Agilité

Comment accompagner la transformation agile

La transformation agile se déroule de manière différente et non-linéaire dans chaque organisation. Une revue de littérature fait ressortir six phases clés dans le processus de transformation. Une enquête auprès de 33 organisations de Suisse romande par la HEIG-VD permet de mieux comprendre cette expérience transformationnelle.

Le chemin menant à l’agilité organisationnelle est long et sinueux. Parfois les organisations doivent revenir en arrière et emprunter une autre voie. Ainsi, il peut arriver par exemple, qu’après avoir développé une organisation plate, elles rétablissent une forme de hiérarchie pour apporter de la stabilité en temps de crise. De plus, la transformation agile s’accompagne d’une remise en question culturelle. C’est pourquoi les chercheurs considèrent qu’il faudrait au minimum trois ans pour que des pratiques s’ancrent de manière pérenne dans le fonctionnement d’une organisation. 

Une revue de littérature sur la transformation agile fait ressortir six phases clés dans le processus de transformation. Sur cette base, une enquête sous forme d’entretiens a été conduite en 2023 auprès de 33 organisations (dont 9 entreprises de conseils et coaching, soit 24 cas d’étude), de Suisse romande. Les personnes interviewées ont partagé leur expérience de ces six phases de la transformation. 

1. L'éveil 

L’éveil, la phase initiale représente la prise de conscience de la nécessité de changer. Celle-ci peut provenir de préoccupations internes ou externes. Dans le premier cas, le changement peut être motivé par un besoin d’amélioration de la collaboration, d’accroissement du bien-être des collaborateurs, ou encore de leur niveau d’engagement. Lorsque la source est externe, l’organisation doit se transformer pour répondre aux exigences de son environnement. 

Que l’éveil soit interne ou externe, il a lieu le plus souvent au niveau de la direction de l’entreprise. En effet, dans notre échantillon, la transformation a été initiée par un·e leadeur·se dans 20 cas sur 24. Dans les 4 cas restants, la transformation a été initiée par des collaborateurs, puis soutenue par la direction. 

2. L’engagement 

La phase d’engagement intervient lorsque le besoin de transformation est relayé, partagé et porté au-delà d’un cercle restreint. Dans la majorité des cas, cet effort de ralliement est conduit par un·e leadeur·se qui cherche à reproduire un éveil à plus large échelle. Pour ce faire, sa posture doit être exemplaire pour avoir une chance de convaincre et de mobiliser les acteurs de l’organisation. 

3. L’analyse 

La phase d’analyse fait l’état des lieux de l’organisation, en identifiant les atouts sur lesquels s’appuyer dans sa transformation et les faiblesses qui nécessitent une vigilance. Faire le diagnostic de la culture d’entreprise est l’un des axes d’analyse. Il s’agit de qualifier la culture, d’identifier de potentielles sous-cultures inhérentes aux différents métiers et régions représentées dans l’organisation, à travers les modèles mentaux, les rituels, ou l’historique de l’organisation. Dans une même organisation, les équipes qui la composent peuvent se situer à des niveaux de maturité agile différents. De ce fait, identifier les équipes les plus matures dans leurs pratiques agiles permet de capitaliser sur leur expérience, pour la suite du processus. 

4. L’initiation 

Avant de se lancer dans l’expérimentation, trois éléments se sont révélés primordiaux pour préparer l’organisation à la transformation et que ce processus se fasse dans les conditions les plus favorables. Tout d’abord, il s’agit d’élaborer une vision inspirante, fédératrice, qui donne un cap, sans toutefois être trop détaillée pour ne pas limiter le champ des possibles. L'objectif étant de créer une vision qui corresponde au contexte et aux besoins précis de l'organisation. La formation représente le deuxième élément dans cette phase d’initiation. De manière unanime, les participants à l’enquête ont souligné l’importance de développer les softskills, et des compétences par exemple autour de la conduite de réunion ou de la posture de manager coach. 

Enfin, la transformation agile nécessite un accompagnement, variable d’une organisation à l’autre. Parfois, il est incarné par des consultants externes, parfois par des change managers à l’interne, ou encore par les membres de la direction formés au coaching ou à la gestion du changement. 

5. L’expérimentation 

L’expérimentation représente la phase majeure du processus de transformation. L’agilité s’acquiert par l’expérience, l’intention étant de passer à l’action, d’itérer, de capitaliser sur des gains rapides et d’apprendre des erreurs effectuées. La revue de littérature a mis en évidence une modélisation des différentes méthodes d’implémentation de l’agilité dans une optique spatio-temporelle. La transformation peut concerner une équipe pilote dans un périmètre restreint à la globalité d’une institution. 

Ainsi, l’Office d’organisation d’une structure étatique a adopté la méthode de «tâtonnement local». L’Office servant d’équipe pilote expérimente des pratiques agiles telles que l’organisation en cercles et en rôles. Cette méthode a la particularité de faire cohabiter une organisation agile au sein d’une organisation traditionnelle. Selon le niveau d’interaction entre ces deux entités, la cohabitation peut être compliquée. Une entreprise industrielle, a opté pour la méthode de «tâtonnement global» qui consiste à tester des pratiques agiles fondées sur l’autonomie dans l’ensemble de l’organisation. Cette méthode est particulièrement adaptée aux petites structures, puisque la coordination y est naturellement plus rapide. La méthode dite du «basculement local» a été utilisée par une fondation dans le domaine de la gériatrie. L’ouverture par la Fondation d’un nouvel établissement médico-social (EMS) a servi d’opportunité pour mettre en place une forme d’organisation agile radicalement innovante dès le premier jour d’exploitation. Dernière méthode du modèle spatio-temporel: le «basculement global». Il a eu lieu dans une entreprise informatique qui a basculé d’une gouvernance relativement classique à une gouvernance distribuée. De façon radicale, l’organisation a supprimé les rôles de chef. Cette méthode peut potentiellement créer un sentiment de chaos si l’accompagnement au changement n’est pas suffisant. 

Quant aux pratiques agiles qui font l’objet d’expérimentation dans les organisations participant à l’enquête, elles sont variées, passant de la gestion de projet Scrum ou Safe, à la mise en place d’une organisation en cercles et rôles, en passant par un travail sur la raison d’être, la vision et les valeurs. Selon les besoins et le contexte de chaque organisation, la priorité sera donnée à une pratique plus qu’une autre. Dans l’échantillon, 41,6% des organisations ont entamé leur transformation par le biais de la gouvernance en favorisant des pratiques visant à autonomiser les collaborateurs. 33,4% ont implémenté des méthodes de gestion de projet agile, et enfin, les 25% restant ont adopté une stratégie agile qui se focalise davantage sur les besoins du client. Par ailleurs, il est intéressant d’observer dans les pratiques que la question salariale émerge sous l’impulsion des collaborateurs de manière récurrente dans la plupart des organisations sondées. Toutefois, il s’agit d’une thématique complexe que seule une poignée d’organisations très matures ont abordée. Enfin, dans la phase d’expérimentation, les organisations ont partagé les erreurs commises au cours de leur processus de transformation. 

6. L'ancrage 

L’ancrage constitue la dernière phase du processus de transformation agile: il s’agit de consolider les acquis et de pérenniser les changements opérés. Cette phase se traduit par la mise en œuvre de rétrospective, par le biais de diagnostics et de choix d’actions correctives. Les indicateurs de pilotage qui permettent de suivre la transformation en temps réel pour mettre en place les actions correctives restent encore à définir dans beaucoup d'organisations. Globalement, ces dernières témoignent d’un manque d’indicateurs permettant de valoriser la transformation agile et ses impacts. Le renforcement des acquis est également très important. Conscientiser le chemin parcouru, mettre en valeur les apprentissages, les changements et améliorations apportés contribue à ancrer le changement. 

Finalement, il est question d’avoir un regard tourné vers l’avenir en faisant de la prospective pour redémarrer un nouveau cycle de transformation, expérimenter de nouvelles pratiques et favoriser l'amélioration continue. 

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Céline Desmarais est Professeure et co-Directrice du MAS Développement Humain dans les Organisations, HEIG-VD.
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Diplômée d’un Master en Standardisation, politiques sociales et développement dura­ble de l’Université de Genève, Manon Pétermann a dévelop­pé en parallèle de ses études des compéten­ces de facilitatrice de processus en intelli­gence collective.
Contact: manon.petermann@gmail.com

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