On en parle

L'entreprise, une destination touristique

De plus en plus d'entreprises organisent des visites guidées. C'est bon pour l'image de marque.

La Suisse n’a pas que des attractions comme sa fosse aux ours ou son jet d’eau de Genève à proposer aux curieux. «Les visites d’entreprises sont très appréciées, affirme Véronique Kanel, porte-parole de Suisse Tourisme. De plus en plus, les touristes ont envie de découvrir comment sont fabriqués les fleurons des produits suisses d’exportation. Cela profite aux entreprises comme au tourisme, car ces visites permettent la vente directe et ont souvent lieu dans un cadre idéal pour une excursion pédestre. Elles donnent aussi la possibilité aux visiteurs de vivre une expérience qu’ils peuvent ensuite partager sur les réseaux sociaux.»

Toutes les entreprises – ou presque – se visitent, depuis les fabriques de couteaux aux barrages hydrauliques en passant par les fromageries, les brasseries et surtout les chocolateries! Cette forme de tourisme était initialement l’apanage des entreprises alimentaires artisanales. Du reste, les musées d’artisanat sont souvent d’anciennes exploitations transformées en centres d’exposition permanente – citons par exemple les anciens moulins souterrains du Locle.

Les entreprises n’ont pas toujours conscience de ce potentiel. «Certaines se jugent banales, sans intérêt», regrette-t-on à l’Office du tourisme de la région du Léman. En 2007, on pouvait lire dans un travail de diplôme réalisé à l’Ecole suisse de tourisme de Sierre que les offices du tourisme du Nord Vaudois ne s’étaient «jamais réellement penché» sur cette offre, et que les rares entreprises recommandées aux touristes avaient été «contactées au coup par coup», sans réel travail de prospection.

De la maison Cailler à Girard-Perregaux

Depuis, ce qu’on appelle le «tourisme industriel» s’est passablement développé en Suisse romande. Les visiteurs se comptent à présent par centaines de milliers chaque année. Parmi les destinations les plus courues: la maison Cailler à Broc; la fromagerie Spielhofer à Saint-Imier; Camille-Bloch à Courtelary; la Radio-télévision suisse romande à Genève et Lausanne; la Brasserie des Franches-Montagnes à Saignelégier et Girard-Perregaux à La Chaux-de-Fonds. Sur les seize entreprises du Nord Vaudois contactées par Cindy Moix-Carel pour son travail de diplôme, seulement une n’avait jamais organisé de visite. Rien que dans le canton de Fribourg, on en compterait plus de vingt qui proposent ce genre d’événement. C’est sans compter les rendez-vous accordés sur demande, typiquement dans les viticultures. Et l’offre s’étend de plus en plus aux secteurs technique et technologique, avec l’ouverture au public de centres scientifiques (p. ex. planétarium).(1)

Idéal en cas de mauvais temps

Sur son site, Suisse Tourisme propose actuellement une quarantaine de visites d’entreprises ou d’organisations.(2) Par exemple, l’incubateur Flux Laboratory à Genève, l’aéroport de Zurich Kloten, le tunnel du Lötschberg, la fabrique d’ustensiles de cuisine Swiss Diamond à Sierre, le siège européen de l’ONU à Genève, la distillerie l’Essencier à Crans-Montana, la mine de fer de Gonzen à Sargans, le barrage de la Grande Dixence à Hérémence, la Centrale éolienne et solaire de Mont-Soleil à Saint-Imier, ou encore les thermes de Loèche-les-Bains. Selon l’Association hôtelière du Valais, Patrick Bérod, le tourisme industriel présente un grand potentiel pour de grandes entreprises valaisannes comme Lonza, Novelis, Valcrème ou la Brasserie Valaisanne. Leur ouverture au grand public permettrait d’occuper les touristes par mauvais temps et en basse saison. Mais pas seulement. Ce serait également une occasion de tisser des liens entre l’économie locale et la population, et de mettre en valeur l’utilité sociale de l’entreprise sur le territoire où elle est implantée.

60% des entreprises allemandes ouvertes au public

À l’étranger aussi, les entreprises font un carton. Dans son Guide des sites industriels et techniques, publié aux éditions Horay, l’écrivain Bertrand Labès parle d’un «essor incroyable».(3) Les touristes se ruent à la brasserie Black Sheep à Wellgarth, dans le North Yorkshire, et font la queue devant les 19 moulins hollandais de Linderdijk, inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. L’Allemagne reste championne toutes catégories, avec 60% d’entreprises ouvertes au public, contre seulement 10% en France. Mention spéciale pour la Pologne et ses mines de sel de Wieliczka, près de Cracovie, vieilles du 13e siècle. Soit quelque 300 kilomètres de galeries et un sanatorium souterrain visités par quelque 700’000 touristes chaque année.

Bertrand Labès voit dans le tourisme industriel un retour naturel des choses: au bon vieux temps, les entreprises n’étaient pas des lieux fermés, n’importe qui pouvait entrer pour dire bonjour et jeter un coup d’œil dans les ateliers. Fait intéressant, les centrales nucléaires auraient contribué au phénomène, dans les années 80, en s’ouvrant au public pour réparer leur image écornée par le lobby anti-nucléaire. Du coup, l’accueil s’est professionnalisé. Les guides sont formés, les circuits didactiques mûrement étudiés. En cas de besoin, les entreprises n’hésitent plus à faire appel à des particuliers pour créer un itinéraire et une signalétique, des flyers ou des brochures publicitaires. Il existe également des agences de voyages spécialisées, comme SwissWatchTours.com qui propose aux curieux un tour dans la «Vallée de la montre» de l’Arc jurassien.

Surtout une affaire de renommée

Cela ne veut pas dire que l’affaire est rentable. Les visiteurs paient rarement plus de dix francs pour un circuit ludique ou pédagogique d’une à deux heures – quand l’entrée n’est pas carrément gratuite. Et la vente directe ne compense pas toujours les frais engagés. «Nous avons dû investir 200’000 francs pour notre showroom et la boutique attenante. L’opération est bonne pour notre renommée et si nous gagnons quelque chose à la fin de l’année, c’est bien», explique Joseph Spielhofer, à Saint-Imier. Même discours à la chocolaterie du Rhône, à Genève: «Les retombées sont avant tout humaines. Sur le plan financier, elles ne sont pas régulières.»

Quant aux entreprises fermées au public, elles invoquent souvent un manque de temps, une dotation en personnel insuffisante, une absence d’infrastructure adaptée, une perturbation de la production, voire un problème de sécurité pour les visiteurs. Caran d’Ache, à Thônex, a dû quelque peu réduire la voilure, car le circuit proposé traversait directement les ateliers. L’usine Seba Aproz, à Nendaz, cite des contraintes en matière d’hygiène, «non compatibles» avec le nécessaire va-et-vient du personnel. Bref, l’intérêt premier réside dans l’augmentation du capital sympathie auprès de la clientèle. Accessoirement, l’opération permet de mettre en valeur un métier. Un avantage non négligeable pour la relève professionnelle, si l’on songe que plus de 40% des visiteurs sont des enfants...

(1) https://www.tourobs.ch/fr/articles/tourisme-culture-evenementiel/touris…

(2) https://www.myswitzerland.com/fr-ch/decouvrir/excursions-de-groupe/excu…

(3) https://www.lecteurs.com/livre/guide-des-sites-industriels-et-technique…

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Typographe de premier métier, Francesca Sacco a publié son premier article à l’âge de 16 ans pour consacrer toute sa vie au journalisme. Elle obtient son titre professionnel en 1992, après une formation à l’Agence télégraphique suisse, à Berne. Depuis, elle travaille en indépendante pour une dizaine de journaux en Suisse, en France et en Belgique, avec une prédilection pour l’enquête.

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