Les bienfaits du rire au travail sont encore sous-exploités

La compagnie aérienne Southwest Airlines en a fait sa marque de fabrique. Avant le décollage, cette annonce du personnel de cabine fait régulièrement sourire les passagers: «Si vous fumez pendant le vol, vous devrez payer une amende de 2000 dollars, à ce prix-là vous avez meilleur temps de voler avec Delta...». L’humour au travail est en train de prendre son envol dans les organisations. Pourquoi? La crise du Covid a changé notre rapport au travail. Horaires flexibles, travail hybride et management plus humain font partie de ces nouvelles attentes. Un environnement professionnel où l’humour est toléré, et même encouragé, participe à cette humanisation des conditions de travail. Mais l’humour ne se décrète pas par le haut. L’humour au travail est aussi un terrain glissant. On ne peut pas rire de tout avec tout le monde. Voici une feuille de route pour éviter les faux-pas et pour créer une culture qui favorise le rire.

Le masque du sérieux

Interprété comme un manque de sérieux, l’humour a pendant longtemps été proscrit de l’univers professionnel. Selon les recherches, un enfant rit jusqu’à 300 fois par jour. Mais un individu perd son sens de l’humour à 23 ans lorsqu’il entre dans le monde professionnel. Il ou elle le retrouve le week-end, durant les vacances et au moment d’arriver à l’âge de la retraite. Les personnes âgées rient beaucoup plus en moyenne. Nous avons donc l’habitude de porter un masque au bureau.

60% des sondés en veulent plus

S’il reste encore tabou au travail, le rire serait fortement souhaité, comme le montrent plusieurs études citées dans les ouvrages mentionnés ci-contre. Selon une recherche effectuée entre 2009 et 2010 auprès de 320 personnes en grandes entreprises, 96% des salariés estiment que l’humour est «indispensable, important et très important dans les relations professionnelles, mais 63% d’entre eux estiment que l’humour est insuffisamment mobilisé au travail». Les auteurs en tirent la conclusion que 60% des salariés souhaitent plus d’humour au travail. Une autre enquête montre que 84% des DRH estiment que les collaborateurs qui ont le sens de l’humour font mieux leur travail.

Surtout entre collègues

D’autres indications intéressantes: les salariés avec un diplôme universitaire seraient les plus sensibles à l’humour. Explication? Ils ou elles occupent souvent des postes de coordination où le relationnel est important. Les chercheurs ont aussi montré que plus une personne a de l’ancienneté dans l’organisation, plus elle estime que l’humour est important. L’humour se pratique surtout entre collègues de même niveau hiérarchique et plutôt en fin de journée. Enfin, l’humour est un facteur de bien-être pour 92% des personnes.

Bienfaits pour l’équipe

L’humour a de nombreux bienfaits. Il permet de mieux vivre le quotidien et de dédramatiser des situations tendues. Les personnes avec un bon sens de l’humour éviteront de se prendre au sérieux et auront tendance à renforcer les liens dans l’équipe. L’humour permet aussi de faciliter la rencontre avec les nouveaux arrivants ou les partenaires externes de l’entreprise. C’est aussi un moyen de faire baisser la pression et de réduire le stress. Rire d’une situation compliquée est une manière de mettre les choses en perspective.

Renforce le leadership

L’humour permet aussi d’affirmer son leadership. Coach de dirigeants et auteur d’un livre sur l’humour au travail (lire aussi son interview ici), Vanessa Marcié accompagne de nombreux managers pour les aider à être plus drôles durant leurs présentations et à certains moments clés. En plus d’affirmer son leadership, l’humour facilite la résolution de problèmes, il renforce la capacité à faire accepter les changements et peut être utilisé pour motiver les équipes à atteindre un objectif.

Créer une culture favorable

Comment s’y prendre? L’humour ne peut pas être prescrit. L’humour en entreprise résulte toujours d’un accord entre les individus et l’institution. Une saine culture d’entreprise est un terreau fertile pour que l’humour puisse s’exprimer. À l’inverse, si la pression est forte, si les ressources manquent pour faire un travail de qualité, si le management est toxique ou l’ambiance morose, l’humour sera mal perçu par les collaborateurs·trices. Introduire plus d’humour en organisation exige donc une approche globale: réduire le stress, améliorer les conditions de travail et la communication et faire preuve d’humour au niveau de la direction générale, lors des événements d’entreprise, des team building et des communications officielles.

Terrain glissant

L’humour est un art délicat et un terrain glissant. Une mauvaise blague risque d’humilier un collaborateur ou de décrédibiliser celui ou celle qui l’a racontée. Les histoires drôles qui utilisent l’origine ethnique ou le genre sont à proscrire. L’humour est plus difficile entre personnes de niveaux hiérarchiques différents. Un employé se sentira obligé de rire des blagues de son CEO, même si celles-ci ne sont pas drôles. De leur côté, les dirigeants ne se rendent souvent pas compte de leur manque d’humour car personne n’osera le leur dire.

Les pratiques d’humour au travail

Il y a plusieurs leviers à activer pour insuffler plus d’humour dans votre entreprise. Cela peut être des images ou des dessins humoristiques affichés dans les locaux. Des moments d’humour lors des séances de travail. Durant la pandémie, de nombreux employés se sont envoyés des petits clips vidéo humoristiques par mail ou via les réseaux sociaux. L’humour peut aussi être utilisé de manière institutionnelle, dans les campagnes de publicité, les communications externes ou les événements ouverts au public.

Être authentique

Sur le plan personnel, Vanessa Marcié conseille de choisir un ton et des histoires qui vous correspondent, des blagues avec lesquelles vous êtes à l’aise. Si l’humour semble à première vue quelque chose de facile, c’est en réalité un art très difficile. Le sens du timing est clé. Pas besoin de parler tout le temps, un bon mot placé au bon moment peut être très percutant. Une bonne blague est souvent courte, bien réfléchie et surprenante. Cela s’entraîne et se prépare. Avant d’essayer de faire rire votre chef ou vos collègues, testez vos blagues avec des proches, des personnes en qui vous avez confiance. Selon les spécialistes, c’est l’intention qui prime sur tout le reste. Si vous souhaitez améliorer les relations et contribuer à créer une bonne ambiance vous pouvez prendre des risques et essayer.

Connaître son audience

L’humour est une offre de connexion avec l’autre, écrit Vanessa Marcié. L’humour se joue toujours en contexte et selon le public à qui vous vous adressez. Il s’agit donc de connaître son audience, de faire preuve d’intelligence de situation et d’adapter votre humour à votre public. Le but est de créer du lien, de trouver des terrains de convergence. Dans un best-seller sur la prise de parole en public, l’écrivain américain Dale Carnegie donne le même conseil: une bonne prise de parole inclut l’audience et se construit en fonction des intérêts de votre public.