L'injonction paradoxale de la diversité & inclusion
Contribuez-vous à la diversité dans votre entreprise? Quelle est votre couleur de peau, votre genre visible, votre accent audible? Ces quelques critères ne sont que des éléments extérieurs, – or on devrait savoir que l’habit ne fait pas le moine. Il y a par exemple une grande homogénéité de culture dans les écoles internationales, un milieu sélectif où l’on côtoie ses semblables depuis le plus jeune âge, quelle que soit leur couleur ou leur accent.
Photo: Alan de-la Cruz / Unsplash
Le grand essor des politiques de diversités est né en 2018 avec une étude du Boston Consulting Group, visant à démontrer une plus grande performance des équipes réunissant des profils variés. Diversité de culture, de genre, d’âge, mais aussi de niveau de formation et de parcours professionnels et personnels: les angles de vue sont multiples, et l’intelligence collective s’enrichit de cette variété.
Entretemps, via quelques séries TV et Netflix, la thématique des neuro-atypiques explose. Ceux qui fonctionnent différemment. Les articles sur le défi d’intégrer les HPI (haut potentiel intellectuel) dans les entreprises, les agences spécialisées en placement de TSA (trouble du spectre de l’autisme), les mesures de santé au travail adaptés aux TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) et aux hypersensibles, tous ces champs se développent plus vite que la réelle diversité en entreprise.
N’est-ce qu’une prise de conscience, culturelle, sociétale, d’une réalité de toujours? J’en prendrais pour argument l’expansion du mot «inclusion». Inclure, c’est prendre avec des personnes qui auraient été d’office exclues, écartées. Mais quel est ce monde qui d’office écarte? Dans mes jeunes années, le trisomique avait sa place dans les rayons du géant de distribution alimentaire, le petit QI (quotient intellectuel) faisait partie de l’équipe de la voirie. La crise économique des années 1990 a mené à l’explosion de situations transférées à l’AI (assurance invalidité), avec argument de rentabilité maximale, de lean-management qu’ils entravent. À l’inverse, de multiples études démontrent que les femmes «rentables», qualifiées, expérimentées, continuent de faire profil bas bien malgré elles dans les statistiques.
Multiples rouages
Aujourd’hui, l’entreprise ressemble à une montre haut de gamme, aux multiples et minuscules rouages, où chacun a sa place dans un fonctionnement bien huilé. La diversité, c’est celle des rouages, des grands, des petits, des ressorts, et autres pièces techniques. Et des porteurs d’huile, ces personnes souvent RH, manager, voués à mettre de l’huile dans les rouages grâce à leurs soft-skills, pour éviter tout conflit, tout déraillement, toute désynchronisation. Adieu la diversité, bienvenue à l’entreprise-robot.
Les pôles «diversité» et «inclusion» seraient en recul dans les départements RH. Car on cherche des gens conformes aux valeurs, adaptables aux pratiques, pas trop exigeants envers leurs supérieurs et collègues, pas trop dérangeants dans leurs besoins et comportements. Les méthodologies certifiées de gestion de projet et de management obligent à entrer dans un moule, à fonctionner dans les rouages mis en place, au déni du pragmatisme, des solutions ad-hoc. Le wokisme demande de la retenue, la polarisation des politiques demande de se taire, la culture du travail en Suisse avec ses avertissements et licenciements faciles suscite le silence.
À quoi bon une peau de couleur, un accent marqué, une ou deux femmes à l’étage de la Direction, si c’est pour un fonctionnement bien huilé, silencieux, sans grincements, par peur du conflit. La conformité de l’entreprise au label de la diversité, en s’assurant qu’elle coche toutes les petites cases prévues, est une merveille de l’injonction paradoxale!
Il fut un temps où le métier était celui de porteur d’eau – apporter l’eau qui désaltère, permet de reprendre haleine, retrouver ses forces, se retrouver. Métier dur, physique, mal payé, mais nécessaire à l’humanité. Aujourd’hui les porteurs d’huile sont au bureau, bien payés, nécessaires à l’entreprise. Par contre, ils inhibent l’humain et sa diversité, favorisant le fonctionnel. Ce métier dur émotionnellement semble peu avantageux pour la santé mentale et le stress d’une population de plus en plus en détresse.
Il est visiblement temps de revenir à une société plus vivante, moins formatée. La rencontre, la découverte d’autrui, autre justement, stimulent la créativité et la solidarité. La différence enjoint à solutionner les petits aléas quotidiens, et développe la compétence d’agir en situation, l’agilité et la créativité. La génération Z nous en sera-t-elle reconnaissante?