Les limites du pouvoir RH

Des pistes pour mieux positionner la GRH dans le management stratégique

Publiés en exclusivité dans HR Today, les résultats d’une récente thèse de l’Université de Fribourg montrent la vraie place qu’occupent les départements RH dans les processus de décisions stratégiques. Encore peu intégrés dans les lieux de pouvoir, les RH sont plus considérés comme des facilitateurs et des récolteurs d’informations stratégiques.


Assis sur une très riche base de données, les départements ressources humaines sont très appréciés pour la qualité de l’information qu’ils sont en mesure de livrer aux décideurs stratégiques de l’entreprise. Une fois la stratégie élaborée, les chefs opérationnels attendent également du département RH qu’il surveille de près son application sur le terrain. Voilà en résumé les conclusions d’une thèse de doctorat, publiée récemment par l’Université de Fribourg*. La chercheuse Marilyne Haymoz-Pasquier précise ainsi pour la première fois en Suisse romande la nature de la contribution des départements RH à l’élaboration et à l’application des stratégies d’entreprises. Cette influence semble se jouer surtout au niveau de la quantité d’informations que les RH sont en mesure de livrer aux décideurs. Il s’agit donc d’une contribution plus logistique que stratégique au sens opérationnel du terme. En clair, les départements RH ont un rôle clé à jouer au moment de la préparation et de l’élaboration d’une stratégie business. Vu qu’ils sont les seuls à avoir une vue d’ensemble des forces et faiblesses du personnel. Intéressant à plusieurs points de vue, son travail de recherche l’a emmenée sur le terrain dans divers secteurs et branches d’activité. La banque et assurance (BCG, BCV, Clientis Banque Jura Laufon et la Vaudoise Assurance), l’industrie des machines (groupe Bobst, Liebherr, Polytype), l’alimentaire (Henniez), les médias (Edipresse), l’énergie (Groupe e et EOS holding) et les activités commerciales (Dixi holding, Felco SA, Getaz Romang et Villars holding). Parmi les résultats de son enquête, Maryline Haymoz-Pasquier propose une série de recommandations qui devraient aider les RH à se positionner dans l’entreprise en les recadrant sur leur vraie valeur ajoutée. Inventaire. 

Identification des opportunités et des menaces actuelles et futures

Dans la phase dite de planification stratégique (analyse, élaboration et évaluation des idées stratégiques), la contribution de la GRH est avant tout informative. «Les responsables de la stratégie attendent du département des ressources humaines qu’il établisse une vue d’ensemble proactive de tous les aspects liés au personnel. Des informations de base très utiles à la réflexion stratégique», note Mari-lyne Haymoz-Pasquier. Cette contribution peut se concrétiser par l’identification des opportunités et des menaces actuelles ou futures du personnel. Un indicateur important quand l’entreprise décide par exemple d’entrer dans de nouveaux marchés étrangers. Car les risques d’une internationalisation des affaires sont très souvent liés aux compétences managériales, d’un point de vue culturel et linguistique notamment. Des indications sur l’environnement économique du nouveau marché (national ou international) sont également précieuses. Connaître le taux de chô-mage, le degré de pouvoir des syndicats, les tendances en matière de rémunération ou la structure plus ou moins flexible du marché du travail peuvent être des informations importantes au moment de prendre une décision stratégique. L’analyse stratégique étant une science à plusieurs inconnues, l’apport des départements de ressources humaines gagne à être bien ciblé et cohérent. Dans un processus d’analyse de la concurrence, des indications sur le degré de qualification du personnel, les infrastructures informatiques en place et le potentiel d’innovation des équipes peu-vent être considérés comme des informations pertinentes. 

La communication permet d’éviter les conflits et les résistances

Une fois la stratégie arrêtée, arrive l’étape de sa mise en œuvre. Dans cette deuxième phase, la contribution de la GRH se joue à plusieurs niveaux. Une bonne communication permet d’éviter des tensions: «Certains départs de collaborateurs compétents sont parfois dus à une mauvaise communication d’une option stratégique. Il est alors important que le DRH élabore des mesures d’ajustement et de support utiles. Les employés ont besoin de connaître la stratégie pour bien la mettre en œuvre. La communication permet aussi d’éviter les conflits et les résistances à la stratégie. Dans la pratique, plusieurs moyens: conférence de presse, lettre personnalisée, entretien face-à-face, réunions», détaille Marilyne Haymoz-Pasquier. S’en suit un énorme travail de planification des besoins, de recrutement, de rémunération et de développement du personnel (formation, évaluation et promotion de carrière). On touche là au «core business» de la GRH. Et certains assurent que l’élaboration de ces stratégies proprement RH va permettre à l’entreprise d’atteindre les buts stratégiques qu’elle s’est fixés. Ce sont les fameux tableaux de bord prospectifs. «Le but du tableau de bord est de communiquer la stratégie aux employés et de piloter sa mise en œuvre. Plus précisément, il fournit un cadre pour traduire la stratégie en objectifs et mesures tangibles», note Marilyne Haymoz-Pasquier. Inspirés des balanced scorecards, les tableaux de bord ratissent large: résultats financiers, satisfaction des clients, processus internes et apprentissage organisationnel. 

Sur le papier tout va bien. Dans la pratique, les choses se corsent.

Sur le papier, la mécanique semble bien huilée. Mais dans la pratique, les choses se corsent. La chercheuse constate que les respons-ables en ressources humaines ne sont pas suffisamment intégrés dans le processus stratégique. «Certains sont impliqués, d’autres pas du tout. Généralement, la position du responsable en ressources humaines dans le groupe stratégique dépend de la volonté du directeur général de l’entreprise», relève Marilyne Haymoz-Pasquier. Et les avis des experts concernant la qualification du rôle du DRH dans ces différentes phases stratégiques sont partagés. Elle poursuit: «Les experts reconnaissent que les contributions sont sou-vent pratiquées de manières informelles et non-structurées par les responsables en ressources humaines». Autre constat (voir la Figure 1 en page 14): les responsables en stratégie envisagent généralement plus faiblement le rôle actuel du DRH dans le management stratégique. Devant ce constat, Marilyne Haymoz-Pasquier recommande fortement d’intégrer le DRH de ma-nière plus concrète dans le processus stratégique en tant que partenaire des divers groupes de travail dans les différentes phases du processus stratégique. «Il est approprié que le DRH effectue des contributions basées sur des méthodes relatives au management stratégique» (voir aussi le tableau Figure 2 ci-contre). La chercheuse met en garde également contre des obstacles liées au type de management pratiqué par la direction: «L’intégration du DRH dans le management stratégique peut être péjorée par des problèmes avec la direction. Si le CEO n’est pas convaincu par le bien-fondé de cette intégration, ce sera difficile. On constate également que le DRH intervient souvent trop tard dans le procédé du management stratégique. Et il faut reconnaître aussi qu’il manque parfois des connaissances «business» dans les formations en gestion des ressources humaines.

 

L'intervenante

Maryline Haymoz-Pasquier est docteur ès Sciences économiques et sociales de l'Université de Fribourg. Elle a publié en novembre 2007 une thèse sur la management stratégique des ressources humaines.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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