Jobsharing

Collaborateurs en duopack

Partager, c’est beau, mais lorsqu’il s’agit de partager le travail, chacun espère peut-être secrètement en avoir moins que les autres. C’est pourquoi le jobsharing suscite des appréhensions. À tort, affirment ceux qui l’ont testé. 
Le jobsharing, c’est une sorte de duopack, mais cela ne signifie pas pour autant «deux collaborateurs pour le prix d’un». Pour les RH, les coûts de cette forme de travail seraient même un peu plus élevés, puisqu’il s’agit de gérer deux personnes au lieu d’une. Malgré cela, le jobsharing ne cesse de gagner du terrain. Selon une étude réalisée en 2014, quelque 27 % des entreprises helvétiques l’utilisent. «Cela concerne de plus en plus de postes en hautes sphères. En Allemagne, il y a déjà des postes de CEO en jobsharing. Ce n’est pas encore le cas en Suisse, mais on y arrivera bientôt car c’est la politique de demain», affirme Irenka Krone-Germann, co-directrice de l’association indépendante Part-Time Optimisation (PTO), mandataire de l’étude.
 
Le taux d’utilisation du jobsharing est identique dans les trois régions linguistiques du pays, mais augmente avec la taille de l’entreprise: il passe du simple au double entre les petites et les grandes organisations (22 % et 44 % respectivement). Par ailleurs, on observe une meilleure pénétration dans l’économie publique que dans le secteur privé. Cela dit, les sondages ne reflètent peut-être pas exactement la réalité. «Certaines divisions de poste sans obligation de suppléance sont assimilées au jobsharing, et les aménagements de poste consistant à répartir le temps de travail entre deux personnes sans partage effectif des tâches sont parfois considérés comme du jobsharing. Or il s’agit plutôt d’une division du travail au sens classique du terme», précise Nathalie Amstutz, co-auteur de l’étude mandatée par PTO. En outre, certaines entreprises de plus de 1000 salariés ne disposent d’aucun système de recensement électronique des postes en jobsharing.
 
Job-pairing, job-splitting et top-sharing
Le jobsharing est apparu il y a une trentaine d’années aux Etats-Unis. En français, on parle parfois de «temps partagé», mais ce terme est ambivalent: il peut se référer au multi-salariat, à savoir le cumul d’emplois par une seule et même per- sonne. Plusieurs autres vocables sont récemment apparus. Ainsi, le jobpairing désigne la variante qui consiste à assumer les attributions du poste de manière totalement interchangeable. Dans le cas du job-splitting, au contraire, la répartition des tâches et/ou du temps de travail se fait en fonction des compétences et des préférences de chacun. On parle de split-level sharing lorsque l’un des deux partenaires se trouve en phase de formation. Enfin, le top-sharing est réservé au partage des responsabilités entre cadres supérieurs. Dans la pratique, on a le plus souvent affaire à une forme hybride; en tous les cas, la législation suisse ne prévoit pas de dispositions légales particulières. Les partenaires sont coresponsables de l’exécution du travail, mais si l’un des deux commet un dom- mage en travaillant seul et sans l’accord de l’autre, il en sera tenu pour seul responsable.
 
Les avis sont unanimes en ce qui concerne les avantages. Tout d’abord, le partage du travail facilite l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Il permet aussi de valoriser le travail à temps partiel tout en augmentant la motivation des principaux intéressés. Ensuite, il fait profiter l’employeur d’une double expertise et contribue à lui donner bonne réputation sur le marché du travail: avec deux collaborateurs au lieu d’un, la diversité des compétences est assurée, les décisions sont plus réfléchies et les remplacements plus faciles. D’après l’étude mandatée par l’association PTO, on recense peu d’expériences négatives. Cela peut paraître étonnant, vu le ris- que théorique élevé de malentendus et de conflits lié à toute collaboration étroite. Il semble que la crainte de l’échec opère une sélection si sévère en amont que seuls les projets parfaitement préparés se concrétisent. Ainsi pourrait s’expliquer le nombre très élevé de témoignages positifs.
 
«L’échange et la stimulation intellectuelle»
«Pour moi, cela a été une magnifique expérience et je recommande le jobsharing à tout point de vue», déclare ainsi Adèle Thorens Goumaz après six années de coprésidence des Verts suisses avec Regula Rytz. «Tout a bien fonctionné», poursuit-elle. Les seules vraies difficultés viennent plutôt de l’extérieur et en particulier des médias: «On a cherché des failles dans notre entente, prétendu que nous nous contredisions ...». Autre exemple: à l’Université de Fribourg, Claude Hauser et Alain Clavien se partagent un poste de professeur ordinaire à la Faculté des lettres. «Parmi les principaux avantages, nous retenons surtout l’échange et la stimulation intellectuelle, les publications à deux têtes et la qualité de vie en général. Notre tandem fonctionne bien car nous avons des intérêts complémentaires: mon collègue est plutôt spécialisé sur la fin du 19e siècle et la première moitié du 20e et moi sur la période de l’entre-deux-guerres jusqu’à nos jours», indique Claude Hauser.
 
«Pour fonctionner, le duo doit avoir été créé de manière volontaire», estime René Dönni, qui a occupé avec Annalise Eggimann, de 2013 à 2015, le poste de Chef de la division services des télécommunications de l’Office fédéral des télécommunications (OFCOM). «Une coopération étroite et une grande confiance en l’autre sont des conditions de base pour un partage d’emploi réussi», constatent pour leur part Alke Fink et Barbara Rothen-Rutishauser, qui se partagent un poste de professeurs ordinaires en Matériaux Bionano à l’Institut Adolphe Merkle de l’Université de Fribourg. Dans une situation semblable à l’Institut de marketing de l’Université de Berne, Lucia Malär et Bettina Nyffenegger pensent que le jobsharing «sied très bien au niveau professoral tant que la relation personnelle fonctionne bien». «Les facteurs de succès sont une bonne organisation et une claire répartition des tâches, ainsi qu’une excellente entente», ajoutent Dagmar Vogel et Guy Bonvin, chefs de la section de financement d’infrastructures de la Coopération Economique et au Développement du SECO, à Berne.
 
Certains de ces duos fonctionnent depuis de longues années. Par exemple au service de soins infirmiers indépendants en psychiatrie de La Chaux-de-Fonds (SIIP). «La mise en commun de nos compétences respectives renforce la crédibilité du groupe et améliore notre efficience», relèvent Sandra Kinzer, Rocio Gonzalez et Judith Haldimann, les trois responsables en fonction depuis 2000. À Winterthour, le duo formé par Sibylle Hess et Danielle Kuhn à la tête de la Filiale Helvetic Tours remonte lui aussi à plus d’une décennie. «Nous nous connaissions avant de travailler en jobsharing et nous pensons qu’une sympathie réciproque, une perception semblable dans la gestion du travail et des collaborateurs, la flexibilité et la tolérance représentent les conditions de base pour un jobsharing réussi.»
 

Manque de synchronisation, plus de coûts

Les échecs? Ils seraient principalement dus à des problèmes d’entente, une communication insuffisante, une dilution de la responsabilité et un manque de synchronisation. À cela s’ajoute un risque de flou concernant la personne de référence dans le team. Et les inconvénients financiers – augmentation des coûts de la gestion du personnel, processus de recrutement plus complexe – pourraient finalement s’avérer dissuasifs. Birgit Peters, juriste et directrice d’Aquincum, cabinet de conseil spécialisé en organisation du travail, a identifié plusieurs problèmes auxquels le jobsharing est a priori associé dans l’esprit des gens. Mais ces idées préconçues ne résistent pas à une analyse approfondie. Par exemple, s’il est vrai que cela implique une charge administrative accrue, «on peut tout aussi bien soutenir qu’un duo est plus performant qu’un seul individu». Le risque de confusion au niveau des attributions? C’est oublier que les tandems bien assortis savent faire circuler l’information et se coordonner. Il est d’ailleurs assez piquant de relever que la nécessité de passer du temps ensemble pour s’entendre soit perçue comme un point négatif. Car, au final, n’est-ce pas justement ce qui permet aux gens de donner le meilleur d’eux-mêmes?
commenter 0 commentaires HR Cosmos

Typographe de premier métier, Francesca Sacco a publié son premier article à l’âge de 16 ans pour consacrer toute sa vie au journalisme. Elle obtient son titre professionnel en 1992, après une formation à l’Agence télégraphique suisse, à Berne. Depuis, elle travaille en indépendante pour une dizaine de journaux en Suisse, en France et en Belgique, avec une prédilection pour l’enquête.

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