Professeur boussole
Jean-Yves Mercier vient de publier un guide pour trouver du sens dans sa vie professionnelle. Directeur du EMBA de l'Université de Genève, il est aussi le co-fondateur du Self-Leadership Lab, un programme déjà suivi par 2800 managers à travers le monde.

Photo: Pierre-Yves Massot / realeyes.ch pour HR Today
Amateurs de solutions toutes faites, passez votre chemin! La lecture du dernier livre* de Jean-Yves Mercier provoquera plutôt la fin de vos certitudes, une réflexion en profondeur et la remise à niveau de (ce que vous croyiez être) votre zone de compétence. Bienvenue dans le monde complexe et revigorant du Self-Leadership. Professeur à l’Université de Genève, directeur du EMBA, cet ingénieur de formation vient de publier l’oeuvre de sa vie. Un ouvrage sur le sens au travail et la construction d’une trajectoire professionnelle. Bâti sur plusieurs références solides (Morin, Argyris, Mintzberg), le bouquin propose une sélection d’outils et des questionnements pour trouver son étoile du Nord. «Je l’ai écris en 4 mois, tôt le matin, entre 5h à 9h. Mais ça fait 15 ans qu’il mûrit», sourit Jean-Yves Mercier une après-midi de janvier 2025, dans la salle de cours d’Unimail où il enseigne pour l’Executive MBA.
Choix plus éclairés
L’ouvrage est aussi le fruit de sa rencontre avec les 2800 managers qui ont suivi le programme du Self-Leadership Lab, qu’il a co-fondé en 2010 avec l’Université de Genève. 92% de ces managers ont mis en oeuvre un des trois scénarios professionnels imaginés durant le cursus. Il précise: «Je ne suis pas un gourou du développement personnel. Nous aidons simplement les managers à faire des choix professionnels plus éclairés. Quand je les croise des années plus tard, ils me disent être plus épanouis et avoir trouvé du sens à leur activité.»
Sortir du sens unique
La première partie du bouquin est dédiée à cette construction du sens. «Cette préoccupation s’est renforcée avec la crise Covid. Au fur et à mesure que le sens collectif se délitait, les individus construisaient leur propre sens. Mais rester sur le plan individuel est un sens unique. Nous avons aussi besoin de sens collectif. Ce qui m’intéresse, c’est l’articulation entre les deux. Au temps de mon père, c’était l’entreprise qui fournissait le sens. Aujourd’hui, c’est devenu une coresponsabilité. Chacun doit faire un bout du chemin. L’entreprise doit clarifier sa mission, ses valeurs et sa contribution à la société. L’individu est responsable de son épanouissement professionnel.»
Huit étapes
Nous voici donc au coeur de son offre. Le voyage du Self-Leadership est un itinéraire en huit étapes. Au sommaire: «Les rôles que nous jouons. Notre viabilité dans nos rôles. Notre personnalité au travail. Notre énergie en action. Les moteurs de notre évolution. Notre maturité. Notre boussole personnelle. Et enfin: passer à l’action.» À chaque étape, il donne des clés de lecture et des bonnes questions. Il provoque et rassure. Le livre est parfois éclairant, parfois déroutant. La connaissance de soi est un art subtil. Nous connaissons tous certaines facettes de notre personnalité. D’autres sont plus difficiles à saisir. Face à ces côtés obscurs, Jean-Yves Mercier montre le chemin. À nous d’allumer la lampe torche.
Scénarios et boussole
Comme les frères Lumière, il conseille ensuite de voir la vie comme un film. «Un scénario est plus riche qu’un plan d’action. C’est une épine dorsale. Avoir des bons scénarios permet d’affronter les imprévus. Alors qu’un plan d’action est rigide. Au premier obstacle, il est souvent abandonné. Le sens n’est pas donné une fois pour toute. Il doit être construit en contexte, au rythme des étapes d’une carrière.» Mais les scénarios ne suffisent pas. Pour trouver son chemin, il faut aussi une bonne boussole. Jean-Yves Mercier: «La boussole permet de se mettre en mouvement. Qu’est-ce que je veux atteindre? Avec quel bénéfice et pour qui? Qui vais-je emmener avec moi? Que vais-je développer pour moi-même?» Ce ne sont pas des questions simples. Il confie: «En général, les managers sont au clair sur deux ou trois de ces questionnements. Rarement sur les quatre.»
Énergie et carrière
Il rajoute ensuite une dimension supplémentaire: l’énergie. Celle-ci va varier selon notre âge, notre situation professionnelle et les tâches à réaliser. «Certaines activités vous donnent de l’énergie, d’autres vous en prennent. J’invite les managers à identifier ces situations et à voir les évolutions possibles. Nous sommes parfois exécutants, parfois contributeurs, parfois subordonnés, parfois partenaires. Et dans certaines situations, il faut savoir redescendre d’un niveau, redevenir un apprenant pour maîtriser les codes, redevenir un artisan pour accumuler de l’expérience.»
Un monde de spaghettis
Ces différents niveaux d’énergie expliquent aussi l’avènement des entreprises libérées, dit-il. «Aujourd’hui, les individus ont envie d’évoluer et de contribuer. Les organisations sont de moins en moins figées. Le monde est devenu complexe.» Pour comprendre la différence entre compliqué et complexe, il paraphrase Edgar Morin: «Construire un Airbus avec un mode d’emploi c’est compliqué. Manger des spaghettis à la bolognaise sans tacher sa chemise, c’est complexe.» Nous vivons aujourd’hui dans un monde imprévisible. «Rien d’ésotérique là-dedans, rassure-t-il. Le Self-Leadership permet de clarifier les choses. Les décisions s’imposent ensuite d’elles-mêmes.»
Confiance en soi
«Les managers qui sortent du Self-Leadership Lab connaissent mieux leurs forces et faiblesses, ont des buts professionnels plus clairs, un meilleur Work-Life Balance, comprennent mieux l’utilité de leurs actions et ont plus confiance en eux», écrit-il. La confiance en soi est à la mode aujourd’hui… Il sourit: «Avoir confiance ne veut pas forcément dire devenir la meilleure version de soi-même, avec un arrière-goût de moralisation judéo-chrétienne. Nous avons tous des défauts et l’humain a plusieurs facettes. Pour certains, la confiance sera de se dépasser, pour d’autres, de redonner à la communauté qui les a vu naître. Avoir confiance revient à accepter notre manière d’être au monde.»
Reprendre le contrôle
Plusieurs managers qui témoignent dans le livre avouent avoir été surpris par les résultats de leur quête. Jean-Yves Mercier: «C’est assez normal. Nous offrons plusieurs perspectives. Certains chemins sont connus, d’autres pas du tout. L’être humain se construit aussi en réponse aux attentes de la société. 50% des êtres humains choisissent leur carrière en lien avec leurs modèles familiaux. Le but n’est pas de s’extraire de la société mais de lever la tête et d’imaginer d’autres options. Parfois, le fait de prendre un peu de distance nous rappelle pourquoi nous faisons le même job depuis 20 ans. La plupart des participants du programme restent dans leurs métiers mais l’incarnent mieux.»
Disciple de Crozier
Lui a changé plusieurs fois de vie et de métier. Né à Bourges au centre de la France, il grandit au rythme des déplacements professionnels de son père, cadre de la banque BNP Paribas. Après Rennes, Saint-Etienne et Gap, la famille s’installe à Paris, où le jeune Jean-Yves, bon élève et bon vivant, devient ingénieur civil. «Je voulais faire un truc concret». Dégoûté par les magouilles du bâtiment, il quitte les chantiers et poursuit ses études avec un MBA à la Sorbonne et un Doctorat en Sciences économiques et sociales à Genève. Ses directeurs de thèse sont Gilbert Probst et Michel Crozier. Du lourd. À côté de ses recherches, il travaille à la défunte Swissair, puis au groupe allemand Bahlsen (biscuits) où il devient DRH à 33 ans. Il revient ensuite à Genève et se lance dans le consulting. Ses spécialités: l’accompagnement du changement et la création d’académies de formation interne (il met sur pied l’institut de formation de la Confédération). Au sommet de la vague, il décide de changer de vie et revient à l’Université de Genève pour enseigner et fonder, en 2010, le programme de Self-Leadership.
BIO EXPRESS
1986 Ingénieur civil à l'ESTP Paris
1995 Docteur en sciences économiques et sociales à l'Uni de Genève
1997 DRH du Groupe Bahlsten (biscuits)
1997 Fonde ProMan Consulting
1998 Professeur de Self-Leadership à l'Uni de Genève
2010 Fonde le Self-leadership Lab