La chronique

Retrouver le bonheur?

La «grande démission» est donc le symptôme d’un bonheur perdu. Ce bonheur construit sur la réussite individuelle, la carrière, la richesse et le succès a dévoilé sa vanité. C’est un paradis artificiel, acheté à coup de carte de crédit pour des expériences inédites et d’évasion du quotidien, il ne révèle pas le potentiel de liberté attendu.

Le quotidien du travail aliène de plus en plus, la perte de soi se fait ressentir, malgré et avec les tentatives de «développement personnel». Les statistiques de santé mentale inquiètent. Comme le disait le sociologue Dominique Depenne: lorsque l’argent prime, le collaborateur déprime.

Depuis deux décennies, l’organisation sociale, dans ses formes étatiques, citoyennes, dans ses sociétés locales et bénévolats, est en perte de vitesse. L’entreprise se trouve face au même défi, elle vit la même grande démission qui a déjà eu lieu dans les autres lieux sociaux. La perte de sens, de motivation, d’engagement, déstabilise, entravant l’équilibre personnel, social, entrepreneurial, et toute perspective de long terme. Seul le vécu immédiat, individuel, compte.

Cependant l’homo economicus reste un être social. Et la remise en question qui sous-tend la grande démission est collective, malgré toutes les velléités de l’ego. C’est collectivement également que l’évolution sociétale se vivra. Mais avec quel collectif?

Car ce sont aujourd’hui de nouveaux collectifs qui surgissent, des collectifs enfermant dans un système de pensée unique, avec l’extrémisme qui l’accompagne forcément. Racisme, extrême droite, ou militantisme climatique destructeur, pour prendre quelques exemples, ne réunissent que leurs semblables et abrogent toute cohésion sociale.

L’entreprise, dernier bastion du collectif, doit redevenir un lieu d’appartenance, de socialisation et de sécurité psychologique. Les appels à considérer la santé mentale au travail sont le cri d’alerte d’une société en délitement, sans autre levier d’action que celui de l’entreprise – victoire certes du néolibéralisme et du consumérisme, mais échec pour l’humain. Au-delà de la prévention prônée, il s’agit, soyons honnêtes, de reconstruction. Non pas d’attention, mais d’actions.

Et rappelons que la santé mentale, dans ses compréhensions actuelles, n’est pas histoire individuelle, mais histoire de vivre au monde, en relation. C’est ici que l’entreprise peut devenir lieu de développement durable, de ciment social, en offrant un cadre, une culture, des valeurs, un mythe collectif.

C’est dans les équipes, au cœur du travail, que doit renaître le sens, non dans les avantages matériels et immatériels. C’est dans un retour sur la mission à accomplir ensemble que renaîtra la motivation, et que la cohésion pourra renaître. En osant les questions éthiques, les questions de rapport et d’apport à la société, à l’avenir.

Prendre le temps, telle est probablement le premier pas à faire. Le temps de discuter, le temps de composer, le temps de créer ensemble. Au-delà du management agile qui responsabilise l’individu et favorise la rapidité, retrouver un management de cohésion, de participation, de responsabilisation les uns pour les autres, est essentiel. Ces espaces temporels sont à définir, à nommer.

Puis deux compétences nouvelles du management sont à développer: celle, très pédagogique, de mener un processus avec un groupe, celle, très créative, de soutenir et rejoindre le groupe dans son parcours, tout en gardant le cap global. Il est donc à souhaiter que les entreprises donnent les moyens aux managers d’initier et poursuivre ce processus – dans les formes de management et d’organisation, dans les compétences à développer, dans les moyens externes alloués.

Au final, faut-il transformer la cohésion et la coopération en chiffres statiques, ou lâcher les chiffres pour redonner sens? Seul un «management durable» permettra à l’entreprise de se réinventer pour demain.

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Ariane de Rham est aujourd’hui Directrice de l’ESSIL, école supérieure formant les éducateurs sociaux à Lausanne. Son profil est pluriel. Après une première carrière en tant que pasteure, elle a effectué une formation en gestion d’entreprise. Depuis, elle développe et met en place les outils de management et RH les plus divers, les projets stratégiques de développement et les outils pratiques. Elle a travaillé pour les Oeuvres sociales de l’Armée du Salut, pour la Fondation Le Repuis et pour la Fondation Jeunesse et Famille.

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