"Les compétences décisionnelles doivent rester aux mains de la ligne"
Le regard est incisif. Directeur opérationnel d’une entreprise de service public, Joël Di Natale ne mâche pas ses mots. Selon lui, le pouvoir décisionnel doit rester entre les mains de la ligne. Les RH sont en revanche d’excellents gestionnaires, sans qui l’atteinte des objectifs n’est pas réalisable.
Photo: Pierre-Yves Massot/arkive.ch
Joël Di Natale est le CEO du Centre infrastructure militaire et civil de St-Maurice (VS). Cette entreprise de service public emploie 300 personnes (avec les externes) et gère un parc immobilier d’environ 3000 objets, dispersés entre le Simplon et la commune de Chancy (GE). Nommé CEO en 2005, ce colonel d’Etat major général reçoit pour mission de restructurer son organisation. Une révolution: «Sur le plan national, on est passé de 33 à 6 centres d’infrastructures, avec des budgets alloués au front et une vraie indépendance quant au comment atteindre les objectifs en 2011». Dans son bureau de St-Maurice, il nous dé-taille sa vision d’une collaboration entre ligne et GRH.
En quelques mots, quelle est votre stratégie business?
Joël Di Natale: Garantir l’état de préparation de notre parc immobilier, quelle que soit la nature des occupants. Servir l’ensemble de nos locataires, civils ou militaires, avec un degré de satisfaction de 80%. Et enfin, outsourcer toutes les compétences qui ne sont pas clés au sein de l’entreprise.
Cette dernière mission est liée à la restructuration en cours…
Oui. Et c’est nouveau. En ce début d’année 2008, je commence à mettre la pression. Notre catalogue de prestations est encore trop vaste. Encore bien des compétences devront être externalisées à des entreprises privées. Je précise que c’est le fruit d’une volonté politique. En 2007, nous avons reçu la mission de concentrer certaines activités et de limiter les dépenses d’exploitation dans la gestion de ce parc immobilier.
Est-ce que le DRH est intervenu dans l’élaboration de cette stratégie et si oui, sur quels sujets?
Urs Loher, le DRH qui chapeaute les 11 centres d’exploitations de Suisse, est intervenu sur deux sujets. Il a d’abord donné ses options stratégiques pour 2011. En demandant une enveloppe financière en rapport à une typologie d’activité et à un nombre de personnel. Il a ensuite fixé des objectifs an-nuels 2008 extrêmement précis. En disant très clairement ce qu’il attendait sur le plan suisse. Que ce soit au niveau du management, de la technique, de la gestion ou de la sûreté. On a ensuite fait un reporting pour traduire ces objectifs concrètement sur le terrain.
Quels sont les sujets où le DRH n’intervient pas du tout?
Dans toute l’organisation du centre. Il n’intervient ni dans la répartition des ressources entre la direction et les unités opérationnelles, ni dans la stratégie développée au sein du centre. Si je décide de partir dans une politique de remplacement en 2010, je peux le faire. Nous fixons nous-mêmes nos objectifs. Urs Loher s’assure simplement que nous sommes bien cadrés avec les objectifs généraux du concept 2011. Nous avons donc une vraie liberté d’action au niveau opérationnel. Ce qui est nouveau et très stimulant.
Mais où situer le pouvoir des RH?
Je tiens d’abord à préciser le cadre de ma réponse. Je me base sur un modus operandi que nous avons fixé en interne. Et il s’agit d’une expérience de 18 mois seulement. Cela étant dit, je vous avoue que les compétences décisionnelles ne sont pas déléguées à l’échelon du service du personnel. Que cela soit dans le domaine de la qualification, du recrutement, du licenciement, de l’accom-pagne-ment des collaborateurs ou de l’admi-nistration générale, c’est le front qui décide. Il faut être très clair.
Alors comment définiriez-vous le pouvoir des RH?
Leur pouvoir découle de leurs compétences de gestionnaire administratif. Quant on parle d’une retraite anticipée, d’une réadaptation de salaire, d’un replacement professionnel, d’un outsourcing ou d’une requalification, ils ont un rôle important à jouer et une vraie influence. Mais c’est plus un pouvoir décisionnel dans l’accompagne-ment du collaborateur, à l’échelon indivi-duel. Le RH n’interviendra jamais dans le cadre d’une réorganisation d’un groupe, d’une ligne ou d’une entité. Ce n’est pas sa mission.
Le chef du personnel participe-t-il aux séances de la direction?
Sa ligne participe aux rapports de la direction, toutes les deux semaines.
Estimez-vous que les RH ont un rôle à jouer lors de conflits.
Non, pas dans un premier temps. Je pense que ces compétences doivent rester aux mains de la ligne. Dans la gestion de conflit, le service du personnel doit être le dernier recours avant que cela ne passe au prud’homme ou chez un service juridique.
Alors quelle est leur valeur ajoutée?
Nous vivons aujourd’hui dans un rythme de changements rapides et réguliers. Le service du personnel est le service central sur lequel on s’appuie pour mettre en application nos changements. Une fois la stratégie définie, la gestion des ressources humaines est clé dans la réalisation de la mission. Restructurer une entreprise en soit c’est assez facile. Les vrais problèmes se posent quand vous intervenez auprès des personnes. Réorienter, refaire un organigramme, réévaluer des postes. C’est là qu’interviennent les compétences RH.
Les RH n’ont pas un rôle facile…
C’est vrai. Ils sont dans une situation remplie d’antagonismes. On leur demande à la fois une discrétion absolue et une grande capacité de communication. On aimerait bien qu’ils soient introvertis tout en donnant envie d’aller leur parler. Ils doivent faire preuve de compassion et de compréhension envers les difficultés des collaborateurs tout en étant des administrateurs hors pairs. C’est très difficile de rassembler toutes ces qualités.
Ils ont aussi un rôle de passeur d’infor-mations. Quelles sont pour vous les infos les plus utiles?
Les enquêtes de satisfaction. Je le dis souvent: les RH sont mes antennes et mes baromètres. Mais le chef du personnel doit faire preuve de sagesse dans l’analyse. Et déceler derrière les difficultés individuelles et forcément subjectives les vrais dysfonctionnements de l’organisation.
Quel serait votre chef du personnel idéal?
Un parfait administrateur-visionnaire. Une personne qui est capable à la fois de remplir des tableaux excel, de faire un contrat de travail et d’élaborer des grilles de compétences tout en sentant venir le vent, en comprenant ce qu’il se passe dans les li-gnes et ce que cela veut dire. Je constate que cette attitude est extrêmement difficile. Cela découle de sa situation. Le RH s’occupe avant tout des individus.
Où doivent-ils s’améliorer?
Les RH ne savent pas réfléchir en termes de concept. Ils doivent mieux parvenir à se hisser sur l’échelon politique d’entreprise. Mais qu’on se comprenne bien. Je travaille avec un département RH merveilleux. Dans la gestion du personnel, ils sont imbattables.