RH en secteur public

«Les relations avec la hiérarchie sont la plus grande source de conflit»

Valérie Ayer et Xavier Ganioz sont les médiateurs de l'Espace Collaborateurs du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne. Leur unité est à l'écoute des difficultés relationnelles des 13'000 collaborateurs du plus grand employeur du canton de Vaud.

Combien de demandes recevez-vous par année?

Valérie Ayer: Nous avons traité 151 situations en 2023 et nous constatons une augmentation des demandes de 15% chaque année depuis 2021.

Comment expliquez-vous cette croissance?

VA: C’est un signal plutôt positif. C’est la preuve que les personnes osent venir nous parler. Nous sommes aussi devenus plus visibles. Depuis deux ans, nous présentons nos services dans les différentes unités du CHUV et systématiquement auprès des nouveaux collaborateurs. Nous avons aussi réédité notre flyer et renforcé notre présence dans le journal interne, le CHUVien, et sur l’intranet de l’organisation.

Xavier Ganioz: La crise du Covid a sans doute aussi joué un rôle, les équipes ont été mises à rude épreuve durant la pandémie. La mauvaise conjoncture financière de l’hôpital qui a suivie et les mesures d’économie ont probablement mis sous pression les équipes.

Le mouvement #MeToo a-t-il joué un rôle?

VA: Oui, sans aucun doute. En 2018 et 2020, la Direction du CHUV a lancé des campagnes de sensibilisation pour prévenir le sexisme et le harcèlement avec à la clé la mise en place d’une directive institutionnelle.

XG: À noter que sur 151 cas, il y a une dizaine de situations de harcèlement. Mais les chiffres augmentent sur cette thématique. Nous constatons aussi une hausse des cas rapportés durant les campagnes de prévention.

Quelles sont les thématiques qui remontent?

VA: Les pratiques managériales sont la plus grande source de conflits, qu’elles soient ascendantes ou descendantes. Cela peut être un abus de pouvoir, une absence de soutien aux équipes ou des fausses promesses par exemple. À l’inverse, un cadre a parfois de la difficulté à se sentir légitime après une promotion. Ces managers reçoivent des formations au moment d’être promus, mais la réalité du terrain est une autre affaire.

D’autres sources de conflits?

VA: La coopération entre les membres d’une équipe est parfois délicate. Mise à l’écart, inégalités de traitement ou des personnes qui ne se parlent plus depuis plusieurs semaines, voire des mois... Ces situations peuvent être très violentes.

XG: Dans le milieu académique, qui est très compétitif, il y a parfois des conflits d’appropriations de sujet ou des tensions à propos de l’ordre des signatures sur un article scientifique.

VA: Nous constatons aussi des problèmes liés aux différentes générations. Les jeunes médecins qui sortent de formation ont une autre manière de voir qu’un médecin senior avec 40 ans d’expérience. Les nouvelles générations attachent une plus grande importance au Work-Life Balance et ne sont pas prêtes à tout sacrifier pour leur métier. Les horaires de nuit et du week-end leur posent parfois problème.

XG: Ce personnel médical vient nous voir plus souvent. Sur l’ensemble des cas que nous traitons, le taux de médecins est passé de 5 à 15 % en deux ans. C’est un milieu très compétitif et pour un médecin, c’est parfois difficile de montrer sa vulnérabilité. Mais cette culture est en train de changer.

Traitez-vous des cas de discriminations liées au genre ou à la nationalité?

VA: Très peu, ces cas de racismes ou de harcèlement lié au genre sont moins courants. Mais cela ne veut pas dire qu’ils n’existent pas. Il est peut-être plus difficile de parler de ces questions qui touchent intimement sa personnalité dans le cadre de son travail.

Comment procédez-vous quand une personne s’annonce chez vous?

VA: Nous recevons toutes les personnes qui veulent nous voir pour un premier entretien d’une heure. Cela nous permet d’évaluer la situation. Parfois, la personne a juste besoin de vider son sac. Ensuite, nous cherchons des pistes et nous essayons de lui redonner le pouvoir d’agir. Très souvent, ces personnes sont dans une impasse et notre rôle est de leur montrer qu’elles ont des perspectives malgré la situation. Mais c’est à elles de faire le travail. Redevenir acteur ou actrice est important. L’Espace Collaborateurs est une ressource mais il y en a d’autres au sein du CHUV.

Sur toutes les demandes reçues, seulement 10% abou- tissent à une médiation. Quelles sont vos autres pistes de sortie?

XG: Oui, sur 151 cas, 10% débouchent sur une médiation standard, à deux, trois ou quatre personnes. Il y a aussi environ 10% d’accompagnements d’équipe. Tout le reste sont des accompagnements individuels. Ce sont des personnes qui présentent des symptômes d’anxiété, qui ne dorment plus la nuit ou qui sont en pré-burnout par exemple. Trop souvent, elles viennent nous voir quand le conflit est bien installé.

Que faites-vous avec les informations recueillies? Sont- elles utilisées (de manière anonymisée) pour faire évoluer les pratiques au sein du CHUV?

XG: La confidentialité est absolue. Tout ce qui nous est raconté ici, reste ici. Ensuite, cela va dépendre des cas. Quand nous constatons un cumul de situations dans un service ou une unité, avec l’accord des personnes, nous allons faire remonter l’information auprès du responsable. Dans certaines situations graves qui relèvent du droit pénal (harcèlement, mobbing sévère), en tant qu’employés du CHUV, nous avons l’obligation aussi d’informer la hiérarchie ou les RH. Si les personnes souhaitent rester anonymes, elles ont la possibilité de contacter une médiatrice externe avec laquelle nous collaborons.

VA: Nous utilisons aussi certains témoignages de manière anonymisée pour faire des campagnes de sensibilisation, dans nos formations ou lors de nos conférences. Ces verbatims sont très percutants. Notre rôle est de construire la confiance avec les collaborateurs·trices du CHUV pour que les choses puissent être dites.

Comment se passe la collaboration avec la direction générale et le service RH du CHUV?

XG: Nous leur envoyons un rapport annuel succinct sur notre activité et de manière anonyme bien sûr. À part ça, nous n’avons pas de comptes à rendre et notre indépendance est totale. À noter que nous collaborons régulièrement avec le service RH. Ils nous appellent parfois quand ils sont dans une impasse ou pour que nous puissions intervenir en parallèle d’une démarche RH par exemple. Nous prenons parfois le relais et proposons dans la majorité des cas une médiation.

Vous intervenez aussi au niveau des équipes, avec une méthodologie issue de l’intervention en thérapie sociale. Comment se déroulent ces interventions?

VA: Cela commence toujours par un entretien individuel avec chaque membre de l’équipe. En général, il s’agit d’un problème de communication ou de rupture de confiance. Tous deux sont liés. Nous parlons aussi avec la hiérarchie, qui est dans certains cas une partie du problème et aussi .... de la solution. Si nous le jugeons pertinent et adéquat, nous proposons un accompagnement d’équipe par exemple. Mais chaque membre de l’équipe doit être motivé à faire le travail. Cela arrive souvent qu’une ou l’autre personne n’en a pas envie, ou ne se sent pas concernée.

Quelle est votre posture dans pareil cas?

VA: Nous sommes là pour tout le monde, sans aucun jugement. Cette multi-partialité et cette indépendance est très appréciée. Nous essayons de leur montrer l’intérêt qu’ils auraient à rentrer dans un dispositif de médiation. Certains pensent que s’ils ne font rien, le conflit va disparaître. Mais nous savons que non seulement il ne va pas disparaître, mais qu’il va sans doute grandir davantage et prendre encore plus de place. Nous cherchons simplement à comprendre ce qui empêche les gens de travailler et de collaborer ensemble et de se dire les choses quand ça ne va pas. Cela demande beaucoup de courage de venir en médiation, de se dévoiler et de montrer ses vulnérabilités.

XG: Notre seul pouvoir c’est de ne pas en avoir en quelque sorte (sourire).

Le CHUV a également un espace prévu pour les conflits entre les patients et le personnel. Comment ces deux dispositifs sont-ils articulés?

XG: Nous collaborons régulièrement avec l’Espace de médiation patients proches et professionnels. Nous nous rencontrons en intervisions et proposons une formation commune sur la gestion des conflits.

Si vous aviez un message à transmettre aux personnes qui lisent cette interview?

XG: Libération de la parole et prévention.

VA: Oui, notre intention est de créer une culture où la parole est libérée, de créer une culture du conflit, de dédramatiser le conflit et la médiation. Nous savons bien que le travail n’est pas toujours simple. Tout le monde rencontre des difficultés et c’est comment chacun parvient à gérer ces difficultés qui fait la différence. Mettre les problèmes sous le tapis n’est jamais bon.

Et la prévention?

XG: C’est le corolaire direct de la parole libérée. Trop souvent, les personnes que nous recevons sont déjà bien enkystées dans le conflit. Nous encourageons tout le monde à venir dès les premiers signaux d’alerte. Ces petits soucis de cours de récréation deviennent vite ingérables et vont contaminer l’équipe. Il y a vraiment un intérêt à s’en occuper rapidement.

Difficultés relationnelles

L’Espace Collaborateurs s’occupe des problèmes relationnels des 13'000 collaborateurs·trices CHUV (Centre hospitalier universitaire vaudois). Sollicités directement ou via le service RH, les deux médiateurs (deux postes à 60%, voir leur interview ci-dessus) traitent toutes les difficultés relationnelles de l’organisation: conflits, tensions avec les collègues ou la hiérarchie, malaise, fragilité, épuisement, interrogations et attitudes inadéquates.

Campagnes de sensibilisation sur le sexisme, le harcèlement et les discriminations

En 2018 et 2020, la Direction des ressources humaines du CHUV a lancé deux campagnes de sensibilisation en collaboration avec les associations d’étudiants Clash et Reach pour lutter contre le sexisme, le harcèlement et toutes formes de discrimination sur le lieu de travail. En 2018, environ 140 situations ont été prises en charge par l’Espace Collaborateurs, des cas qui ont touché entre 240 et 300 collaborateurs·trices. Une trentaine de plaintes ont été déposées et 350 cadres (environ 30% de tout l’encadrement) ont suivi des cours de prévention du sexisme et du harcèlement. Ces cours sont désormais obligatoires.

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Marc Benninger ist Chefredaktor der französischen Ausgabe von HR Today.

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