Comment la tech impacte réellement le recrutement en Suisse romande
Depuis de nombreuses années, la littérature spécialisée assure que l’intelligence artificielle va révolutionner les processus de recrutement. Qu’en est-il réellement? Analyse tirée d’entretiens avec des DRH, des experts du recrutement et quelques clients (1).
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A-t-on en Suisse romande la taille critique pour le big data et l'intelligence artificielle?
Toutes les études que l’on peut lire sur les nouveaux outils de recrutement parlent de Big data et d’analyses prédictives. En y regardant de plus près, on observe que ces outils sont utiles pour des recrutements de masse ou sur une population très importante. Ce sont les grosses multinationales qui ont à la fois les moyens financiers et les volumes nécessaires pour utiliser ces outils. Gate Gourmet pour son personnel dans les aéroports, Hilton pour son personnel hôtelier, ou encore Google pour ses experts.
En Suisse romande, il semble clair que notre tissu économique, composé en grande partie de PME et de PMI, aura de la difficulté à investir le temps et les moyens nécessaires pour utiliser cette puissance technologique. En revanche, les grands acteurs de l’emploi, eux, pourront mettre à disposition de leurs clients des outils permettant par exemple:
- De proposer des candidats qui, à première vue, ne répondaient pas exactement aux critères demandés, mais qui, par des tests et l’analyse de leurs expériences passées, en ont parfaitement le potentiel.
- De «récupérer» des candidats qui, en raison de critères «non rationnels», auraient été écartés d’une première sélection.
Pour les structures internationales ou qui ont beaucoup de collaborateurs, le big data lié aux données RH internes peut aussi être un magnifique outil de détection des talents internes. En agrégeant les données des performances annuelles, en renseignant dans l’outil SIRH les qualifications, expériences et résultats des collaborateurs, il sera alors possible, sans biais émotionnel ou politique, de ressortir le ou la meilleure candidate pour un poste à Singapour, venant par exemple de la succursale d’Australie. A condition bien évidemment que toute l’organisation alimente la machine en datas.
Rappelons-nous que les sociétés d’assurances ont commencé à mettre en place des systèmes d’intelligence artificielle pour traiter automatiquement la gestion de certains sinistres, et que les résultats sont bluffants: la machine est plus fiable que l’humain.
L'ATS, un outil performant, seulement en l'intégrant dans une stratégie digitale
L’ATS (Applicant Tracking System) est un acronyme qui est de plus en plus à la mode. En fait, c’est à la base un outil capable de gérer les candidatures, d’améliorer les processus de recrutement et de faciliter la collaboration et la fluidité des échanges d’informations.
De nombreuses sociétés ont commencé à mettre en place ces outils, mais malheureusement, trop souvent, sans repenser clairement les processus de recrutement. L’avantage se résume alors uniquement à permettre aux candidats de postuler en ligne, sans réellement créer d’interactions. Voici quelques exemples qui démotivent rapidement un candidat:
- Solution pas intégrée avec les pages emploi de la société.
- Aucune information sur le poste autre l'annonce.
- Une saisie fastidieuse et compliquée.
- Aucune interaction mis à part l'accusé de réception.
- Outil non disponible depuis un smartphone ou une tablette.
Deux remarques complémentaires:
- La gestion automatique des réponses à une annonce qu’un jobboard offre n’est pas un ATS. C’est uniquement un outil pour nous faciliter la vie, mais on ne crée aucune valeur ajoutée.
- On peut considérer LinkedIn Recruiter comme un ATS, mais avec deux grandes limites: il n’est pas intégré à d’autres plateformes, et surtout, dès que l’on supprime son abonnement, les données stockées sont perdues ou restent la propriété de LinkedIn, qui appartient... à Microsoft.
L’ATS est le premier pas technologique vers une plus grande interaction avec le candidat, mais il doit faire partie d’une stratégie digitale complète, qui peut aussi comprendre la gestion des réseaux sociaux, la mise en place de communautés d’intérêt ou d’autres interactions numériques.
Mais alors où mettre les priorités?
Bon me direz-vous, où mettre ses priorités dans ce monde digital qui va très vite, ceci en fonction aussi d’un marché suisse de l’emploi assez conservateur où les «bonnes méthodes» traditionnelles donnent encore de très bons résultats? Doit-on aller plus loin que de mettre des annonces sur des sites d’emploi, faire des approches directes de candidats via LinkedIn?
En observant les sociétés, on peut remarquer que celles qui se démarquent ont des stratégies simples, pragmatiques et se concentrent sur la base, mais en le faisant bien:
1. Mise en valeur du portail emploi de son site internet
Trop souvent, la page «offres d’emploi» se résume à une liste peu attractive de postes ouverts, avec peu d’informations sur l’entreprise, dans son rôle d’employeur. Rajouter des témoignages, des vidéos de présentation, des expériences de nouveaux collaborateurs créera rapidement un différenciateur et surtout donnera envie de postuler. Se faire référencer sur www.glassdoor.ch et y monitorer les commentaires est aussi important.
2. Créer des communautés sur LinkedIn ou Facebook
On commence à voir sur LinkedIn ou Facebook des communautés liées à une société, futur employeur. Ces communautés permettent de garder un lien avec des candidats potentiels, d’informer sur des projets futurs, et ainsi d’augmenter la qualité de sa marque employeur.
Ce sont des actions simples, efficaces, mais qui demandent du temps et de l’investissement pour gérer le contenu, répondre aux messages et faire évoluer sa page. Si vous restez avec 70 followers, que le contenu est statique et que la dernière information date de 2018, alors ceci ne sert à rien.
3. Augmenter les interactions par vidéo
Avec le COVID-19, l’utilisation des vidéo conférences est devenue aussi banale que le téléphone. Il est important de continuer sur cette lancée et de modifier les processus de recrutement en y incluant des qualifications courtes au moyen de vidéo conférences. Il est plus efficace de répondre à quelques questions, d’aborder des points bloquants ou d’éclaircir des zones d’ombre au travers d’un rendez-vous vidéo que d’inviter un candidat à un entretien face à face et d’arriver à la conclusion, 10 minutes après, que le match ne se fera pas.
On peut même aller plus loin en demandant au candidat de créer sa propre vidéo en répondant à des questions précises et structurées, mais on risque de créer un biais avec un bonus aux extravertis, aux spécialistes de la vidéo et donc de passer à côté d’excellentes compétences qui passent moins bien à l’écran.
En résumé, avant de faire la révolution et d’investir des sommes importantes, utilisons bien les outils à disposition, et observons ce que les grands acteurs vont nous proposer. Quand on écoute les candidats, les points qu’ils ressortent sont souvent les mêmes:
- J’attends de mon futur employeur qu’il soit professionnel dans la gestion de mon dossier, tant au niveau du suivi que des feedbacks tout au long du processus.
- Si je m’inscris à une newsletter ou que je suis la page d’un employeur potentiel, je m’attends à avoir des informations régulières et de qualité.
- Je me méfie toujours des annonces qui ont une liste d’attente digne de la liste du Père Noël. Soit ils ne savent pas ce qu’ils cherchent, soit ils n’ont aucune idée des activités liées au poste.
- Quand je vois la même annonce tous les trois mois ou la même annonce chez trois sociétés de placement, je me méfie de la qualité du processus.
Vous remarquerez que ces points ne sont en rien liés à des nouvelles technologies ...
(1) Cet article fait suite à des échanges avec Dominique Muhlematter, Perry Fleury et Alain Gendre.