Comment la tech impacte le processus de recrutement
Le marché des startups technologiques dans le recrutement est vaste. A ce jour, ces outils changent surtout le sourcing des candidats et les méthodes d’évaluation. La sélection finale reste une affaire humaine.
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Depuis l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux, il est courant aujourd’hui de recevoir 250 candidatures pour une mise au concours. Le marché de l’emploi s’est internationalisé et les outils technologiques augmentent considérablement le flux des dossiers.
A titre d’exemple, les CFF reçoivent annuellement 68’000 candidatures pour 5000 engagements (lire aussi l’interview). Cette explosion de l’offre exige donc de s’équiper d’outils technologiques pour assurer un tri avec des critères objectifs. Selon Adrian Bangerter, professeur de psychologie du travail à l’Université de Neuchâtel, «ces outils permettent d’élargir le marché et impactent surtout la mise en lien des candidats avec l’entreprise, moins le recrutement proprement dit.»
Dans son livre The Talent Delusion (1), le consultant Tomas Chamorro-Premuzic indique trois domaines où la technologie est en train de révolutionner la recherche de talents. Le web scraping, qui est la collecte de données sur Internet pour établir le profil d’un candidat (goûts musicaux, sites web visités, likes sur Facebook par exemple); le big data interne, soit la récolte de données individuelles pour prédire une performance future (surtout utilisé dans le milieu du football) et le recours aux entretiens vidéo et aux techniques du gaming.
Choix final, une décision humaine
Cet impact touche donc avant tout le sourcing des candidats et la première sélection, souvent menée avec des assessments en ligne et des entretiens vidéo. «Les entretiens technologisés permettent une certaine démocratisation de l’assessment», confirme Adrian Bangerter. A noter que le choix final reste encore une décision humaine, qui s’appuie sur des entretiens structurés.
Malgré tous les discours marketing autour de l’IA, il n’y aurait à ce jour aucun outil fiable sur le marché capable de sélectionner le meilleur profil en se basant uniquement sur les données. Selon Stéphane Remegeau, Digital Marketing Ma- nager chez ManpowerGroup et qui enquête actuellement sur l’IA dans le recrutement dans le cadre de son MAS RH, «la sélection entièrement automatisée n’est pas utilisée à ce jour dans les sociétés de placement.» L’outil le plus répandu serait LinkedIn Recruiter.
Filtres et rapport de force
Selon les experts interrogés, ces outils permettent aussi d’éviter les biais humains d’une sélection manuelle. Bien que ce point reste controversé. Le New York Times a par exemple montré que les réseaux sociaux peuvent aussi agir comme un filtre aux dépens des candidats de 50+. «Ces outils vont donc parfois contre la transparence du marché», poursuit Adrian Bangerter.
Le recours à la technologie a par ailleurs tendance à désavantager le collaborateur dans son rapport de force avec l’entreprise. Adrian Bangerter: «La technologie change le rapport au pouvoir car il donne surtout des informations à l’employeur et défavorise donc le candidat qui aime aussi évaluer l’entreprise au moment d’un entretien en face à face.»
Marché et outils
A noter que le marché des startups technologiques dans le segment du recrutement est vaste. En France, il y aurait plus de 300 sociétés actives dans ce domaine. La Suisse est un cas à part, puisque le marché est petit, et que les entreprises suisses sont très prudentes dans leur rapport à l’innovation dans ce domaine. Seuls les outils validés par le grand nombre ont une chance d’émerger.
A ce jour, les outils les plus répandus en Suisse sont les Applicant tracking systems (ATS), avec les marques SAP, Success Factors, Humantis et WorkDay. Avec l’explosion du nombre de candidatures et les contraintes légales de plus en plus strictes en termes de protection des données, ces outils de gestion des candidatures deviennent indispensables. Il s’agit aussi d’assurer un suivi des réponses envoyées aux candidats afin de maintenir la qualité de l’expérience candidat et de la marque employeur.
Le cas Swisscom
A titre d’exemple, la société Swisscom recrute environ 2000 personnes par année. «Nous avons divisé l’équipe recrutement en deux, explique Léonard Collon, Talent Attraction Manager chez Swisscom depuis 2018. «La première compte environ 10 personnes. Elles s’occupent des recrutements standards, ce qui représente environ deux tiers de postes mis au concours, via des jobboards et notre page carrière. La deuxième équipe compte environ 12 personnes et gère les recrutements difficiles, ce sont souvent des profils IT, des managers ou des compétences rares. Ce team «Executive Search» s’occupe aussi de la marque employeur et du talent management.»
En termes d’outils, les recruteurs de Swisscom utilisent les réseaux LinkedIn, Xing, GitHub et StackOverflow. «La suite de Microsoft avec l’outil Teams facilite la communication et la gestion des données. Enfin, nous utilisons un ATS (la solution ESource d’Humantis, ndlr) afin de garder une traçabilité des candidats sur le long terme», ajoute Léonard Collon.
Là aussi, le choix final se fait par un entretien physique avec le manager et les membres de l’équipe. «Nous n’utilisons pas les entretiens vidéo différés car le manager doit de toute manière visionner la bande donc nous préférons rencontrer la personne. Il existe de nombreuses start-ups qui utilisent l’IA dans la partie sourcing, nous testons souvent ces nouveaux outils mais n’avons pas encore été convaincus.»
(1) Tomas Chamorro-Premuzic: The Talent Delusion, éd. Piatkus, 2017, 283 pages.