Débat

Un âge minimum pour les recruteurs?

Le consultant RH Ulrich von Känel ne jure que par l’expérience des recruteurs seniors. Responsable du sourcing des candidats au groupe Tamedia, Angelo Ciaramella propose au contraire de limiter l’âge des recruteurs de Digital. 

Pour: Ulrich von Känel

Pourquoi ne pas profiter des avantages de l’ancienneté, surtout dans un marché du travail qui a tendance à discriminer les travailleurs de 50 ans et plus? Bien sûr, l’âge ne peut pas être considéré comme une compétence en soi. Cela dit, c’est seulement après plusieurs années de pratique du re­crutement que j’ai vraiment commencé à évaluer avec justesse la personnalité et le caractère de celui ou celle qui était assis devant moi.
 
Cette assurance et ce calme dans le jugement viennent seu­lement avec le temps. L’expérience est, à mon avis, le seul ingré­dient qui permet de lire entre les lignes d’un CV ou de percevoir les angles morts d’un candidat lors d’un entretien d’embauche. Car seuls les erreurs et les échecs vécus personnellement vous permettent de ne pas les répéter et de ne pas tomber dans les pièges ten­dus par les autres. L’alchimie d’une relation entre deux êtres humains n’est pas une science exacte. C’est plutôt une affaire de
pratique. Evaluer avec justesse le bon profil pour intégrer une équipe ou savoir quel collaborateur nommer au poste de chef d’équipe est un art qui se bonifie avec le temps. Et non en étant un technicien hors pair des profils de poste.
 
J’ai besoin d’expérience – si possible en grande quantité – afin de cerner la personne qui est en face de moi, avec ses sa­voir-­faire et ses savoir-­être. Un processus de recrutement, même très performant, ne me sera d’aucune utilité pour réussir la délicate intégration d’un collaborateur dans une nouvelle équipe. A quoi me servent tous ces indicateurs et ces bilans chiffrés si je ne peux pas faire confiance à mon intuition au moment de prendre une décision? Ce serait naïf de croire qu’une question sur les forces et les faiblesses du candidat me sera d’une grande utilité. Ni les techniques de plus en plus so­phistiquées des recruteurs (tests de personnalité notamment), ni les entretiens structurés, ni les statistiques produites par un ordinateur ne vont m’aider à choisir le bon candidat. Pensez­ vous réellement que le travail du recruteur sera un jour rem­placé par des Applications pour Smartphones?
 
Il existe par contre quelques conditions cadres pour légiti­mer tout ce que je viens d’écrire. L’expérience se construit tout au long d’une vie. Il implique de s’attacher aux grandes ques­tions de la vie avec sérieux afin d’ancrer sa posture dans des va­ leurs personnelles fortes. Ce que la vie m’offre en cadeau doit être cultivé avec patience et atten­tion. Ce serait une erreur de prendre les choses à la légère comme si tout nous était dû. Cette attitude critique et constructive envers moi­-même est ce qui va me donner la maturité et l’ancienneté dont je parlais plus haut. Et cette question reste ouverte: comment vais-­je pouvoir assimiler toutes ces expériences de recrutements si je ne me lance pas dans ce métier dès mes 20 ans?
 
 

Contre: Angelo Ciaramella

Plusieurs facteurs vont influencer l’approche du recru­teur au moment de prendre une décision: ses valeurs, son contexte socio­culturel, la situation conjoncturelle du mo­ment et son expérience. Ces facteurs expliquent les différences d’approche entre les générations. Je n’oserais pas écrire ici que les recruteurs de 40 ans et plus sont dépassés, au contraire, l’expérience joue un rôle prépondérant dans ce métier. Cepen­dant, je suis convaincu que dans certaines branches d’activité, le choix du bon profil dépend fortement du recruteur. C’est là qu’il faut séparer le bon grain de l’ivraie: un recrutement classi­que se différencie passablement de l’acquisition d’un talent. Et l’âge du recruteur va jouer ici un rôle. Par exemple, les affinités avec le monde digital du recru­teur se répercuteront sur sa
méthode.
 
Quelques exemples: je suis d’avis qu’on ne débauche plus un candidat aujourd’hui, on l’attire vers nous car son profil correspond à notre marque em­ployeur. Etre à l’aise avec les mé­dias sociaux me semble aussi indispensable de nos jours. De plus, je m’identifie avec la posture de la génération Y: je serai engagé et authentique dans mon travail si je peux m’identifier avec le sens de ma mission. En tant qu’acquéreur de talents (Talent Scouter, en anglais), cette dimension du sens au travail est importante et je sais qu’elle va influencer le processus de sélection. J’ai rarement constaté cette attitude auprès des re­cruteurs de la génération des Baby­boomers.
 
Les critères de sélection changent également: un jeune candidat ne voit pas un travail comme un engagement à vie; il verra également sa progression de carrière de manière totalement différente. Ces questions sur le sens du travail et la manière de se projeter dans une carrière diffèrent fortement d’une génération de recru­teurs à une autre. Et ces postures différentes vont influencer sa décision. Ces différences d’approche sont plus visibles dans les secteurs qui ont été transformés par les nouvelles technologies (les médias par exemple). Si je devais trouver un recruteur dans mon domaine, j’aurai envie de savoir quelles affinités il ou elle tient avec la digitalisation de notre économie. Et plus il ou elle est âgé/e, plus cette affinité posera problème. Dans le cas d’une société informatique avec une culture de start-­up, le recruteur devra comprendre et intégrer ce contexte technologique afin d’identifier les candidats qui cor­respondent le mieux à la mission.
 
La révolution digitale n’est pas une mode. C’est une transforma­tion en profondeur de notre éco­nomie, ce qui peut être difficile à concevoir et à «vivre» pour un recruteur plus âgé. Dans le même ordre d’idée, je ne vais pas remplacer un collaborateur qui a 20 ans d’ancienneté avec un jeune sans expérience. Si je demande à un collaborateur âgé d’évaluer un jeune, la perception sera sans doute plus négative que si l’évaluateur était plus ou moins du même âge. Je dirais pour conclure que le recrutement n’est pas une affaire d’âge mais de valeurs. L’évolution rapide des valeurs dans notre société différencie donc la posture d’un jeune recruteur de son collègue plus âgé, ce qui peut être pro­blématique dans certaines branches.
 

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L'expérience de vie d'un recruteur senior va-t-elle contribuer à augmenter son taux de réussite? Ou au contraire, est-ce plutôt une affaire de valeurs partagées. En ce sens, mieux vaut être jeune pour recruter un apprenti... Qu'en pensez-vous? Réagissez à ce débat sur notre groupe de discussions HR Today Magazine sur LinkedIn.

 

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Ulrich von Känel est associé chez Schärpartners SA, une société de conseils spécialisée dans les prestations RH.
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Angelo Ciaramella dirige l’unité Active Sourcing et Talent Scouting chez Tamedia.
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