L'insolente
Fondatrice du cabinet Generative Humanae à Lausanne, Charlotte d'Aulnois accompagne les directions générales dans leur transformation vers plus d'agilité, moins de silos et plus d'autonomie des acteurs.
Photo: Olivier Vogelsang / disvoir.net pour HR Today.
Elle met en puissance les organisations, dit-elle en faisant tourner ses mains en cercles vertueux vers le ciel. Voici Charlotte d’Aulnois. Consultante, coach et spécialiste de la «mise en puissance», qu’elle définit comme «un processus itératif qui utilise les outils du consulting, du mentoring et du coaching pour transformer l’existant et construire l’avenir». Après un parcours professionnel dans le monde globalisé des multinationales, elle a fondé Generative Humanae à Lausanne en 2015. Spécialité de la maison? Accompagner les directions générales et leurs équipes vers plus d’agilité, «une transformation organisationnelle qui replace l’humain au centre». Le cabinet compte aujourd’hui 12 consultants de haut vol. Plusieurs grandes organisations de l’économie suisse et internationale sont passées entre leurs mains. Maisons horlogères, énergie, Formule 1, cosmétiques, banques et hôpitaux... «Je ne désire pas les citer publiquement, car la confidentialité est l’une des clés du succès de toute transformation», sourit-elle, assise dans son bureau lausannois avec vue splendide sur la tour Edipresse et le Lac Léman. Nous sommes là pour écouter son analyse des transformations en cours et saisir le rôle de la fonction RH dans ces évolutions.
La stabilité peut devenir rigidité
Sa perception de l'économie romande? «Historiquement, le marché suisse a su construire sa performance et sa sérénité autour d'une certaine idée du pragmatisme, du bon sens et de la rigueur. Cette formule magique, toujours d'actualité, connaît néanmoins un besoin de refonte. La révolution numérique, le nouveau paradigme du travail et les nouvelles générations bousculent les habitudes. Avant, la stabilité du pays était sa force. Aujourd'hui, elle peut devenir une rigidité, sur un marché toujours plus volatile et ambigu. L'enjeu des entreprises consiste donc à s'adapter, voire à anticiper de nouveaux modèles.
Prendre le temps
En temps de crise, cette stabilité helvétique n’est-elle pas une force? «Absolument. Toutefois, elle a besoin de plus d’agilité, de transversalité et d’autonomie pour s’adapter et la rendre toujours plus performante. J’observe beaucoup d’inquiétude de la part des dirigeants. Ils souhaitent décloisonner et déplafonner leur organisation, mais craignent un trop fort bouleversement.» Sa solution? «Il faut prendre le temps de passer d’un modèle à un autre. Si vous y allez trop vite, vous risquez de créer du flou et de la confusion.» Elle emprunte cette analyse aux neurosciences: «Si vous plaquez l’individu devant les changements, il tombe dans une gouvernance reptilienne qui l’amène vers de la résistance. Au contraire, pour réussir l’agilité, il faut que chacun puisse trouver sa place. Dès que la direction a redonné un nouveau cap, elle doit permettre aux individus de se réapproprier les objectifs, d’être acteur plutôt que spectateur.»
Transition à forts enjeux
Le passage des modèles verticaux vers plus de transversalité est au coeur de toute transformation. La hiérarchie militaire, dans l’ADN du leadership suisse, est remise en question. Charlotte d’Aulnois: «Le chemin de commandement traditionnel doit se réinventer. L’avenir des organisations se trouve dans les synergies transverses. Le rôle de notre cabinet est de faciliter cette transition.» L’entreprise libérée, un modèle pour demain? Elle nuance: «Nous sommes dans une phase de superposition de plusieurs modèles. Mais sur le long terme, nous allons vers un modèle au plus proche du marché, donc moins vertical oui. Cela dit, quand la transition est trop rapide et mal vécue, quand le niveau de maturité n’est pas suffisant pour rester dans l’agilité, faute de mieux, les entreprises reviennent à l’ancienne structure.» Ces transformations avortées seraient en grande partie causées par des directions générales frileuses. Elle confie: «Quand le CEO se met à trembler en pleine tempête, toute la démarche périclite.»
Vision et cohérence
Pour passer à travers, son cabinet propose d’activer trois leviers: la définition d’une vision cohérente, le développement d’un leadership courageux et la «mise en puissance» des équipes transverses. Elle détaille: «Trop d’organisations n’ont pas de vision, ni d’objectifs précis. Les dirigeants ne se donnent pas les moyens de leurs ambitions. Cela provoque du désengagement. Une fois cette vision clarifiée, c’est aux managers de proximité et aux équipes de créer le chemin pour l’atteindre. Le système doit être intégré. Sans cette dimension humaine de l’aventure, on se perd dans une folie financière et bureaucratique, dénuée de sens.» Elle insiste sur cette dimension itérative de la démarche. «Par le passé, les directions établissaient une stratégie et réunissaient l’ensemble du personnel pour leur expliquer à quelle sauce ils allaient être mangés. Cette méthode top-down ne fonctionne plus. Le rôle de la direction générale est de clarifier la vision, la mission et l’intention générale, le «quoi». Le «comment» est l’affaire des équipes sur le terrain. Ne pas leur donner cette autonomie revient à voler leur leadership et à les infantiliser.»
Valeurs versus règles
Sans cette cohérence stratégique et cette cohésion des équipes, aucune agilité de l’organisation. «Notre rôle est d’accompagner cette transformation, de manière insolente et bienveillante. Nous challengeons la direction autour de la cohérence stratégique et accompagnons les managers de proximité dans leur leadership pour qu’ils inspirent et embarquent leurs équipes. C’est une autre façon de conduire une entreprise. Les dirigeants sont au cœur de l’organisation et non plus à sa tête. Tant que leur impulsion n’est pas donnée, la transformation ne s’enclenche pas.» Et faut-il établir des règles pour permettre cette autonomie des équipes? «Tout dépend du niveau de maturité de l’organisation. Avec un faible niveau de maturité, les équipes auront besoin de règles. Plus cette maturité augmente, plus vous pouvez vous appuyer sur des valeurs.»
Recruter, retenir et mobiliser
Quel rôle pour les départements RH dans cette révolution culturelle? «Ils ne peuvent initier le mouvement seuls car ils sont juges et parties. Par contre, c’est à eux de prendre le relais en animant la communauté humaine.» Selon Charlotte d’Aulnois, les RH ont trop longtemps été relégués à une fonction support. Ils sont pourtant les acteurs clés dans la construction des communautés transverses. Comment? Elle expose: «Recruter, retenir et mobiliser différemment. Recruter non seulement sur les compétences mais sur la posture. Les compétences c’est le fuel, qu’ils aillent chercher le moteur et la passion. Retenir en étant des acteurs de l’autonomisation. Trop souvent, la responsabilité est saucissonnée. Les RH doivent permettre à chacun de créer sa propre aventure. Enfin, mobiliser en faisant le lien avec la cohérence stratégique. Les individus ont besoin de traçabilité sur leurs propres performances. C’est aux RH de mettre en valeur la contribution de chacun lors des revues de performance».
Entre Lyon, Boston, Zurich et Lausanne
Sa contribution personnelle commence en 1976 à Paris, où elle naît, fille aînée d’une fratrie de cinq. Son père est ingénieur chez ABB, sa mère psychologue. Elle grandit entre Paris, Lyon et Boston. Après un triple Deug (Diplôme d’études universitaires générales) en psychologie, philosophie et littérature française à l’Université Lyon 2 – «je voulais être professeure» –, elle s’oriente vers un Master en business et administration à l’IAE de Lyon 3, «j’avais envie d’aller sur le terrain et comprendre le monde». À 23 ans, elle enchaîne avec un MBA au Boston College. Commence alors une carrière dans l’économie mondialisée, d’abord chez Aventis CropScience (herbicides et fongicides), où elle tient un «énorme poste en gestion de produit» au niveau mondial. Après la naissance de sa première fille, elle s’installe à Zurich puis devient responsable Marketing chez Fischer Connectors (connecteurs). Elle s’installe ensuite sur les bords du Léman et reprend la direction marketing des pacemakers chez Medtronic (médical). Une heure après la naissance de sa deuxième fille, elle fait un arrêt cardiaque: «Je m’en suis bien sortie mais j’ai compris que je devais ralentir.» Elle commence à enseigner le leadership à l’École hôtelière de Lausanne et à l’IMD. Après cette parenthèse plus apaisée, elle repart au front et prend le poste de codirectrice de Mövenpick pour le groupe Nestlé. Enceinte de son troisième enfant, fatiguée des jeux politiques en multinationales, elle fonde en 2015 sa société de conseils après deux Masters en neurosciences et en coaching. La voilà, elle aussi, métamorphosée.
Bio express
1976 Naissance à Paris
1999 MBA à Boston
2000 Entre chez Aventis CropScience
2002 Arrivée en Suisse
2007 Enseigne à l’IMD
2015 Fonde Generative Humanae