Gestion des compétences

Ce que cache la nébuleuse des modèles de gestion des compétences

Terme bateau s’il en est, la gestion des compétences cache une variété très disparate de pratiques et de méthodes. Cette diversité correspond aux réalités des différents secteurs d’activité et aux tailles d’entreprises. Tour d’horizon des modèles les plus classiques, des dérives possibles et deux cas d’école. 

C'est peut-être la révolution managériale la plus importante de ces vingt dernières années. La gestion du personnel par les compétences et non plus seulement par les fonctions a considérablement modifié la vie en organisation. Dans le bon et le mauvais sens. Arrivée des États-Unis à la fin des années 1980, la gestion des compétences a permis d'insuffler plus de flexibilité dans les organisations. Afin de répondre aux nouvelles donnes de l'économie de marché: internationalisation des entreprises, flux de production toujours plus tendu, concurrence des pays émergents, protection du savoir-faire, innovation et pression sur les coûts. Devant ces impératifs, on privilégie ce que les collaborateurs sont en mesure d'apporter à l'organisation. On leur demande plus de mobilité interne, de flexibilité dans le cahier des charges. Avec en corollaire, le grand élan des formations continues. Cette nouvelle matrice managériale a également l'avantage de se glisser dans plusieurs mouvements organisationnels récents. L'approche qualité d'abord. La norme ISO 9000 (version 2000) comprend tout un chapitre sur la gestion des compétences. En termes d'informatisation des processus RH, la gestion des compétences permet un meilleur partage des informations stratégiques liées au personnel. Aujourd'hui, la tendance est aux compétences comportementales. Ces fameuses «soft skills» qui valent leur «pesant d'or» en termes d'efficacité.

Mais si la gestion par les compétences a permis de créer de la valeur, elle a aussi montré ses limites. Le risque des usines à gaz semble aujourd'hui être plus ou moins bien maîtrisé. Selon le spécialiste français Christian Defélix, c'est en impliquant les managers et les cadres dans la préparation du référentiel de compétences qu'on évite cet écueil. Il sourit: «C'est le test du terrain. On ne la leur fait pas.» Aujourd'hui, ce serait plutôt vers trop de simplification qu'évoluent les spécialistes RH. Avec le risque de passer à côté de l'essentiel: faire le lien entre ces référentiels et le business de l'entreprise.

Un patchwork très bigarré de pratiques et de méthodes

En définitive, on assiste à l'émergence d'un patchwork très bigarré de pratiques et de méthodes. Avec des différences notables selon les secteurs d'activité et la taille des organisations. Christian Defélix, qui enseigne à l'Institut  d'Administration des Entreprises de l'Université de Grenoble, opère une classification en trois piliers. Il y a d'abord les sociétés qui proclament une approche compétences sans l'exécuter sur le terrain. C'est une minorité. La majorité des organisations aborde la question par les compétences requises. C'est le fameux modèle «top down» (de haut en bas), dans lequel la société définit une stratégie délibérée pour repérer, voire créer, les compétences nécessaires. 

Enfin, le troisième cas de figure, lui aussi plutôt rare, part d'en bas pour aller vers le haut. Il s'agit de cerner quelles sont les compétences à disposition pour éventuellement se repositionner sur un marché ou démarcher de nouveaux segments. Christian Defélix cite l'exemple de la compagnie aérienne Régional, filière du groupe Air France, qui à la suite de plusieurs demandes de clients, a réalisé qu'elle disposait des compétences internes pour effectuer des vols charters. Ce qui lui a permis d'élargir son offre commerciale. 

La délicate rémunération en fonction de la compétence mobilisée

Les différences entre ces modèles deviennent plus nettes encore en les observant par le prisme des rémunérations. Christian Defélix: «La question est de savoir s'il faut payer la compétences ou l'activité. La plupart du temps, on ne paie pas la compétence mobilisée, on paie l'activité. C'est-à-dire les compétences requises. Mais il existe une marge entre ces systèmes. En fonction de la manière dont les postes sont tenus, on peut faire varier l'indice de rémunération. Chez Schneider Electric, sur un poste d'opérateur donné, vous avez trois positions possibles: débutant, maîtrise et expertise. La rémunération est donc à la marge liée à la compétence mobilisée, tout en restant dans la fourchette liée au poste.» Les modèles qui rémunèrent uniquement les compétences mobilisées sont très rares. Ils sont en général basés sur des emplois types à la définition très générale. Les collaborateurs peuvent donc être affectés d'un poste à l'autre et sont évalués par un jury sur les compétences mobilisées. Et de préciser que le système n'est pas infaillible. «Certains collaborateurs moyennement compétents comprennent rapidement comment fonctionne le système. Ils s'entourent bien, jouent avec les ratios d'objectifs et augmentent leur rémunération.» 

Cette dérive a été rapidement cernée par les DRH et les directeurs de ligne. Mais la prudence est également de mise du côté des collaborateurs. «Cette méthode de gestion est parfois mal perçue par les salariés. Ils ont le sentiment de n'être plus qu'un paquet de points. En termes d'identité professionnelle c'est plus difficile», analyse Christian Defélix. Avant de conclure: «Dans 99 pour cent des cas, on conçoit la gestion des compétences comme une démarche individuelle. En parallèle, on se plaint d'un manque de coopération. Il est vrai que dans son format actuel, la gestion des compétences renforce l'individualisation. Le challenge sera de s'intéresser aux compétences collectives. Nous menons actuellement plusieurs travaux de recherche dans ce domaine. On redécouvre l'importance d'un langage collectif et d'une mémoire collective. Finalement, on redécouvre que 1+1 fait plus que 2.» 

L'intervenant

Christian Defélix est professeur à l'Institut d'administration des  entreprises de Grenoble. Il a coécrit plusieurs articles et co-édité  «Nouveaux regards sur la gestion des compétences». 

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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