La déqualification, nouvel enjeu RH
Occuper un poste à un niveau de qualification inférieur à son niveau effectif est un phénomène qui touche un nombre important de travailleurs en Suisse. Le monde professionnel a tout à gagner de la valorisation de ces profils inexploités.
Photo: Vladimir Fedotov / Unsplash
En Suisse, environ 89'000 résidants en activité et issus de pays hors Union Européenne sont en possession d’un titre universitaire ou de niveau tertiaire. Mais parmi ces salariés, le taux global de personnes extra-européennes travaillant à un niveau de qualification inférieur au leur est de 27%? Ce taux de déqualification dépasse même 40%1 au sein des ressortissants de pays européens non membres de l'Union Européenne.
La déqualification désigne la situation de personnes amenées à travailler à un niveau de qualification inférieur à leur niveau effectif ou se trouvant actuellement en dehors du marché de l'emploi. Le public concerné frappe par son ampleur et sa diversité. Il peut s’agir de:
• résidents suisses en possession de qualifications étrangères et en recherche d'emploi dans leur domaine de compétences
• toute personne qualifiée (c'est-à-dire dont le profil professionnel est défini par une formation professionnelle ou tertiaire terminée à l'étranger et/ou une expérience professionnelle solide dans son domaine)
• toute personne ayant obtenu un permis de séjour autorisant une activité lucrative (avec des permis issus du domaine de l'asile C - B - F - N, ou avec des permis issus du regroupement familial et de l'UE à savoir permis B - C)
• Suisses dotés de qualifications étrangères
• jeunes diplômés ayant trouvé un premier poste en dehors du cadre de leur formation ou sous-qualifié par rapport à leur niveau d’études
• femmes reprenant une activité après un congé maternité ou une pause éducative
La pleine participation à la vie économique et sociale de ces personnes constitue un enjeu majeur, tant pour la société dans son ensemble que pour les employeurs: certains secteurs professionnels sont chroniquement en recherche de main-d’œuvre qualifiée. Avec la transition économique, d'autres voient par ailleurs leurs besoins augmenter de manière particulièrement rapide (santé, ingénierie, digital). Il existe ainsi localement des réservoirs importants de compétences dormantes, qualifiées mais hors du marché du travail, ou bien en situation de déqualification. Des professionnels dont les profils correspondent pourtant bien souvent aux besoins et aux exigences du marché du travail.
Une démarche gagnante
Dans la pratique, on remarque que c’est en emploi que l’adaptation du bagage professionnel se fait le plus efficacement. Dans une logique gagnant-gagnant, le retour sur investissement d'un emploi est en adéquation avec les qualifications et la situation de ce public cible: prévention de la précarité, sortie des services sociaux et des aides étatiques, plus grande participation aux recettes fiscales publiques, prise d’autonomie vis-à-vis d’un conjoint, revalorisation du parcours professionnel, équilibre familial mieux assuré. Insérées dans le marché du travail, ces personnes deviennent productrices et consommatrices, actrices de la société. Dans cette démarche réunissant les intérêts respectifs des employeurs et des candidats, les entreprises qui font le choix de faire confiance participent pleinement à la vie locale.
Mais alors, en tant qu’employeur, comment soutenir ces travailleurs? L’entreprise peut agir concrètement de différentes manières, notamment à travers l’organisation de stages d’observation, d’évaluation, ou encore d’essais… Mais aussi en invitant à un entretien d’embauche, car c’est un fait, ces profils non-linéaires ont plus de peine à accéder à la phase de recrutement et sont donc privés de la possibilité de faire la différence en face à face.
Mise en œuvre pratique
Et en pratique? Voici un exemple concret issu d’un accompagnement du Laboratoire, une association à but non lucratif qui a pour vocation de faciliter la rencontre et les relations de travail entre des employeurs suisses et des résidents genevois en possession de qualifications étrangères sans emploi ou déqualifiés.
Nadia* est infirmière diplômée avec deux ans d'expérience au service des urgences d'un hôpital d’une capitale d’un pays de l’est. Une fois arrivée en Suisse, elle suit des cours de français et travaille durant quelques années dans une entreprise en tant qu’opératrice. Extrêmement volontaire, elle réussit son examen DELF B2, soit le niveau de langue requis pour entamer une procédure de reconnaissance de son diplôme.
Suite au dépôt de sa demande, l'autorité responsable statue que son diplôme lui autorise l'exercice de la profession d'assistante en soins et santé communautaire (niveau CFC, inférieur à son diplôme d’infirmière étranger), mais ceci sous condition d'une évaluation durant un stage de six mois (pratique professionnelle) et d'un complément de formation. Soutenue par une association, la jeune femme élabore une stratégie pour atteindre son objectif. Directement éligible pour une équivalence à un niveau de qualification inférieur, elle peut exercer en qualité d'auxiliaire de santé ou d'aide-soignante.
Au lieu d'effectuer un stage, Nadia accepte d'être engagée en tant qu’auxiliaire de santé (c’est-à-dire le niveau de qualifications le plus bas auquel son équivalence lui permet de prétendre) pendant le temps nécessaire à l'évaluation et à l'ajustement de son profil. Elle met activement ses compétences au profit de son employeur, ce qui lui permet d'éviter la perte de revenus liée au statut précaire de stagiaire et de participer à la vie économique de sa ville d'accueil. Pour financer le complément de sa formation et la procédure de reconnaissance, une bourse a été sollicitée et obtenue auprès d’une Fondation. Libre à elle ensuite de continuer à moyen terme son évolution vers une fonction infirmière afin de reconquérir son ancien statut professionnel en Suisse.
Les avantages pour les employeurs d’adhérer à une telle démarche se révèlent donc nombreux: renforcement de l’ancrage local, valorisation de la politique RSE et de l’image employeur, mise en avant de la diversité pour renforcer la cohésion d'équipe, l'intelligence collective et l’innovation, proposition d’une politique RH innovante et à long terme, possibilité de tester de futurs collaborateurs… La société dans son ensemble a tout à gagner à accompagner ces personnes dans la valorisation de leur parcours afin qu’elles trouvent leur juste place et contribuent de la meilleure des manières au vivre ensemble!
*Nom connu de la rédaction
1 Rapport statistique sur l'intégration des personnes issues de l'immigration: OFS 2017 ; page 33
2 Constat confirmé par le dernier rapport statistique sur l'intégration de la population issue de la migration de l'OFS ; OFS 2017 ; page 33
«Nouveaux enjeux et perspectives de l'insertion professionnelle» - 21 septembre 2021
Sisu Lab et l’Ifage organisent un évènement qui se tiendra le mardi 21 septembre prochain, sur le thème «Nouveaux enjeux et perspectives de l'insertion professionnelle», de 8h30 à 12h30, à l’Ifage Montbrillant à Genève. Au programme:
- Atelier 1: «La demande en Job Coaching subit une hausse, mais la durée d’accompagnement des personnes en transition professionnelle diminue. Quelle peut-être la posture d'un coach face à cette situation?»
- Atelier 2: «Face à la révolution des métiers, le Job Coaching fonde son action sur une connaissance fine des exigences du marché de l’emploi. Quels sont les leviers du spécialiste emploi pour favoriser une (ré)insertion pérenne et le développement des compétences?»)
- Une table-ronde d’experts du domaine sur la thématique: «Comment élaborer une réinsertion professionnelle pérenne dans un environnement frappé par la déqualification et la globalisation? Une approche disruptive est-elle possible?»
Renseignements supplémentaires: «Nouveaux enjeux et perspectives de l'insertion professionnelle»