L'éthique en poupe
Patrick Nicollier va quitter la direction RH des hôpitaux universitaires de Genève (HUG) fin 2024 pour devenir DRH d'une prestigieuse organisation internationale. Dans le monde changeant et instable de demain, il estime que l'éthique sera au cœur de la fonction RH. Il revient aussi sur les enjeux RH de l'institution genevoise.
Photo: Pierre-Yves Massot
Son temps à la direction RH des HUG est désormais compté. Le 19 septembre, Patrick Nicollier a annoncé sa démission pour la fin de 2024, quand il rejoindra une prestigieuse organisation internationale. Il sera donc resté un peu plus de trois ans à la tête des RH du paquebot HUGien, avec ses 13’000 collaborateurs·trices. Après un parcours en multinationales, puis dans une organisation internationale (partenariat privé-public), la crise du Covid lui avait donné envie de revenir dans la communauté locale genevoise où il a grandi. Le voilà donc qui remet les voiles. Souriant, calme, les yeux pétillants, il nous a reçu en juillet 2024 dans son bureau genevois pour nous parler des enjeux RH des HUG: pénurie du personnel, changement des styles de management et transformation de la culture vers plus de diversité et d’inclusion.
Pénurie à l’horizon 2040
Depuis la pandémie, le secteur des soins souffre d’une forte pénurie de personnel. Selon les estimations de PwC, la Suisse se dirige vers un déficit de près de 40’000 infirmiers·ères et de quelque 5’500 médecins en 2040. Son analyse: «Les HUG se situent dans un écosystème atypique: aux confins du pays avec un bassin de population franco-valdo-genevois, nous avons peu de turnover (5%) et un absentéisme élevé (10%). Si vous réunissez tous ces facteurs, nous évoluons dans un bassin de population captif que nous devons inciter à rester au travail.»
Attractivité et technologies
Augmenter l’attractivité des métiers des soins est une mission complexe. «Nous misons beaucoup sur la qualité de vie au travail. Les risques psycho-sociaux sont un enjeu important dans les soins. Nous effectuons également un gros travail sur la prévention du harcèlement psychologique et sexuel. Nous collaborons par exemple avec Amnesty International sur des mises en situation.» Les outils technologiques seront aussi mis à contribution: «Pour lutter contre les troubles musculo-squelettiques, nous envisageons de diminuer les ports de charge grâce à des robots. Nous souhaiterions aussi remplacer certaines veilles de nuit par des senseurs. Ces technologies ne vont pas remplacer les humains mais plutôt venir en soutien.» Et l’arrivée massive de l’intelligence artificielle? «L’IA joue un rôle de plus en plus grand dans l’établissement des diagnostics. Le Japon, Israël et les États-Unis sont en avance sur ces sujets.»
Plannings auto-gérés
Une autre prestation très appréciée par le personnel sont les plannings auto-gérés. «Nous désirons donner la possibilité aux équipes de mieux organiser leur emploi du temps. Cette plus grande flexibilité et visibilité sur les horaires est une clé importante de la rétention. Notre rôle est aussi de veiller à la conformité des plannings avec la loi sur le travail. Nous trouvons des solutions en collaboration avec les partenaires sociaux et l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail». Les HUG consultent aussi beaucoup le personnel. Ils ont par exemple constitué une communauté de 80 jeunes professionnels des HUG pour comprendre leurs besoins et travailler sur des scénarios. Patrick Nicollier: «Les jeunes ne veulent plus travailler la nuit ou les week-ends. Ils n’acceptent plus certains comportements de la part du management. Nous devons être les agents du changements de l’hôpital et intégrer ces critiques pour améliorer notre fonctionnement.»
Cadres de référence pour le management
Cette démarche consultative a aussi été déployée pour travailler sur les compétences managériales de l’encadrement. «Nous avons réuni 150 cadres des HUG en juin 2023 pour comprendre leurs attentes en termes de leadership. La consultation a ensuite été déployée dans un format 360° à l’ensemble du personnel ainsi qu’aux partenaires sociaux. Cette démarche a pris du temps (environ une année, ndlr) mais nous disposons aujourd’hui d’un référenciel de compétences managériales qui correspond à notre culture et en lien avec les bonnes pratiques.» Aujourd’hui, les HUG sont dans la phase d’implémentation avec des formations (CAS et DAS), des cycles de conférences et la création de communautés de pratiques. Patrick Nicollier souligne aussi le rôle clé joué par les 70 chefs et cheffes de service qui sont «les courroies de transmission de l’hôpital.»
Changer les mentalités
Cette approche bottom-up est un énorme changement culturel. Patrick Nicollier: «La qualité du management est un levier important pour retenir et attirer les talents. Mais ce shift dans les mentalités n’est pas toujours facile pour un médecin en fin de carrière. Eux-aussi ont été jeunes et ont dû faire des sacrifices pour gravir la hiérarchie. Mais les mentalités sont en train de changer. Les études montrent que les nouvelles générations de médecins ne sont plus prêtes à travailler à 200% et à sacrifier leur Work-Life Balance pour leur vie professionnelle.»
Sécurité psychologique
Ce changement de culture se traduit aussi par davantage de sécurité psychologique. Patrick Nicollier s’intéresse au sujet depuis 2018, quand il s’est formé au leadership éthique à l’Université de Laval au Québec. Il a poursuivi sa formation avec The Ethics and Compliance Initiative aux États-Unis en 2019 et vient de terminer sa première année de Master en Applied and professional ethics à l’Université de Leeds au Royaume-Uni. Il confie: «Nous sommes à un tournant. À mon avis, l’éthique sera au cœur de la fonction RH de demain. Aujourd’hui, l’information circule plus vite, la transparence augmente, notamment sur les salaires, les gens veulent des explications sur tous les processus. Notre action RH a un énorme impact sur cette authenticité des relations. Nous touchons là à des notions de consentement, d’équité et d’exemplarité. Demain, un manager devra être congruent par rapport à ses valeurs, ouvert et à l’écoute et capable de restituer la raison derrière une décision.»
Stratégie RH après la crise
Arrivé aux HUG en novembre 2021, juste avant la 5e vague Covid, Patrick Nicollier a découvert un établissement à bout de souffle, avec un personnel éreinté et en situation de choc post-traumatique avec un taux d’absentéisme de 11,4. «Nous avons lancé une longue consultation pour définir la stratégie RH 2023-2028. Cela a permis aux gens de lâcher la souffrance qu’ils avaient vécu. De notre côté, nous avons pu mieux comprendre leurs besoins et fédérer tout le monde sur une direction commune.» Validée en décembre 2022 à l’unanimité des membres du Conseil d’administration incluant les partenaires sociaux, la nouvelle stratégie RH se traduit par 42 initiatives à déployer sur trois axes: l’agilité et l’efficience de l’institution, l’évolution du service RH et la qualité de vie au travail.
Diversité et égalité H+F
Sur ses 13’000 employés, les HUG comptent 160 fonctions et 80 nationalités. Patrick Nicollier: «Au-delà des chiffres, le défi est de créer une bonne cohabitation. Nous avons effectué un gros travail sur l’égalité H+F (ils ont obtenu la certification Equal Salary en 2021) ce qui a eu un impact sur 80% du personnel soignant féminin.» Aux HUG, plus vous montez dans la hiérarchie médicale, plus le pourcentage de femmes a tendance à baisser. Il est de 55% auprès des médecins internistes, de 46% chez les chefs de clinique, de 40% auprès des médecins adjoints et il baisse à 20% chez les chefs de clinique et à 10% auprès des chefs de départements. «Nous avons également beaucoup investi dans la sensibilisation aux biais et mené plusieurs actions autour des enjeux LGBTIQ+.»
Bidonville à Izmir
Patrick Nicollier a toujours été sensible à ces enjeux de diversité. Son père, le réalisateur Jean-Luc Nicollier, est suisse et sa mère iranienne. La famille voyage beaucoup et lors d’un séjour en Turquie, ils découvrent la pauvreté d’enfants d’un bidonville d’Izmir qui viennent cirer les chaussures du jeune Patrick et de ses frères et soeurs. Les parents Nicollier décident sur le champ de leur venir en aide et créent quelques mois plus tard une association d’aide à la détresse des enfants (Action solidaire pour le développement et l’éducation et le développement – ASED) qui vient de fêter ses 35 ans. «La mission de l’ASED est de venir en aide aux jeunes pour leur permettre d’accéder à une éducation.» À ce jour, l’association a soutenu près de 25’000 enfants en Inde, au Burkina Faso et au Bénin notamment. Très bon élève, Patrick Nicollier obtient sa maturité au collège de Candolle à Genève. Après six mois d’études de médecine, il se réoriente vers les relations internationales et le développement. Durant ses études, il travaille comme assistant RH chez Covance (pharmaceutique). Il se souvient: «J’ai eu de la chance d’avoir des gens qui ont beaucoup cru en moi. Je suis resté trois ans chez Covance où j’ai terminé comme responsable RH. Il part ensuite chez Cargill (négoce de matières premières), où il est notamment responsable suisse et effectue des risk assessments RH pour l’Europe. Il devient ensuite DRH Europe et Moyen-Orient chez Applied Materials (semi-conducteurs). En 2013, il rejoint le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, dont il est nommé DRH deux ans plus tard. C’est dans cet univers mondialisé qu’il va retourner en 2025.
Bio express
1981 Naissance à Genève
2005 Master en études internationales
2011 HR Director chez Applied Materials
2015 Chief HR Officer au Global Fund
2021 DRH des HUG
2025 Master en Applied and Professional Ethics (en cours)