Les limites du pouvoir RH

Les limites du pouvoir RH selon quatre DRH de Suisse romande

HR Today a sondé quatre DRH de Suisse romande sur leur vraie valeur ajoutée dans les processus de décision stratégique. Les réponses démontrent une claire répartition des tâches entre ligne et GRH. Et les ressources humaines apportent les outils nécessaires à la réalisation des objectifs.

 

«Nous sommes les gardiennes de la méthode» 

Eliane Gaspoz, DRH de la Banque cantonale du Valais

«Suis-je impliquée dans le processus de décision stratégique de mon entreprise? La ques-tion me fait sourire. Car ce n’est pas moi qui élabore la stratégie de notre banque et je ne voudrais pas le faire d’ailleurs. J’ai une formation de psychologue, pas de financière. C’est une certaine humilité à avoir. Quand on est RH, on n’a pas les compétences pour intervenir dans le core business. Et je ne suis pas en train de me plaindre. Par contre, je suis au courant de la stratégie et je propose des stratégies RH pour l’atteindre. C’est une ques-tion de responsabilisation des RH. Je n’attends pas qu’on vienne me demander mon avis, je le donne. Et quand mes propositions sont solides et bien formulées, la direction générale les accepte. J’ai la chance de travailler dans une organisation qui fonctionne sur le mode participatif. Quels sont les thèmes où j’ai le plus d’influence? Nos thèmes de prédilection sont les sujets RH classiques. L’évaluation de compétences est fondamentale: où en sont nos gens par rapport aux objectifs? Quelles formations à mettre en place? Préparer les évaluations annuelles. Le recrutement est également clé. Nous avons aussi un rôle important à jouer dans le coaching des managers sur leurs défis RH. Si une situation de management est difficile à gérer, nous sommes la personne de référence chez qui le manager peut venir chercher de l’aide. Plus notre rôle de RH est bien défini, plus on a du pouvoir. Je prends l’exemple des entretiens d’embauche. Nos processus prévoient que le DRH soit toujours présent. Les managers décrivent très bien un cahier des charges. Mais quand il s’agit de sonder un candidat, ils ne se sentent pas à l’aise de leur poser des questions personnelles et se forgent parfois une opinion sur des critères peu objectifs. Mon rôle est d’établir cette relation et de pointer les risques. Mais je leur laisse toujours la décision finale. Cela dit, nos avis divergent rarement. A la base de tout le pouvoir RH, je crois qu’il faut définir de manière pointue et détaillée tous les processus. C’est un peu rébarbatif au départ et souvent les RH n’aiment pas faire ce travail, car ils estiment être meilleurs dans le relationnel. Mais dès que vous avez un processus détaillé approuvé par la DG, vous avez un réel pouvoir face à tous les managers. Car tout devient plus rassurant pour la direction. Nous les RH, nous sommes les gardiennes de la méthode.»

«Je constate un décalage entre l’intention et la pratique»

Sandrine Bugnon, DRH Touring Club Suisse

«En tant que membre de la direction générale, je participe à l’élaboration de la stratégie qui est ensuite présentée au conseil d’administration. J’aide à définir les valeurs et les politiques du personnel. Une fois la stratégie globale établie, j’élabore des stratégies RH. Ce sont des principes de conduite en lien avec notre positionnement sur le marché. Comment se comporter envers nos clients, le développement du personnel, la gestion de la relève sont des thèmes RH très importants. Ces stratégies RH sont toujours validées par le management pool, puisque c’est à eux de les mettre en pratique. Par rapport aux décisions de la ligne, je suis la garante que toutes ces règles soient respectées. En parallèle, nous nous positionnons comme des consultants internes. Ce n’est pas incompatible. Ce que je regrette dans l’attitude de la direction? Au niveau de l’intention, nous sommes tous d’accord. Mais dans la pratique, sous la pression des délais et le manque de ressources, l’opérationnel a tendance à ne pas prendre le temps. Ce que je comprends tout à fait. Et je ne le vis pas du tout comme une frustration. Je constate simplement un décalage entre les intentions et la pratique à cause du rythme très élevé que nous impose la marche des affaires.»

«Je n’ai pas les compétences techniques pour intervenir dans le business»

Perry Fleury, DRH des Retraites Populaires

 

 

 

«On m’informe des grandes décisions, mais je ne suis pas impliqué dans tout le processus de décision stratégique. En revanche, il m’est tout à fait possible d’intervenir si je le sou-haite. Cela arrive lors de certains gros processus transversaux, comme par exemple la mise sur pied du plan opérationnel, qui est un instrument de planification. Je pense que cette distance est normale. Tout dépend de la proximité du métier «ressources humaines» par rapport au secteur d’activité. Si le «core business» de l’entreprise est très spécialisé, ce n’est simplement pas possible pour le DRH de donner son avis. Même s’il est présent lors des séances de direction, il lui manquera probablement des connaissances et des compétences spécifiques. Aux Retraites Populaires, l’intervention du DRH est naturelle au moment de certaines prises de décision. Nous sommes par exemple en train de créer un espace d’accueil unique pour toutes nos unités d’affaire. J’ai fait des commentaires par rapport à l’accueil des nouveaux candidats. J’ai également formulé des recommandations sur la création de salles de conférences, qui serviront à nos formations. Notez aussi, mais cela va sans dire, que tout ce qui concerne la gestion des ressources humaines: budget, engagements et les autres thèmes RH, c’est le service des ressources humaines qui pilote les actions. Les décisions qui en découlent sont très souvent prises par nous, d’entente avec la ligne. Chaque fois que la direction parle du personnel, on passe par nous. La position idéale des DRH? A mon sens, il faudrait faire partie d’un comité de direction élargie qui se réunirait à intervalles réguliers et qui traiterait de sujets définis au préa-lable. Cette phase d’infor--mation et de préparation avant les séan-ces est très importante. Elle permet de clarifier s’il est nécessaire ou non de participer à la séance. Par ailleurs, je pense que les DRH doivent jouer un rôle de sensibilisateur sur les thèmes qui seront évoqués. Cette pé-riode préparatoire avant les séances est souvent notre terrain de jeu de prédilection. En revanche, il ne sert à rien de participer aux réunions hebdomadaires d’un comité directeur pour prendre des décisions très techniques et spécifiques. Ce serait une perte de temps, sauf si le DRH a les compétences pour y apporter sa valeur ajoutée. Ce que je regrette chez les dirigeants? D’une manière très générale, je pense qu’il leur manque une sensibilité RH quand ils élaborent des projets. Trop de projets sont réfléchis et décidés sans les «lunettes» ressources humaines. Ce qui peut parfois mener à des situations impos-sibles où l’on doit par exemple recruter ce que j’appelle des œufs à trois jaunes. Regardez les annonces d’emploi dans les journaux, on assiste à une incroyable inflation des qualités requises. Ce peut être sciemment voulu, mais c’est aussi le résultat d’une faible sensibilité RH des dirigeants d’entreprise. Faire chausser de bonnes lunettes ressources humaines aux collègues de la direction et de l’encadrement, tel est l’un des défis des DRH. D’ailleurs, par analogie, toutes les fonctions qui travaillent avec de l’intangible ou du qualitatif rencontrent le même défi.»

«Il faut parfois savoir se faire violence et aller de l’avant»

Françoise Vonmoos Jamolli, DRH de Switcher

«Je me sens impliquée dans le processus de décision stratégique. Chez Switcher, on vient de nommer un nouveau conseil d’adminis-tration. J’ai donc vécu l’avant et l’après. Les grandes options stratégiques, le positionnement de notre marque et les décisions commerciales sont remontées au niveau du conseil d’administration. Mon rôle se situe plus dans l’influence. Je pose des questions et je provoque des discussions sur certains sujets. Il s’agit plus d’une capacité à faire réfléchir les gens qu’un pouvoir en tant que tel. Les thèmes où j’ai de l’influence? Tout ce qui a trait à mon core business RH. Des décisions liées à l’organisation ou à no-tre activité commerciale. Quand vous ouvrez de nouveaux marchés, c’est très important d’avoir mené certaines analyses au préalable. Il faut bien préparer les choses. Le choix des personnes, le type d’organisation à échafauder, bref le comment on va se mettre en place. Des regrets? Non. Je ne regrette rien. Je ne suis pas dans une position de frustration. On a tous un rôle à jouer. Je suis capable de challenger certaines idées tout en restant objective. Les ressources humaines ont leur propre sensibilité. Mais au niveau d’une organisa-tion, il faut parfois savoir se faire violence et aller de l’avant. Je regrette ponctuellement le manque d’explication et d’information au moment des grandes décisions stratégiques. Il faudrait consacrer plus de temps pour s’assurer que le chemin sur lequel s’est engagé l’entreprise est connu et compris par tout le monde.»

 

commenter 0 commentaires HR Cosmos

Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

Plus d'articles de Marc Benninger

Cela peut vous intéresser