Conseils pratiques

Vu de loin, vu de près: à priori versus hypothèse

L’a priori relève en grande partie de nos croyances, l’hypothèse peut être validée ou invalidée. Ces deux attitudes n’ont pas les mêmes conséquences.

La situation

Cinzia, responsable du service marketing d’une grande entreprise est chargée de l’intégration et de la formation de Cyril, un diplômé en communication fraîchement engagé. Ils travaillent ensemble depuis quatre mois et sont déjà en conflit ouvert, les problèmes ayant débuté à peine le jeune homme arrivé.

Tout à commencé, lorsque, à dessein, Cinzia a confié à Cyril des tâches basiques pour qu’il acquière les ficelles du métier et soit en prise avec la réalité du terrain, notamment avec le service après-vente. Âgée aujourd’hui de 53 ans, la responsable du marketing est entrée, il y a presque trente ans dans la société; elle a débuté dans une fonction technico commerciale, puis a régulièrement évolué en apprenant essentiellement par la pratique.

Durant les premières années de sa carrière, elle a également bénéficié du mentoring du fondateur; un homme dur et autoritaire, mais talentueux, qui a su lui transmettre son expertise. Elle considère que cette période a été la plus stimulante et formatrice de son parcours professionnel et c’est tout naturellement sur ce même modèle qu’elle encadre les nouvelles recrues.

Quant à Cyril, c’est un jeune homme brillant et déterminé de 23 ans qui a réussi ses études précocement en obtenant diverses mentions. Particulièrement au clair sur ses aspirations, il souhaiterait réaliser des analyses pointues pour valider ses acquis, mais aussi participer à des programmes novateurs afin d’obtenir au plus vite un poste de chef de projet. Cinzia lui a rapidement reproché son arrogance et Cyril a critiqué ouvertement le fonctionnement rigide et le style de management dépassé de sa supérieure hiérarchique. La situation a dégénéré et Cinzia souhaite licencier Cyril qui, de son côté, menace de porter plainte pour mobbing.

L’affaire fait grand bruit; le directeur du département a été informé du désaccord virulent entre Cinzia et Cyril et il n’est pas étonné. En son for intérieur, il savait que cela n’allait jamais jouer entre eux et ce conflit lui confirme qu’il avait raison; «Cinzia est une battante qui a gravi tous les échelons à la force du poignet et Cyril un jeune homme très ambitieux qui croit que le monde n’attend que lui».

Persuadé que Cinzia, à son âge, ne changera pas, le directeur souhaite déplacer Cyril qui dispose d’un très fort potentiel. Il prévoit aussi d’éviter, à l’avenir, de confier à Cinzia la responsabilité de collaborateurs juniors issus d’un cursus académique. Quant au responsable des Ressources Humaines, s’il craignait que des divergences entre Cinzia et Cyril émergent, il pensait que le duo serait à même de les dépasser. Il voyait en eux des personnalités complémentaires et avait imaginé qu’ils pourraient former une équipe de choc.

A ce stade, il suppose que «leur culture, leur âge et leur parcours très différents ont généré de fortes incompréhensions qu’ils n’ont pas su surmonter». Considérant toutefois que, pour tous deux, il y aurait matière à progresser et que le service pourrait bénéficier de leur diversité, il souhaite explorer dans quelle mesure leur collaboration reste possible et que mettre en place pour y parvenir.

Vu de loin 

Le directeur de l’unité et le responsable des Ressources Humaines ont une vision similaire: il est clair pour tous les deux que, du fait de leur personnalité et de leur vécu professionnel, Cinzia et Cyril éprouvent une grande difficulté à collaborer.

Vu de près 

Leur regard n’est pas identique. Le premier exprime un a priori, le second une hypothèse. Un positionnement plus divergeant qu’il n’y paraît à première vue et aux conséquences importantes.

L'analyse 

Énoncer une hypothèse, c’est fonctionner au niveau rationnel et conscient. «Hypo» signifie inférieur et «thèse» veut dire opinion; littéralement, formuler une hypothèse revient à énoncer quelque chose de moins fort qu’une affirmation. Par ailleurs, à l’aide d’une méthode définie, nous pouvons vérifier une hypothèse, ce qui permet de la valider ou de l’invalider. Ainsi le directeur RH fait l’hypothèse que malgré leurs différences, Cinzia et Cyril peuvent collaborer et il s’attache à s’en assurer.

«A priori» signifie au premier abord, à partir de ce qui vient avant, sans examen approfondi. L’a priori relève en grande partie de nos croyances qui sont pour la plupart inconscientes et se caractérisent par un sentiment de certitude. Les croyances ne sont pas la réalité – ce n’est d’ailleurs par la question, mais nous agissons comme si elles l’étaient; elles déterminent donc très largement notre perception de la réalité ainsi que nos comportements.

En affirmant a priori que Cinzia et Cyril ne peuvent pas collaborer, le directeur d’unité voit la crise qu’ils traversent comme la confirmation ultime qu’ils ne peuvent pas s’entendre et ne cherche pas à relever si d’autres éléments pourraient contredire sa vision et ses solutions.

Au final, non seulement nous ne cherchons pas à mettre en doute le bien-fondé d’un a priori – dont nous n’avons pas conscience, mais, au contraire, nous relevons avec énergie et sans nuance tout ce qui va dans son sens. Par leur ancrage profond, et le sentiment de maîtrise qu’ils nous procurent lorsque, à nos yeux, ils se confirment, nos a priori nous réconfortent et nous rassurent. D’ailleurs, qui n’a jamais dit ou pensé avec une satisfaction à peine dissimulée «ma première impression des gens ne me trompe jamais».

Au quotidien, il nous arrive souvent d’être à mi-chemin entre a priori et hypothèse, de nous contenter d’une vue partielle. Parce que tout va vite, que nous avons si peu de temps et que nous ne prenons parfois guère de recul; soyons vigilants!

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Annabelle Péclard est psychologue du  travail et co-directrice du Cabinet Didisheim.

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