Du temps qui passe (II)
Près de 50% des projets n’aboutissent jamais, malgré toutes les excellentes formations en gestion de projet. On en parle trop peu. Parfois les équipes ne sont pas les bonnes, souvent les données et les contours peu clairs, mais surtout, le moment n’est pas opportun.
Photo: Austin Neill / Unsplash
Il manque un «plus petit dénominateur commun» qui réunisse et donne envie de s’investir, l’objectif peine à convaincre. Pas par mauvaise foi, mais parce que le projet n’est pas en phase avec la vie interne de cet organisme vivant que forment l’entreprise et ses collaborateurs. Les priorités entre divers projets, urgences et quotidien sont négligées. La temporalité n’est pas suffisamment prise en compte.
Quels que soient les atouts des théories managériales, il demeure une part d’insaisissable dans l’humain, qu’il faut laisser advenir. Dans les engagements des collaborateurs, dans les désirs des clients, les fluctuations sont là, les ajouts, les retraits, les disponibilités, les limites. La recherche d’équilibre entre l’agenda écrit et l’insaisissable doit se faire, pour intégrer cet imprévisible. Savoir reconnaître cette disponibilité ou indisponibilité permet au manager d’utiliser à bon escient ses propres ressources et celles des collaborateurs. Un jour la dynamique est présente qui permet soudain d’avancer: un dossier qui était jusqu’alors un serpent de mer trouve soudainement son issue. Un jour tout bloque: la sagesse impose de repousser le dossier de quelques temps ou d’agender une séance supplémentaire. Prendre en compte cette temporalité, c’est ce que je dénomme le management itératif, et que j’appelle de mes vœux.
L’approche de la Gestalt (Fritz Pearl, 1951) invite à considérer et mettre en forme ce qui se vit ici et maintenant. Partant du fondamental d’un mouvement permanent, il invite à conscientiser avec ses cinq sens le moment présent. Mais aussi à le structurer, en posant entre autres un début et une fin. C’est là le secret des animations de séance réussies.
Boucler des boucles permet de libérer l’énergie pour le prochain pas. Au contraire, quand l’énergie psychique reste investie dans plusieurs projets, activités, réalités professionnelles et personnelles, elle reste floue, peu efficiente, et laisse un sentiment d’insatisfaction. Une certaine fatigue issue du télétravail a cette même source: le manque de repères, que donnaient des séances par leurs atmosphères, leurs gestes usuels, les dispositions dans l’espace, les codes verbaux et comportementaux, même les odeurs diverses.
Le monde de l’informatique a développé des outils pertinents – après les débuts des ERP, où les projets s’enlisaient dans le temps en générant des surcoûts parfois faramineux. La gestion par itérations est née – avec ses méthodes Scrum, sa méthodologie par étapes, sa structuration forte. Son rapport au temps est différent de la gestion de projets classique, il est cyclique, en spirale. Offrant des «runs» de production et des phases de réflexion, à une échelle-temps humaine de quelques semaines, il permet le temps de la gestion (choisir les priorités, trier les objectifs) et le temps de la productivité. Des modèles de séances types différentes pour chaque étape ont été inventées, permettant de se retrouver dans le déroulement par le vécu, les cinq sens, les outils visuels, les ritualisations, et non seulement par l’intellect.
C’est là qu’un leader fait la différence d’un gestionnaire de projet: souder l’équipe autour des objectifs communs, développer, puis sceller et collectiviser le résultat, avant de partir pour une nouvelle boucle. Il propose le rythme, la structure, pour s’adjoindre de la volonté de chacun et de la cohésion de l’équipe – et évalue en permanence les besoins et possibilités de l’équipe pour adapter et construire la progression. Cet axe de leadership gagnera à être reconnu et valorisé – un leadership itératif pour que chacun s’approprie les objectifs, s’intègre dans l’effort collectif et se sente partie prenante du succès.