La chronique

Sortir de l'effet Dunning-Kruger

Honnêtement, qui aime se dire incompétent? Avouer, devant plusieurs interlocuteurs, qu’il n’a pas réellement d’expérience dans ce domaine, qu’elle n’a pas eu l’occasion d’approfondir ses connaissances? C’est une expérience humaine peu agréable et culturellement peu valorisée sous nos latitudes.

Et tout au fond, comment soi-même se rendre compte de ses ressources, de son niveau? Comment s’auto-évaluer, et pourquoi les autres arrivent-ils parfois à des conclusions bien différentes? Les psychologues David Dunnig et Justin Kruger ont exploré il y a une vingtaine d’années le biais cognitif qui mène à un excès de confiance en soi, décorrélé d’une compétence exécutive.

En formation, la première étape pédagogique est de faire passer l’apprenant d’un état «inconsciemment incompétent» à un état «consciemment incompétent», pour susciter l’envie d’apprendre. Poser l’objectif suppose de poser le point de départ, et le chemin à parcourir. La pédagogie expérientielle facilite la mise en relief et la perception de ses domaines et niveaux de compétence et de ses zones de progression.

Encore faut-il que l’apprenant y soit réceptif, qu’il ait la capacité personnelle de se situer. Comprendre la complexité du savoir et être capable de métacognition sont les exigences intellectuelles. Des enjeux psychologiques autour de la confiance en soi, et d’une forme d’affirmation de soi née de blessures plus que de sécurité personnelle, fragilisent la métacognition. Des motifs de contexte jouent également un rôle primordial, par exemple la charge personnelle et mentale limitant la disponibilité à l’apprentissage, des valeurs et croyances, des appartenances à remettre en cause pour progresser, ou un environnement d’équipe n’offrant pas la liberté de développer et tester ses compétences.

S’auto-évaluer reste un challenge – au-delà de l’aveu intime à se faire à soi-même – par manque de critères de compétences clairement définis. 

Les systèmes de formation professionnelle ont évolué pour promouvoir cette dimension – elle reste complexe. Il faut une formation en soi pour comprendre l’évaluation par compétence, la définition des items, les nomenclatures de référence usuelles. Seules de grandes entreprises en ont les moyens, qui plus est dans la multiplicité des métiers et leurs évolutions permanentes. Et rares sont les collaborateurs qui en ont une compréhension suffisante. Il sera plus aisé de se comparer à un collègue qu’à un critère. De s’évaluer par rapport à une attente que sur une grille complexe. À l’inverse, il est également fort difficile de reconnaître les compétences d’autrui, étape pourtant essentielle de son auto-évaluation.

En management, comme dans tout enjeu d’équipe au-delà de l’organisationnel, comprendre le niveau et les domaines de compétence d’autrui participe de la saine collaboration. L’apport de l’interlocuteur est-il pertinent? Quel est son niveau d’expérience ou d’expertise métier? A-t-il explicité d’où il parle? A-t-il saisi le contexte dans lequel il s’exprime? Comment le questionner ou lui faire un feedback sur cela? Souvent, au lieu d’un temps d’arrêt pour évaluer, deux réactions immédiates font place: contredire un apport pourtant qualifié, car dérangeant, ou adopter un apport peu qualifié, par manque d’expertise ou simplement par agréabilité interpersonnelle. Le silence, l’absence de réaction, en est une 3e forme. La loi du moindre effort semble être un excellent partenaire du syndrome Dunning-Kruger.

À l’inverse, les techniques d’explicitation enrichiront le dialogue, en management et en collaboration. Écouter pour comprendre, au lieu d’écouter pour répondre. Permettre de décrire les faits, les constats, puis les déductions et conclusions. Se focaliser sur les éléments pertinents, sans noyer le poisson ou se perdre dans les détails est important. Cela demande du temps, de l’ouverture, du courage, et surtout de l’humilité. Car chacun·e est compétent·e, mais pas en tout et pas tous de la même manière. C’est ainsi que pourrait grandir l’intelligence collective, si tant est que les egos l’acceptent.

commenter 0 commentaires HR Cosmos

Ariane de Rham est aujourd’hui Directrice de l’ESSIL, école supérieure formant les éducateurs sociaux à Lausanne. Son profil est pluriel. Après une première carrière en tant que pasteure, elle a effectué une formation en gestion d’entreprise. Depuis, elle développe et met en place les outils de management et RH les plus divers, les projets stratégiques de développement et les outils pratiques. Elle a travaillé pour les Oeuvres sociales de l’Armée du Salut, pour la Fondation Le Repuis et pour la Fondation Jeunesse et Famille.

Plus d'articles de Ariane de Rham

Das könnte Sie auch interessieren