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Une interaction homme-machine au service des malvoyants

La start-up lausannoise Biped.ai a développé un harnais intelligent destiné aux personnes atteintes d'un handicap visuel. L'appareil détecte les obstacles pour faciliter la mobilité de ses utilisateurs, ouvrant aussi de nouvelles perspectives d'inclusion dans le monde du travail.

Près de 377 000 personnes sont malvoyantes, aveugles ou sourdes-aveugles en Suisse, selon les données de l’Union centrale suisse pour le bien des aveugles (UCBA). On estime que 75% d’entre elles sont au chômage, un chiffre qui témoigne notamment des difficultés à surmonter les difficultés liées à la mobilité pour accéder au monde professionnel.

La jeune pousse lausannoise Biped.ai veut changer la donne avec un harnais intelligent destiné à améliorer la mobilité des personnes malvoyantes ou aveugles. Baptisé Noa, sa commercialisation a débuté l’an dernier et combine plusieurs technologies innovantes: trois caméras à grand angle, un ordinateur embarqué qui analyse l’environnement, ainsi qu’un système d’alerte sonore en temps réel.

«Notre appareil analyse l’environnement et permet d’anticiper les collisions avec des obstacles potentiels – véhicules, piétons, etc. – en émettant des sons brefs pour alerter l’utilisateur», explique Maël Fabien, cofondateur de Biped.ai. La solution ne cherche cependant pas à remplacer la canne blanche, outil indispensable pour les malvoyants. «Là où la canne détecte les obstacles au niveau du sol dans un périmètre d’environ un mètre, notre harnais intelligent intervient en complément pour gérer les obstacles hors de portée ou à plus grande distance.»

L’idée du projet est née il y a trois ans, à l’occasion d’une rencontre fortuite avec une personne malvoyante qui utilisait l’application de visiophonie FaceTime avec un proche pour recevoir des indications sur son environnement immédiat. «J’ai trouvé cette approche intéressante, et contacté par la suite l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin à Lausanne pour savoir ce qui se faisait dans ce domaine. Cela correspondait aussi à mon intérêt pour les interactions homme-machine et le recours à l’intelligence artificielle que j’avais lors de mes études à l’EPFL.»

Inspiré des véhicules autonomes

Au cours de son développement, Noa a été testé par près de 250 utilisateurs malvoyants. «Les premiers retours ont été très utiles pour affiner notre outil. Il y a avait notamment trop d’informations à traiter, des alertes trop fréquentes. Nous avons ajusté le dispositif en conséquence, en travaillant notamment avec des développeurs de jeux vidéo pour concevoir une expérience sonore plus fluide et intuitive, comparable à un radar de recul, avec un son aigu lorsque l’obstacle se trouve en hauteur, et plus grave lorsqu’il est au niveau du sol.» La start-up s’inspire également des principes de la conduite de véhicules autonomes, et utilise d’ailleurs des algorithmes développés en partenariat avec le Honda Research Institute Europe, basé en Allemagne, qui permettent par exemple de supprimer les signaux «faux positifs» générés lors de la navigation.

La solution conçue par Biped.ai est particulièrement utile en extérieur, mais Maël Fabien compte également propager cette technologie pour faciliter la navigation dans les commerces ou les entreprises. «Nous travaillons avec plusieurs employeurs en Suisse et ailleurs pour rendre leurs bureaux plus accessibles aux employés ou aux visiteurs en situation de handicap visuel. Dans ce cas, nous cartographions les lieux avec des caméras pour créer un jumeau numérique 3D, qui sert ensuite de carte de navigation interne. Cela permet aux utilisateurs de se déplacer dans des espaces souvent complexes, sans avoir besoin d’un accompagnateur.»

Le développement de Biped.ai n’a pas été une mince affaire. En tant que dispositif médical, il nécessite l’utilisation de matériaux spécifiques et l’obtention de diverses certifications, un processus long et complexe. En Suisse, les dossiers de remboursement via l’assurance invalidité prennent du temps. Pourtant, l’intérêt est là, et la start-up a déjà vendu une centaine d’unités. «Le déploiement est un peu plus lent que ce que l’on espérait, notamment en raison des questions de régulation, mais nous sommes confiants et disposons d’une chaîne d’assemblage à la capacité extensible.»

Un levier pour l’insertion professionnelle

Il y a une année, Maël Fabien et son équipe ont remporté le Prix de la Canne blanche décerné par L’UCBA. «Le domaine du handicap visuel profite lui aussi déjà énormément des avancées technologiques en matière de réalité augmentée et d’intelligence artificielle. Les lauréats de cette année montrent justement à quel point ces développements peuvent favoriser l’inclusion des personnes malvoyantes et aveugles», déclarait à cette occasion Pierre-Alain Uberti, directeur général de l’UCBA.

Amaury Marchandise fait aussi partie de ceux qui croient au projet de longue date. L’entrepreneur dirige la société genevoise Seedgrowth, dont une partie de l’activité est consacrée à améliorer l’accessibilité des lieux culturels, sociaux ou professionnels aux hommes ou femmes atteints d’une déficience visuelle. Il préside par ailleurs l’association Trust to Achieve, qui aide les entreprises à devenir plus inclusives pour les personnes malvoyantes ou avec un handicap physique. «Les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sont de plus en plus importants pour les organisations aujourd’hui, mais je remarque que le volet social est malheureusement souvent le parent pauvre de ces efforts. Or l’appareil développé par Biped.ai apporte une réponse très concrète en matière d’aide et d’accessibilité.»

Seedgrowth distribue le harnais Noa en complément à d’autres outils, comme Navilens, une sorte de Code QR qui fournit un système de signalisation adapté aux personnes malvoyantes. «Ces nouvelles solutions représentent une opportunité unique pour les entreprises d’intégrer des talents qui, jusque-là, étaient souvent laissés de côté, souligne Amaury Marchandise. Il s’agit d’une situation win-win, car ces personnes ont beaucoup à apporter à l’entreprise en plus de leurs compétences, par exemple en termes de résilience.»

Il y a quelques mois, Biped.ai a démarré un projet en collaboration avec les Transports publics lausannois (TL) et la société Urbagestion, pour faciliter la navigation autonome des utilisateurs de Nao dans les transports publics. «Le projet a été inspiré par la situation d’une personne malvoyante vaudoise qui a trouvé un emploi à Genève, et qui a mis plus de six mois pour bénéficier d’une formation adéquate pour se rendre sur son lieu de travail, précise Maël Fabien. L’idée est de permettre un voyage en totale autonomie aux personnes malvoyantes, de la maison jusqu’à la porte d’entrée de l’entreprise, en passant par le métro.» À terme, Biped.ai espère également rendre accessible sa technologie à un plus large public, notamment les personnes âgées en EMS, souvent confrontées à des problèmes similaires de mobilité et d’orientation.

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Erik Freudenreich est le rédacteur responsable de la version française du site HR Today.

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