou plutôt que de le craindre. 

Qu'entendez-vous par flou organisationnel?

Nous traversons une période de flou due à ce qu’Edgar Morin définit comme une polycrise (géopolitique, environnementale, sociétale, etc.). De mon côté, je parle de KOphonie, la cacophonie des chaos. Toutes les formes d’organisation sont impactées publiques, privées, associatives. Notre sphère privée l’est aussi, entre l’inflation, les taux d’intérêt instables et nos compétences challengées par la technologie, nous naviguons dans un océan de flou.

Avec quelles conséquences sur les individus?

Ce flou organisationnel peut engendrer un sentiment de flou existentiel. Nous sommes alors naturellement pris par deux élans: le «mou» ou l’acrasie passive. Notre volonté d’action s’affaiblit, nous sommes pris dans le tourbillon de la fatalité et du «à quoi bon!». Le second élan possible est de tendre vers le «fou». Nous sommes pris par l’anxiété, et pour nous protéger, nous envisageons des dizaines de scénario. Apprendre à vivre dans le flou c’est éviter le danger d’être mou ou de devenir fou!

Quels sont les principaux bénéfices de ce flou?

Une fois ces dangers apprivoisés, il est possible de tenir son équilibre dans un environnement flou en se nourrissant et en cultivant les quatre bénéfices du flou. Je les ai résumés sous un acronyme «SAVE» comme «sauvegarder». Contrairement à un monde stable exigeant de la rigueur, le monde flou requiert de la Souplesse de l’Audace, de la Vision et de l’Entraide.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus?

Avoir de la Souplesse, c’est s’assurer que le collectif est en mesure de prendre des décisions immédiates. Cela implique une culture de la responsabilisation avec des collaborateurs qui sont en capacité d’agir en dehors des process. Par ailleurs, l’horizon du flou peut tétaniser tout esprit entrepreneurial. Or, c’est justement pendant ces périodes, que l’Audace est un atout. Il faut en profiter pour tisser de nouveaux liens, créer de nouveaux partenariats, élargir son écosystème pour adresser le marché de façon différente et comme on dit «tirer son épingle du jeu». Dans un contexte nébuleux, la Vision pour son activité est déterminante. 

Prenons l’image de votre tenue de route par brouillard épais. Ce n’est ni le moment de stopper, ni le moment d’accélérer! C’est la même chose à l’échelle d’une entreprise en ce moment. Il faut tenir la route grâce à sa vision au-delà du flou. Et dernière chose essentielle, dans un environnement qui génère plus de questions que de réponses, il est nécessaire de développer des réseaux d’Entraide. Il est temps de nous rapprocher de nos pairs et équivalents dans d’autres sociétés y compris des concurrentes. Pourquoi?  Pour réfléchir mieux et plus vite, par exemple, à des politiques RH ou des offres business mutualisées permettant de mieux affronter la période.

Selon vous, la meilleure manière de réglementer le télétravail c'est de ne pas le réglementer. Expliquez-nous?

Je m’appuie sur l’expérience de Clinitex (France, ndlr), une entreprise de nettoyage de bureaux de 4000 collaborateurs. Ils ont mis en place le télétravail bien avant le COVID d’une façon très simple et pleine de bon sens. La seule règle est, en effet, que le télétravail n’est pas interdit! Autrement dit, libre à chacun de choisir – en fonction de sa situation privée, de son moment de vie, de ses missions professionnelles – son lieu de travail! En voilà une entreprise qui peut s’enorgueillir d’être une organisation qui cultive l’autonomie et la responsabilisation de ses collaborateurs! Car quoi de plus absurde finalement de réglementer? La vérité? Nous réglementons souvent par peur des abus! Nous réglementons non pas pour proposer des conditions de travail claires! Nous réglementons par crainte des 5% au maximum de personnes qui pourraient «exagérer et profiter du système». 

Au nom de la peur, nous perdons le bon sens. La vie n’est pas un long fleuve tranquille! Réglementer le télétravail c’est enfermer dans un rythme unique des personnes différentes traversant des moments de vie parfois opposés (du jeune parent qui préfère s’économiser en temps de trajet à la personne de plus de 50 libérée de contraintes familiales souhaitant profiter des relations en vrai). Alors, oui, la meilleure manière de réglementer le télétravail c’est de ne pas le réglementer! 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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