La chronique

Reconnaissances?

Serait-ce un compulsif besoin de reconnaissance qui transforme insidieusement nos réseaux sociaux professionnels en pâles plateformes d’autocongratulations et d’insipides autocélébrations? Avec une profusion de superlatifs, jusqu’à l’impudicité? Ou bien certains de ces étalages ne procèderaient-ils seulement que d’une maladie de l’ego, liée au besoin d’être reconnu? Habituel second, le manque de reconnaissance suit, à quelques micro-frustrations près, l’immanquable champion des doléances partagées: celle de la non-communication...

Mais qu’est-ce que la reconnaissance? Parfois «de dette», elle constitue un acte juridique par lequel j’atteste devoir quelque chose à quelqu’un. M’engageant à restituer ou à compenser ce dû. Serait-ce cette reconnaissance-là, dont j’entends partout la poignante demande, dans les organisations que je sers? Une dette contractée par l’employeur, vis-à-vis de ses collaborateurs? Un dû que ni salaires ni primes ou bonus n’éteindrait?

L’étymologie nous ouvre une autre piste. Dans le verbe reconnaître, il y a premièrement le mot de connaître. Qui veut dire naître ensemble. Co-naître, c’est-à-dire co-vivre et co-inventer sans cesse de nouvelles façons, conjointes et solidaires, de vivre et de travailler. S’agirait-il donc, à chaque instant, de créer ou de recréer, au sein de chaque relation – unique, personnelle, fluctuante et variable, engageante, vivante donc incertaine – cette renaissance, humaine et humanisante?

L’insatiable appétit de reconnaissance partout affiché pose immanquablement la question de la vérité de la relation entre collaborateurs et managers. Beaucoup semblent comme enfermés – ou égarés – dans les labyrinthes de conventions arbitraires ou génériques: cahiers des charges, définitions de fonctions, objectifs péremptoires imposés, procédures intangibles (et très souvent contreproductives...), idées, formules et méthodes, comportements ou même dress-code... imposés par d’autres, souvent inaccessibles, dans le temps, l’espace ou par le budget. N’existe-t-il pas cependant une autre origine à cette quête de reconnaissance, aussi vitale que le besoin d’une vraie communication?

Tous, depuis notre enfance jusqu’à notre dernier jour, nous aspirons, par l’effet d’un fonctionnement psychique universel lié à notre intelligence sociale et à nos comportements grégaires, à contribuer. Apporter notre pierre, si petite soit- elle, à un édifice commun, nous est essentiel! L’enfant voudra aider son père ou sa mère, à la cuisine, au jardin ou dans l’atelier, quitte à commettre quelques maladresses, parce qu’il veut contribuer. Des études ont démontré que cette aspiration à créer un Bien Commun à partager, à chaque âge de nos vies, constitue une universelle motivation. À titre d’exemple, mon grand-père ébéniste était aussi pompier volontaire, musicien bénévole et fabricien engagé. Sa contribution, marchande ou non, irriguait sa vie d’une belle, sereine et calme énergie. Manifestait-il un besoin de reconnaissance? Non, jamais.

Il se donnait à lui-même la reconnaissance dont il avait besoin, par le seul fait de contribuer positivement à son environnement, pour son bénéfice et pour celui des autres. C’est ainsi que nous fonctionnons tous, au-delà de nos croyances et de nos conditionnements: si j’aide ma voisine, ai-je besoin de sa reconnaissance ou de celle d’autres voisins? Ou bien l’acte en lui-même ne me suffit-il pas à me générer la reconnaissance dont j’ai besoin?

Peut-être la mercantilisation de nos relations humaines, l’isolement social qui s’impose autant que les non-pensées systémiques, autoritaires et faussement rationnelles, nous l’ont fait oublier? Si je contribue assez, je me donne à moi-même cette reconnaissance et n’ai besoin d’aucune prime sur objectif (qui transforme mon labeur, déjà rémunéré, dont je suis fier et qui m’ennoblit, en mercenariat obligatoire et stipendié) ni de récompense réelle ou symbolique.

C’est un des axes du management pour notre futur: apprendre à authentiquement stimuler la contribution efficace (et non pas augmenter la charge de travail ou les objectifs) de chacun de nos collaborateurs, pour éradiquer cet intangible et évanescent «besoin». Le moyen en est très simple, qu’une seule question, à la base aussi de toute communication, opère sans échec: «Qu’en penses-tu?»

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Xavier Camby est Directeur du cabinet Essentiel Management, qui forme les dirigeants à la gouvernance du futur, et auteur de «48 clés pour un management durable».
 
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