Personnalité vs compétence

Vers des recrutements et une gestion de carrière centrées sur les compétences

La HES-SO Valais-Wallis développe depuis plusieurs années des techniques d'entretien et de mobilité interne centrées sur les compétences. A terme, ces e-portfolios pourraient remplacer les CV et les lettres de motivation. Cette approche répond aussi aux défis du lifelong learning.

Le premier trimestre 2025 s’ouvre sur un paradoxe. Dans son Job Market Index, Adecco rapporte un rebond de 2% des offres en Suisse romande par rapport au trimestre précédent, mais rappelle que le niveau reste 9% plus bas qu’en début 2024. En parallèle, l’Office fédéral de la statistique (OFS) signale une mobilité record: 14,7% des personnes actives ont changé d’emploi entre 2022 et 2023, et la proportion grimpe à 21,1% chez les 25-39 ans. Or selon l’OFS, quatre entreprises sur dix déclaraient encore, fin 2023, des difficultés à recruter du personnel qualifié. Dans ce contexte, la capacité à faire évoluer les compétences internes devient aussi stratégique que le recrutement lui-même.

Aujourd’hui, l’approche par compétences s’impose comme la modalité pédagogique la plus pertinente préparant au mieux les futurs professionnels de demain. Afin de répondre à cette exigence, la HES-SO Valais-Wallis, via plusieurs filières d’études et l’Institut Entrepreneuriat et Management (IEM), a développé une méthodologie structurant cette démarche autour de plusieurs étapes de développement des compétences à savoir: définir, identifier, développer/expérimenter, évaluer, valoriser les compétences. D’un point de vue pédagogique, les étudiants prennent connaissance des compétences qu’ils vont être amenés à développer tout au long de leur cursus au travers de PEC (plan d’étude cadre) de leur filière, puis les identifient au moyen de preuves via par exemple des rapports de stage, des mandats spécifiques ou encore des activités extra curriculaires. Au travers de situations professionnalisantes, ils sont amenés à les développer et reçoivent une évaluation continue. Leurs progrès sont dès lors valorisés favorisant dans le même temps leur entrée sur le marché du travail.

L’e-portfolio comme fil rouge numérique

Pour donner corps au processus, il est important de s’appuyer sur un outil favorisant la réflexion: un e-portfolio sécurisé. Sorte de boîte numérique, il permet de réfléchir sur les compétences développées, de stocker les documents utiles, d’organiser les informations et enfin de partager plus largement son contenu. Il a donc une double vocation: alimenter des traces (preuves, illustrations) en lien avec des parcours d’apprentissage de plus en plus individualisés et ouvrir le dialogue notamment lors d’entretiens d’embauche.

C’est dans ce contexte que la haute école de gestion de la HES-SO Valais-Wallis, au travers notamment de la Filière Tourisme, a choisi d’organiser depuis plusieurs années des entretiens d’embauche fictifs. Avec le concours de professionnels aguerris au processus de recrutement, les étudiants sont amenés à utiliser leur e-portfolio. Au sortir de cet exercice, les professionnels sont unanimes, cet outil apporte une réelle plus-value à cette rencontre, car il permet de visibiliser et illustrer les compétences des candidats qu’elles soient développées lors de leur cursus de formation, mais aussi dans leurs activités extra curriculaires (job d’étudiants, engagement associatif, implication dans des clubs sportifs, etc.). Et dans le même temps, les étudiants bénéficient d’un support agrémentant leur discours. Ils peuvent construire leur déclaratif et montrer très concrètement de quoi ils sont capables.

La logique compétence dans le monde professionnel 

Transposée à l’entreprise, la logique reste la même: on définit un référentiel aligné sur la stratégie, on collecte des indices factuels (indicateurs de production, retours client) pour identifier les savoir-faire existants, on multiplie les expériences apprenantes ancrées dans les différentes activités professionnelles, on mesure l’avancée avec des indicateurs partagés, puis on valorise les acquis via la mobilité interne, l’extension de périmètre ou encore la visibilité dans la communication (marketing RH). Ainsi, on peut envisager que des mots identiques accompagnent la personne depuis sa première année de formation jusqu’à ses responsabilités managériales, seule l’échelle change, pas la méthode. 

Qu’en est-il alors de l’approche réflexive et du e-portfolio dans les entreprises? Un même lien peut être envisagé dans un contexte professionnel car chaque collaboratrice ou collaborateur peut y déposer ses réalisations, réflexions et attestations. Chaque manager obtient une cartographie actualisée des compétences de son équipe. L’Institut entrepreneuriat et management a ainsi pu tester la méthodologie sur le processus d’évaluation et de développement des compétences au sein des entreprises. Il en ressort notamment que l’entretien annuel bien souvent figé dans sa pratique peut ainsi céder la place à des échanges plus réguliers, nourris de traces concrètes. La gouvernance est claire: l’utilisateur décide de ce qu’il partage. L’organisation participe activement au développement de son capital humain dans un souci de lifelong learning. 

Quand la compétence nourrit la marque employeur 

Rendre le développement des compétences visible et réfléchi peut produire alors un double effet. Tout d’abord, cela peut impacter la fidélité des collaboratrices et des collaborateurs car une progression mesurée et reconnue réduit l’intention de départ. Pour rappel, selon plusieurs études sectorielles, remplacer une personne qualifiée peut coûter jusqu’à 70% de son salaire annuel si l’on compte les frais de recrutement, intégration et perte de productivité compris, ce qui confère aux actions de rétention un retour sur investissement plus que notable. 

Enfin, l’autre impact touche à l’attraction de l’organisation directement, car une offre d’emploi illustrant un parcours d’évolution concret reçoit davantage de candidatures qualifiées qu’une description de poste statique. Visibiliser permet de rendre tangible ce qui est proposé aux candidates et candidats et quand on sait combien les jeunes de la GenZ sont friands de développement professionnel, on comprend facilement la plus-value d’une telle approche. 

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Alexandra Hugo est professeure de gestion des ressources humaines à la HES-SO Valais Wallis.

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