Gestion des compétences

"Un ascenseur social qui fonctionne bien augmente la motivation et l’implication"

Comment élaborer un modèle de gestion des compétences qui s’adresse aux suiveurs de l’entreprise. Ces collaborateurs peu qualifiés, souvent désabusés et démotivés, mais qui forment la plus grande partie des effectifs des grandes organisations. L’analyse du professeur de GRH français Jean-Marie Peretti. 

 

Il est l'auteur RH le plus lu de l'Hexagone. Après les best-sellers «Tous DRH» (2001), «Tous reconnus» (2005) et «Tous différents» (2006), Jean-Marie Peretti vient de publier «Tous talentueux». Cet ouvrage collectif*, qui met en valeur l'étendue du réseau Peretti en France et à l'étranger, décortique la difficile question des laissés pour compte des organisations. Ces collaborateurs souvent sans formation, un peu désabusés et donc peu enclins à s'investir, seraient une source de richesse encore fortement négligée par les directions générales. Rencontré en marge du Festival ISEOR à l'Université Jean Moulin 3 de Lyon, entre les desserts et les cafés, Jean-Marie Peretti défend une vision très sociale de la GRH. 

Avec votre dernier livre «Tous talentueux», vous affirmez que chaque collaborateur est un talent...

Oui. En période de pénurie de talents, les entreprises se concentrent sur les hauts potentiels, ces gens qui figurent dans les plans de successions et les listes de relève. Nous postulons au contraire qu'il existe des talents en interne, au plus bas niveau de la hiérarchie. Mais pour cela, l'ascenseur social doit fonctionner complètement.

Comment qualifiez-vous cette population? Les suiveurs? Les salariés? Les exécutants? Les travailleurs?

Tous ceux dont le métier est dévalorisé, que l'on considère comme des exécutants, disons des muscles plutôt que des cerveaux. Nous devons développer leur capacité d'innovation et de créativité. Depuis quelques années se développent des programmes d'innovation participative où l'on veut faire de chaque salarié quelqu'un qui ait des idées. C'est cette idée qu'il y a dans le mot tous. Nous sommes tous talentueux. 

N'est-ce pas là une image d'Épinal. Ces collaborateurs viennent travailler pour gagner de l'argent, ils n'ont pas envie d'évoluer au sein des organisations et ce que vous proposez ne les intéresse tout simplement pas...

Pour de nombreux collaborateurs, s'investir davantage serait un contrat psychologique totalement déséquilibré. Autrement dit, le manque de confiance dans l'entreprise est très fort aujourd'hui. N'empêche que les outils de gestion des compétences ne sont encore de loin pas destinés à tous les collaborateurs. Dans le groupe Nestlé par exemple, sur 260 000 collaborateurs, seuls environ 160 000 personnes sont concernées. Peut-on dire finalement que l'investissement n'en vaut pas la peine... 

Bien sûr qu'il en vaut la peine. A chaque fois qu'on offre en interne une progression, qu'on valorise l'expérience et qu'on valorise les habiletés plutôt que les certifications, on développe toujours une implication très forte. Il n'y pas d'entreprise qui ait de meilleurs résultats en termes de motivation et d'implication que celles où l'ascenseur social fonctionne bien. 

Des exemples?

Le géant de la restauration rapide McDonalds recrute beaucoup de sauvageons et leur offre l'opportunité de devenir des directeurs de restaurant en les formant. Tous les secteurs sont concernés, le bâtiment, les travaux publics, la restauration, l'hôtellerie, la santé, tous ces secteurs savent qu'il faut aller chercher des personnes qui sont plutôt exclues du monde du travail pour les amener à devenir demain des talents. 

Quel est le modèle de gestion des compétences qui leur est le plus adapté?

La notion d'équité est primordiale. Il faut vraiment que les outils utilisés ne soient pas moins sophistiqués en bas de l'échelle qu'en haut. Quand on parle d'assessment center pour les cadres dirigeants, il en faut aussi pour déceler des habiletés au plus bas niveau. 

Cela impliquerait quand même des coûts faramineux...

Oui. Mais l'important c'est que l'investissement rapporte beaucoup plus. Chaque fois que j'investis pour développer les compétences de quelqu'un qui est en bas de l'échelle, je vais obtenir demain un talent à des prix de revient - j'ose le dire - beaucoup plus faibles que tous les prix d'acquisition de fidélisation de maintenance que j'investis sur les hauts potentiels. Les hauts potentiels consomment beaucoup de budget et les potentiels ignorés, c'est du gaspillage. 
 

* Jean-Marie Peretti (sous dir.): Tous talentueux.  Développer les talents et les potentiels dans l'entreprise, éd. d'Organisation, novembre 2008, 290 pages.

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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