Comment les neurosciences nous aident à transformer l'entreprise
Appliquées aux individus, aux équipes et aux organisations, les découvertes en neurosciences donnent plusieurs clés pour résoudre les défis de la transformation de notre économie. Voici quelques apprentissages utiles au management et aux RH.
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Le cerveau est une bête de guerre de 100 milliards de neurones. Ce supersystème de systèmes est une mécanique hypercomplexe que les neuroscientifiques commencent à peine à cartographier et à comprendre. Tour d’horizon des découvertes récentes avec leurs implications pour la vie en entreprise.
Plasticité neuronale
Commençons par une bonne nouvelle: les connexions entre nos neurones se régénèrent en permanence jusqu’à la fin de nos vies. À condition de stimuler notre capacité d’apprentissage. La lecture, la formation, l’intérêt pour la nouveauté et l’altérité, la curiosité sous toutes ces formes maintiennent la plasticité neurone de notre cerveau. Dans un livre passionnant sur les neurosciences et le management (1), la coach Bernadette Lecerf-Thomas prévient que pour apprendre de nouvelles choses, nous devons aussi parfois en désapprendre. C’est toute la difficulté de la vie en entreprise. Les produits, les services et les compétences qui nous ont mené vers le succès ne vont pas forcément nous être utiles dans le futur.
Homéostasie
Cette mécanique d’apprentissage et de désapprentissage s’accompagne donc d’un processus de deuil (déni, colère, abattement, tristesse et reconstruction). Ce deuil explique les résistances aux changements si courants en entreprise. On dit même que si personne ne résiste, c’est que rien n’est en train de changer. Il est donc primordial de permettre aux individus d’exprimer leurs émotions et de leur donner suffisamment de temps pour passer d’un équilibre à un autre. Cette régulation permanente de notre cerveau est un autre enseignement clé des neurosciences: le principe d’homéostasie. Notre cerveau est sans cesse en train de chercher un équilibre en fonction des changements qui s’opèrent dans notre environnement. L’homéostasie est ce qui nous maintient en vie. Et ce principe régule autant l’individu, que l’équipe et l’organisation.
Procédures dures et molles
On peut observer cette régulation des organisations par effet reflet. Chez l’être humain, les ingrédients qui constituent notre équilibre sont notre ADN, nos expériences, notre éducation, nos apprentissages et nos souvenirs, fortement influencés par nos émotions. En entreprise, Bernardette Lecerf-Thomas parle de procédures dures et molles. Les procédures dures sont l’offre, les produits, les services, l’organisation du travail, les normes, l’outil de production et les systèmes d’information par exemple. Les procédures molles sont l’image, les marques, les valeurs, la convivialité, les modes de reconnaissance. Pour opérer un changement sur la durée, il faut travailler sur ces deux dimensions. Les procédures dures sont l’affaire des consultants. Les procédures molles sont l’affaire des coachs. Il est illusoire de vouloir changer les procédures molles sans changer les procédure dures. Chassez une mauvaise habitude, elle revient au galop.
Émotions et rationalité
Les neurosciences nous apprennent aussi le rôle central joué par les émotions dans notre prise de décision. Dans un classique de la littérature neuroscientifique (2), le professeur de neurosciences portugais Antonio R. Damasio montre comment le corps envoie sans arrêt des informations au cerveau. Ces émotions sont nées d’un processus neurobiologique. Grâce à ces émotions et ces ressentis du corps, notre cerveau prend des décisions. La rationalité reste importante, elle permet de classer, de calculer des conséquences, d’évaluer et de hiérarchiser. Elle est notre esprit critique. Mais sans les émotions, sans le corps, cette rationalité est moins efficace.
Cerveau reptilien
Damasio distingue les émotions primaires ou jamesiennes (théorisées par William James en 1884), situées dans notre cerveau reptilien, des émotions secondaires, situées dans le cortex-préfrontal. Les émotions primaires régulent notre instinct de survie: boire, manger, se reproduire et se mettre en sécurité. En entreprise, quand vous annoncez un changement, les cerveaux reptiliens vont chercher à maintenir l’individu en sécurité. On comprend mieux dès lors l’importance des travaux d’Amy Edmonson sur les espaces de sécurité en organisation. Si les cerveaux reptiliens sont rassurés, les individus sont beaucoup plus ouverts au changement.
Marqueurs somatiques
Les émotions secondaires sont spécifiques à l’espèce humaine. Elles permettent la réflexion, la sagesse, la subtilité, la raison et la volonté. Damasio a montré comment notre cerveau récolte ces émotions secondaires tout au long de notre éducation et de notre processus de socialisation par le phénomène des marqueurs somatiques. Un marqueur somatique est un ressenti viscéral (sensations agréables ou désagréables en fonction de différents paramètres viscéraux tels que le rythme cardiaque, la sudation ou la sensation de douleur) envoyé par le corps qui va permettre ensuite au cerveau, à l’aide du raisonnement, de prendre une décision. Lors d’un entretien de recrutement, l’intuition ou ces ressentis sont donc des informations importantes qu’il faut savoir écouter.
Biais cognitifs
Comme le cerveau humain capte en permanence 11 millions d’informations (par nos sens et nos systèmes nerveux et sanguins notamment), nous ne pouvons en traiter qu’une infime partie. Nous avons donc des biais cognitifs et des stéréotypes qui nous permettent de simplifier, de catégoriser et de classer. Le stéréotype est un pari statistique effectué par le cerveau pour réagir très vite à une situation. Les études ont montré par exemple que nous vivons dans l’illusion que le monde est juste et que chacun reçoit ce qu’il mérite. Nous croyons aussi à tort que nous sommes uniquement en sécurité avec ceux qui nous ressemblent. Un autre biais cognitif est de croire que la beauté physique et la grande taille sont synonymes de talent, d’intelligence et de sociabilité.
Diversité cognitive
Il faut donc être conscient que ces biais cognitifs nous manipulent et tenter de les minimiser lors de recrutements ou au moment de constituer une équipe. Selon une étude Cloverpop de 2017, le taux de justesse des décisions prises par une équipe à 100% masculine n’est que de 59%. Si vous ajoutez de la mixité de genre, ce taux grimpe à 73%. Avec de la diversité des âges, cela monte à 80% et si vous ajoutez dans ce mix de la diversité des origines géographiques, les décisions sont bonnes 87% de fois. Comme l’explique le consultant français Laurent Depond (3), ce qui compte dans une politique de diversité et d’inclusion, c’est ce qui se passe dans la boîte crânienne (la diversité cognitive) et non le packaging (la diversité visible).
Visualisation
Les découvertes en neurosciences nous apprennent aussi que le cerveau ne fait pas la différence entre la réalité et une situation imaginée. Cette nuance est très utile, car elle permet de recourir à la visualisation pour préparer des entretiens ou des séances difficiles. En clair, si vous imaginez une situation dans votre esprit, comme si tout s’était déjà réalisé en activant vos sens, vos émotions, vos sentiments et les mouvements de votre corps, vous mettez toutes les chances de votre côté. La visualisation entraine votre cerveau à relever les défis futurs afin que celui-ci puisse libérer tout son potentiel. C’est une technique puissante pour anticiper les transformations et les vivre avec confiance et sérénité.
(1) Bernadette Lecerf-Thomas, Neurosciences et Management, éd. Eyrolles, 2009, 239 pages
(2) Antonio R. Damasio, L'erreur de Descartes, éd. Odile Jacob, 1994, 396 pages
(3) Laurent Depond, Intelligence relationnelle et inclusion, éd. Dunod, 2022, 207 pages