Les enquêtes de satisfaction

Les enquêtes de satisfaction en valent-elles réellement la peine?

Outil incontournable des organisations contemporaines, les enquêtes de satisfaction comptent probablement aujourd‘hui autant de partisans que de détracteurs. Entre avantages et inconvénients, la mise en place de tels dispositifs relève souvent d’un choix cornélien. Tour d’horizon des principaux enjeux pour la fonction RH et quelques pistes pour y voir clair. 

 

Au cours des vingt dernières années, que ce soit vis-à-vis de leurs clientèles, de leurs partenaires externes ou de leurs propres membres, les organisations n'ont eu cesse de recourir aux enquêtes dites de «satisfaction». La généralisation de cette pratique, de même que sa continuation dans le temps, nous prouve qu'il y a là bien davantage que la simple et seule expression d'un «effet de mode managérial». Dès lors, comment comprendre ce phénomène? A la fois plébiscitées et contestées, les enquêtes de satisfaction génèrent-elles toujours un réel retour sur investissement? Et du point de vue RH, quels en sont les enjeux? Non sans ironie, on pourrait se demander si les professionnels des ressources humaines, par ce qu'ils représentent, par les critiques dont ils font ponctuellement l'objet, ne sauraient jamais susciter de vraie satisfaction! Cela, de surcroît en période de crise, lorsqu'ils doivent se faire - bien malgré eux - les agents opérationnels de mesures de restructuration dont ils n‘ont que trop rarement la maîtrise... 

Un enjeu latent: ouvrir un espace de dialogue là où il n'y en avait pas

La première question que l'on peut légitimement se poser eu égard aux enquêtes de satisfaction est celle de leur motivation. En effet, pour quelles raisons précises une entreprise décide-t-elle à un moment donné de son fonctionnement de recourir à un tel dispositif, et d'y consacrer à la fois du temps et de l'argent? Deux principaux cas de figure tendent à se distinguer: premièrement, l'enquête de satisfaction directe à destination du client, dans le cadre, par exemple, du lancement et du suivi d'un bien de consommation ou d'un nouveau produit (marketing direct). La décision de procéder à une telle enquête repose ici sur un besoin de connaissance d'un marché, de son fonctionnement et de ses acteurs, connaissance sans laquelle l'entreprise s'expose à d'importants risques commerciaux. Deuxième cas de figure: lorsque l'enquête vise à faire un point de situation sur une prestation singulière ou un ensemble de prestations dispensées à l'interne ou à l'externe de l'organisation (démarche qualité); dans ce contexte-ci, elle sert souvent: soit à valoriser et à valider «officiellement» les mérites d'un service qui recueille d'ores et déjà l'enthousiasme de ses bénéficiaires; soit, à l'inverse, à comprendre les raisons d'un éventuel mécontentement de ces derniers à son égard. 

Plus généralement, tant dans une perspective organisationnelle que commerciale, la mise en place d'une enquête de satisfaction permet fondamentalement d'ouvrir - ou de ré-ouvrir - un espace de dialogue entre le sondeur et le sondé. En effet, quelle que soit la nature du retour obtenu, positif comme négatif, et malgré l'intermédiation souvent induite par les questionnaires et les autres dispositifs de recueil de données, l'enquête permet d'instaurer un dialogue là où, en temps normal, aucun échange n'aurait eu lieu. Intrinsèquement, elle entretient entre les deux un lien symbolique, une sorte de relation de «prégnance» réciproque. «Même si je n'apprécie pas ce produit, cette entreprise ou cette prestation de service, je suis amené à porter un avis dessus par l'entremise du sondage; et donc, de fait, je m'en forge mentalement une certaine représentation, une certaine idée.» 

Un vrai retour sur investissement? Une nébuleuse à plusieurs égards

Prisées, ces enquêtes sont-elles pour autant couronnées de succès à chaque fois? D'ailleurs, quels sont les critères qui permettent d'établir leur «réussite»? S'agit-il du taux de retour des questionnaires? De la nature des feedbacks reçus? Des deux à la fois? Éminemment subjective, la question de la «satisfaction» des individus s'avère une nébuleuse à de nombreux égards. Établir qu'une prestation de service donne satisfaction à un panel donné ne permet pas de garantir que celle-ci remplisse les critères standards de qualité qu'on pourrait en attendre. A ce titre, les enquêtes de satisfaction, quelles qu'en soient l'ampleur et les ambitions avouées, n'ont jamais qu'une portée relative. Chacune revêt des buts qui lui sont propres: ce qui pourra paraître positif ici ne le sera pas autre part. Une entreprise verra probablement dans la collecte d'avis majoritairement négatifs un aveu d'échec, posant la nécessité d'une remise en question; une autre, au contraire, y décèlera peut-être une prise de position franche, démontrant à la fois l'attention portée à ses activités et la capacité de recul critique de ses bénéficiaires. 

Il est néanmoins un fait indubitable: les résultats qui parviennent au final aux sondeurs sont bien souvent perfectibles. Lorsqu'il s'agit d'une enquête menée au sein d'une organisation, il est courant que les sondés se censurent d'eux-mêmes; sauf à nourrir un mépris profond pour l'équipe instigatrice du questionnaire ou de la campagne d'entretiens, il est en effet assez rare que les personnes qui se voient interrogées décrient ouvertement les prestations de leurs propres collègues. Ceci, sans compter sur les usuels biais de remplissage/réponse qui sont inhérents à toute démarche d'investigation: questions mal lues ou mal comprises, réponses apportées trop rapidement, au mauvais endroit, déformées ou conciliantes... Tant et si bien que la problématique du «retour sur investissement» du dispositif finit forcément par se poser, tôt ou tard. 

Si, la plupart du temps, les enquêtes de satisfaction atteignent malgré tout leurs objectifs - partiellement tout du moins -, il arrive aussi que celles-ci soient source d'effets externes non souhaités. Par exemple, en mettant la focale sur une prestation de service particulière, ces enquêtes tendent parfois à créer des attentes nouvelles. «Tiens, je ne m'étais jamais posé cette question, mais il est vrai que ce processus est bien loin d‘être optimal...». Et si des changements ad hoc ne sont pas opérés dans la foulée, ces attentes peuvent se transformer en réelle frustration, discréditant l'équipe à l'origine de l'initiative. Aussi, en connaissance de ces éléments, mettre sur pied de telles enquêtes ne peut définitivement que relever d'un choix cornélien! 

L'enquête de satisfaction RH: un outil à double tranchant?

A l'échelle des RH, la décision peut s'avérer encore plus délicate. Bien que rompus à l'exercice de la critique, les professionnels du secteur n'en demeurent pas moins soucieux de la perception de leur travail. Mais interroger leurs clients internes sur la qualité de leurs prestations ne revient-il pas, quelque part, à «donner le bâton pour mieux se faire battre»? On ne connaît que trop les multiples reproches qui leur sont usuellement adressés: sempiternelle question de leur efficacité; doute sur le bien-fondé de leurs actions et initiatives; caractère administratif et rigueur procédurière; incapacité à comprendre et à répondre aux besoins réels des collaborateurs... A l'évidence, ce contexte exerce une forte pression sur les acteurs RH et bride leurs velléités de perfectionnement. Si beaucoup seraient tentés d'instaurer des échanges plus constructifs avec leurs répondants dans la ligne, la plupart y renonce par peur de l'accueil dubitatif que risquerait de recevoir leur initiative. Quoi de plus destructeur que de s'apercevoir que tous les efforts fournis ne recueillent pas la reconnaissance souhaitée? Et c'est là tout le paradoxe de la profession: sans cesse sur la brèche, trop rares sont les occasions qui lui sont données de «vendre» ou d'améliorer ses services. Quand bien même ils offrent des prestations de qualité, les professionnels RH, frileux, hésitent à franchir le pas d'une communication plus significative. Lorsque l'idée d'une potentielle enquête de satisfaction les effleure, bien souvent, ils finissent par se raviser. Le jeu en vaut-il la chandelle? Contrairement aux apparences, la réponse est: oui! Si on prend un peu de distance et qu'on retourne la problématique, les critiques formulées à l'encontre du monde des RH peuvent être considérées non comme des obstacles mais bien comme des opportunités à part entière! Si, de toute façon, nous estimons que nos prestations seront dénigrées, qu'avons-nous à perdre dans ce jeu-ci? Certes, la conjoncture actuelle invite à davantage de prudence. Comment en effet soutenir une enquête de satisfaction RH dans un tel contexte, tandis que des décisions humainement difficiles doi-vent parfois être prises? «Laissons le temps au temps», comme le dit la formule, et sachons saisir les occasions lorsqu'elles se présentent. 

De l’enquête d’opinion à l’enquête de satisfaction

 

Si la genèse propre de l'enquête de satisfaction est difficile à établir, faute de sources précises, on peut restituer son essor dans le développement historique des sondages d'opinion dès l'entre-deux-guerres. Technique importée des Etats-Unis, le sondage d'opinion gagne l'Europe à la fin des années 1930 (à l'image de la création de l'IFOP en France, à l'initiative de Jean Stoetzel) et prend la forme de  grandes consultations publiques autour de thématiques contextuelles.

L'enquête dite «de satisfaction» s'inscrit dans le prolongement du sondage, mais vise un objectif plus circonscrit: il ne s'agit pas de donner un avis ou d'établir un pronostic sur une grande problématique (pour ou contre tel ou tel traité) mais davantage de rendre compte de la satisfaction éprouvée par rapport à une pratique, un bien ou un service en particulier. L'enquête de satisfaction se développe essentiellement dans le monde entrepreneurial à compter des années 1960-70, en phase avec l'émergence progressive des fonctions Marketing (évaluer la satisfaction du client pour mieux cibler ses attentes) et Qualité (évaluer la satisfaction pour améliorer l'ergonomie et les processus productifs). 

 

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Raphaël Bennour, ancien cadre RH d’une grande banque privée de la place genevoise, dirige le groupe CAVEA (en­ seignes Rhônalia et Vinograf, actives dans la distribution de vins et spiritueux haut de gamme) qu'il a co­créé en 2009. Consultant indépendant depuis 2016, il accompagne aussi les entreprises du secteur bancaire dans les défis actuels de la filière (digitalisation, marketing de l'offre, conduite du changement).

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