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Jobsharing
«Le jobsharing n’est pas destiné aux cœurs tendres»
Fondatrice de Capability Jane, une société de recrutement britannique spécialisée dans le recrutement de cadres à temps partiel, Sara Hill conseille les entreprises qui souhaitent mettre en place des politiques de jobsharing. Elle détaille ici la réalité contrastée qui se cache sous les chiffres.
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«J’estime que seuls 1 à 2 % des collaborateurs utilisent le jobsharing. Nous avons également constaté que dans les entreprises qui promeuvent activement cette pratique, ce pourcentage grimpe vers 5 à 10 %.» Sara Hill, Capability Jane, Photo: tous droits réservés
Selon une étude suisse1 de 2014, 27 % des entreprises pratiquent une forme de jobsharing. Comment comparez-vous cette situation avec le reste de l’Europe?
Sara Hill: Ces constats chiffrés cachent une multitude de pratiques. Il faut différencier les organisations qui ont des politiques de jobsharing de celles qui le pratiquent activement. La situation dans chaque entreprise varie sensiblement.
Cette pratique est donc moins répandue que le laissent croire les statistiques?
Oui, en tout cas en Grande-Bretagne, je ne peux pas me prononcer sur les autres pays européens. Au Royaume-Uni, environ 25 % des entreprises offrent la possibilité de travailler en jobsharing. Mais le pourcentage des organisations qui pratiquent réellement le jobsharing se situe plutôt vers 15%. Même s’il n’y a qu’un seul poste partagé dans toute l’organisation. Si vous creusez plus loin, le résultat sera significativement plus bas, j’estime que seuls 1 à 2% des collaborateurs utilisent ce modèle. Nous avons également constaté que dans les entreprises qui promeuvent activement cette pratique, ce pourcentage grimpe vers 5 à 10 %.
La réalité des chiffres cache donc des pratiques bien plus contrastées ...
Absolument. Cela dit, l’intérêt pour le jobsharing va croissant. Notamment à cause de la forte médiatisation de cette pratique.
Toujours selon cette étude suisse, plus l’entreprise est grande, plus le jobsharing est répandu. La pratique est-elle donc peu adaptée aux PME qui représentent 90 % de notre économie?
Question intéressante. Nous avons découvert lors de nos recherches qu’une part significative des entreprises pratique du jobsharing sans le savoir, c’est le cas notamment de deux personnes qui travaillent de manière collaborative. Dans les petites sociétés, ce sera typiquement un responsable financier engagé à temps partiel. Cette pratique est courante dans les PME, car ils n’ont souvent pas les moyens d’engager un expert à temps plein. Les petites entreprises, beaucoup plus agiles et flexibles dans leur organisation, ont donc tendance à segmenter leurs fonctions stratégiques. Je dirais donc qu’il y a probablement plus de jobsharing dans les PME que dans les grandes entreprises, sans forcément porter l’appellation jobsharing. En revanche, on retrouve dans les grandes entreprises des pratiques plus formalisées et systématiques.
La pratique semble aussi plus répandue dans le secteur public?
Oui. Le secteur public, sous la pression des gouvernements, a dû instaurer des politiques d’égalité. Cette exemplarité de la fonction publique les ont forcé à introduire des modèles de travail flexible pour permettre aux femmes d’accéder à des emplois à temps partiel. L’évolution dans le secteur privé est plus lente.
Vous avez mené une enquête dans sept grandes entreprises de Grande-Bretagne. Parmi vos conclusions, vous montrez que 70% des managers interrogés ont assuré que le jobsharing est perçu positivement par la clientèle. Pouvez-vous nous en dire un peu plus?
Oui. Notre intention avec cette enquête était de tordre le cou à une série de mythes concernant le jobsharing. La réaction soit disant négative des clients face au jobsharing en faisait partie. Nous leur avons posé la question et ils ont répondu qu’au contraire, l’expérience a été très positive. Ils estiment même que le fait de traiter avec deux personnes est une source de création de valeur, notamment à cause des différents points de vue.
Selon votre étude, un jobsharing dure en moyenne deux ans. Ce modèle est-il donc surtout utilisé comme une période de transition?
Cette moyenne de deux ans nous a surpris. Encore une fois, ces chiffres cachent une réalité plus contrastée. Nous avons par exemple trouvé des jobsharing qui ont duré 25 ans. Comment donc expliquer cette moyenne de deux ans? Une des raisons réside dans le fait que de nombreuses personnes utilisent le jobsharing comme une étape dans leur plan de carrière. D’autres l’utilisent afin de rester actifs durant une séquence de vie qu’ils souhaitent consacrer à leur vie de famille. Certains poursuivent ensuite en jobsharing, d’autres reviennent à un temps partiel ou reprennent des fonctions à temps plein.
Les témoignages négatifs sont rares. Avez-vous des exemples de situations problématiques?
Absolument. Le jobsharing n’est pas une garantie de succès, comme les autres modèles de travail d’ailleurs. Dans les cas problématiques, nous avons constaté un désalignement entre les objectifs de carrière des deux personnes. Le fait que deux collaborateurs souhaitent travailler à temps partiel ne suffit pas. Les deux profils doivent avant tout être complémentaires. Je me souviens d’un cas où l’une des personnes utilisait le jobsharing comme un tremplin vers un poste à responsabilité alors que son collègue souhaitait simplement travailler à temps partiel pour des raisons familiales. Elles ne se sont pas entendues du tout. Comme cette pratique n’est pas encore très courante, un dysfonctionnement sera interprété de façon exagérée comme une faiblesse générale de ce modèle de travail, surtout dans les fonctions seniors.
D’autres raisons qui expliquent les échecs?
Oui. Les problèmes sont fréquents quand les deux personnes n’investissent pas suffisamment de temps en amont pour organiser leur cahier des charges. Apparaissent ensuite des difficultés dans leur communication, dans la conduite de leur équipe et dans leur rapport avec leur supérieur. La planification en amont afin de s’assurer d’être bien alignés est primordiale. Le jobsharing n’est pas destiné aux cœurs tendres. Parfois, les gens pensent que ce modèle va leur permettre de lever le pied. C’est tout le contraire, le jobsharing exige un gros investissement.
Concrètement, en quoi consiste cet investissement supplémentaire?
Nos recherches ont montré qu’un jobsharing exige environ trois heures par semaine, en dehors du temps de travail, afin de coordonner les tâches et les responsabilités. Concrètement, dans un modèle où chaque partie travaille trois jours par semaine, il faudra compter deux à trois heures passées au téléphone pendant les jours de congé pour assurer cette coordination. Quand les personnes ne sont pas prêtes à investir ce temps supplémentaire pendant leurs jours de congé, les dysfonctionnements apparaissent.
Que diriez-vous à un DRH qui est sceptique face au jobsharing?
Mon rôle n’est pas de convaincre les DRH que c’est la bonne voie à suivre. Cela dit, les sceptiques n’ont clairement pas encore compris que le monde du travail a énormément évolué depuis une dizaine d’années. Si vous prenez un peu de recul, vous constaterez un changement considérable dans l’organisation du travail qui devient plus collaboratif et plus horizontal. La place réservée au travail dans une vie a elle aussi évolué. La demande pour du temps partiel n’est plus réservée aux mères de famille. Des recherches en Grande-Bretagne ont montré que près de 40% des personnes qui sont proches de la retraite préfèrent rester au travail.
Que conseilleriez-vous à un manager RH qui souhaite mettre en place une politique de jobsharing?
Je leur conseille d’investir beaucoup de temps dans la sensibilisation aux avantages de cette pratique. Il n’y a rien de mieux qu’un témoignage d’un jobsharing réussi, si possible au niveau de l’encadrement, pour faire changer les mentalités. Notre recherche montre qu’une fois que le manager a vu des exemples de jobsharing qui fonctionnent, il sera beaucoup plus enclin à l’instaurer dans son équipe.
1 Nathalie Amstutz et Annette Jochem: Travail à temps partiel et jobsharing en Suisse: Résultats de l’enquête, 2014, 41 pages
Sara Hill
Après une carrière dans le consulting (Ernst & Young et Stratevolve) et l’industrie (Montague, Virgin), Sara Hill a fondé la société Capability Jane. Son entreprise conseille les comités de direction sur les modèles de travail flexibles et les politiques de diversité. Son objectif est également d’augmenter le nombre de femmes en organisation et dans le top management. Elle est aussi à l’origine du Job Share Project, une plateforme en ligne (www.thejobshareproject.com) qui détaille les différents modèles de jobsharing et donne des conseils pour la mise en œuvre.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Marc Benninger