Gestion des compétences

La progressive consécration d’un outil de gestion flexible et dynamique

Les chercheurs Anne Dietrich et Alain-Max Guénette retracent ici l’émergence du modèle de gestion des compétences dans l’économie européenne. Ils évoquent les grands moments de cette histoire, les débats qui ont entouré certaines conceptions de la compétence et ouvrent leur analyse sur les perspectives de demain. 

 

Les années 1970 ont été marquées par deux crises pétrolières qui ont mis à mal le rapport salarial sur lequel étaient fondées les écono­mies industrielles. Le compromis économique dit fordien à l'œuvre jusque là, montrait alors ses limites face aux mutations du travail en­ traînées par une économie dite de la variété. Confrontée à de nouvelles exigences en termes de performance économique intégrant quali­té, réduction des coûts et des délais, les entre­prises repensent l'activité de travail et les exi­gences à l'égard des salariés, notamment en termes d'autonomie, de responsabilité et d'initiative. La notion de service installe le client au centre des préoccupations de tous. 

Premières tentatives de gestion prévisionnelle décevantes

Pour faire face à ces changements, les entre­ prises se préoccupent d'assurer l'adaptation des salariés à ces nouvelles exigences professionnelles et se voient contraintes de renouve­ler leurs pratiques de gestion des RH et d'anticiper les changements à venir. Sur le plan des pratiques, les premières applications des années 1980 ont renvoyé aux tentatives d'anticipation des emplois et des compétences. Ces diverses tentatives de gestion prévi­sionnelle des emplois et des compétences - GPEC - se sont révélées décevantes et ont don­né lieu à un bilan en demi­teinte. 

Elles laissent la place dans les années 1990 aux démarches compétences qui, elles, répondront au souci de flexibilité et de performance des entreprises. Ces années mar­quent l'institutionnalisation forte de la no­tion de compétence, avec, par exemple, en France, son appropriation par l'organisation patronale Médef qui en fait le noyau d'une véritable doctrine managériale. La notion de compétence favorise une instrumentation forte des pratiques de gestion des RH, avec notamment le développement de référentiels  de compétences, des entretiens d'évaluation, comme outils clés du management des hommes. 

La gestion des compétences n'est pas le seul fait des praticiens d'entreprise. Emer­geant dans le champ des pratiques, la notion de compétence mobilise tout d'abord les organismes de formation chargés d'assurer l'adaptation des salariés aux mutations du travail. Elles donnent également lieu à de multiples débats sur le plan académique con­cernant sa définition, sa conceptualisation, sa caractérisation par les ergonomes notam­ment. D'autres débats plus polémiques se poursuivront tout au long des années 1990 quant à son usage gestionnaire et ses rapports avec la notion de qualification, au cœur de l'approche sociologique du travail et des systèmes de classification des emplois. 

L'importance des ressources immatérielles pour l'entreprise

Dans le champ des sciences de gestion, son instrumentalisation massive conduite à des in­terrogations quant à la pertinence et aux effets des outils mobilisés. De nouveaux champs de conceptualisation apparaissent autour des liens entre compétences individuelles et compétences stratégiques, renvoyant plus globale­ment au lien entre stratégie et gestion des RH. La gestion des compétences a permis de met­tre l'accent sur l'importance des ressources immatérielles pour l'entreprise. 

Les pratiques de gestion des compétences et de gestion des connaissances sont aujourd'hui populaires, tant dans les projets de réforme organisationnelle que dans les écrits des chercheurs et des consultants. Cette popularité correspond globalement à une vi­sion des enjeux industriels mettant en avant la compétence et la connaissance comme richesse essentielle des entreprises, et donc comme exigence, celle de structurer, d'orga­niser ces dynamiques de connaissances et de compétences. On peut considérer qu'émerge un nouveau mode de rationalisation qui vise à gérer de façon raisonnée le capital intellec­tuel et l'évolution des métiers. Les actions orientées compétences et les actions orientées connaissances commencent d'être reliées. 

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Alain-Max Guénette est professeur à la Haute école de gestion Arc à Neuchâtel où il est coresponsable de l'enseignement en organisation, management des ressources humaines et psychosociologie. 

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Anne Dietrich est maître de conférences en sciences de gestion, à l'IAE de Lille. Elle a publié plusieurs articles sur la gestion des compétences. 

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