L’art de la productivité sans stress
Au fond, tout cerveau humain, pour accomplir quoi que ce soit, a besoin de répondre à deux questions fondamentales: qu’est-ce que je dois obtenir comme résultat, et par quoi je commence.
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L’évolution de notre environnement au cours des dernières décennies a radicalement, et peut-être définitivement modifié notre rapport au temps. La vie paysanne d’autrefois était régie par des traditions séculaires et une cyclicité essentiellement saisonnière. La vie ouvrière s’est ensuite inscrite dans une organisation systématisée et programmée de type bureaucratique.
L’apparition de nouveaux modèles de management et d’une certaine insécurité professionnelle, la redéfinition permanente du périmètre du travail et l’éclatement du modèle familial traditionnel nous affectent jusqu’aux dernières frontières de notre vie intime. Aujourd’hui, nous sommes amenés à faire preuve d’une organisation sans faille pour gagner en efficacité sans plier sous le stress.
40% du travail imprévu
Quelques chiffres. Un cadre est interrompu en moyenne toutes les deux minutes et demie et reçoit près de cinquante-sept e-mails professionnels dans une journée. Résultat, 40% de la somme de travail du jour n’était pas prévue le matin même! Beaucoup de gens se sentent ainsi dépossédés de leur propre vie, et cette perte de contrôle se matérialise sous forme de surmenage et de stress. Pourquoi n’arrivons-nous pas à surmonter ce défi? En grande partie parce que nous nous trompons sur la nature de notre stress.
Nous pensons que ce stress provient d’un manque de temps. En réalité, ce dont nous manquons le plus, c’est de clarté. Nous avons besoin d’une cartographie exhaustive de nos engagements, d’un recensement de nos projets, et des conséquences que cela implique. La deuxième erreur est de compter excessivement sur notre mémoire pour nous rappeler les tâches à effectuer. Or, nos multiples engagements clignotent en permanence dans notre subconscient comme des alarmes. Des dizaines de choses à faire en même temps. Dans ce magma, il devient difficile, voire impossible, d’arbitrer.
Recenser les engagements
La première chose à faire est de recenser la totalité de nos engagements: petites et grandes obligations, engagements professionnels et privés, urgences et projets de long terme. Les outils concrets que vous allez utiliser pour cela importent peu, ce qui compte c’est de noter tout ce qui retient votre attention, puis de rassembler ces notes dans le moins de supports possibles, mais autant que nécessaires.
Par exemple, si vous optez pour un carnet à feuilles détachables petit format qui peut vous accompagner partout (et présente l’avantage de ne jamais tomber en panne de batterie), vous devrez pouvoir détacher les feuilles une fois remplies pour les rassembler toutes dans une bannette de courrier, qui fera office de boîte de réception pour tout ce qui est physique. Si vous êtes plutôt adepte de la technologie, il existe des milliers d’app sur smartphone qui vous permettront de prendre des notes. Vous pouvez également utiliser des enregistreurs audio, un fichier Excel, etc. Encore une fois, l’outil le plus indiqué pour vous sera celui que vous aurez plaisir à utiliser. Ce qui compte, c’est de prendre le réflexe de la notation, et du rassemblement (provisoire) des notes dans un seul et même endroit.
La deuxième étape est de définir, pour chacun de ces engagements, la première action concrète à effectuer, s’il y en a une. Nous allons donc régulièrement aller vider les boîtes de réception mises en place lors de l’étape précédente, pour décider s’il y a quelque chose à faire avec ce que l’on a noté, et identifier quelles prochaines actions s’y trouvent. Et quand je parle d’action, il s’agit réellement de la prochaine action, pas d’une série d’actions divisibles.
Par exemple, «payer le plombier» semble une action pour la plupart d’entre nous. Mais ce n’est le cas que si le plombier est devant moi, et que je sors l’argent de ma poche pour le lui donner. Si je dois en fait retrouver sa facture, puis faire le chèque et enfin aller à la poste, alors je n’ai pas une action, mais trois à faire pour atteindre mon résultat. Dans cette deuxième étape, ce qui compte est d’identifier la toute prochaine action, parce que c’est la seule que je puisse vraiment faire; les suivantes devront attendre, il ne sert donc à rien que je les ai «sous les yeux» ou à l’esprit.
Rangement externe fiable
Enfin, il s’agit de classer chacun de ces engagements dans un système de rangement externe fiable conçu pour nous alerter au moment opportun. Mais encore? Tout ce qui gravite dans votre vie, tous vos projets, toutes vos actions, tout cela peut se gérer avec 4 grandes catégories: les projets, les (prochaines) actions, les choses en attente, et un calendrier.
La liste de projet reprend l’ensemble de vos engagements actuels, en termes de résultats souhaités. La liste d’actions reprend, elle, l’intégralité des prochaines actions que vous avez identifiées lors de l’étape précédente. Comme il risque d’y en avoir beaucoup (entre 180 et 250 en moyenne pour les postes de managers, middle et top), il peut être nécessaire de créer des sous-catégories pour mieux les gérer. La liste des choses en attente va contenir tout ce que vous avez délégué, de manière à pouvoir en faire le suivi, ainsi que tout ce dont vous êtes en attente de la part d’autres personnes. Si vous avez déjà perdu la moitié de votre bibliothèque à force d’avoir prêté vos livres sans noter à qui, vous voyez très bien l’intérêt de cette liste.
Enfin, votre calendrier sera utile pour répertorier tout ce que vous avez à faire à certains moments précis; mais pour la plupart, c’est un outil que vous avez déjà. Il n’y a pas d’outil ni de logiciel idéal. Vous pouvez utiliser des carnets à onglets, à spirale, des petits ou des grands, des gestionnaires de liste électronique, des fichiers Excel... Là encore, une seule règle: l’outil le plus adapté pour vous est celui que vous utiliserez.
Le livre de David Allen
Cette approche méthodique justifie un apprentissage et un entraînement. Je veux parler de la méthode GTD ( «Getting Things Done», littéralement «faire en sorte que les choses soient faites»). Cette méthode a été élaborée par David Allen dès le début des années 80. Consultant en organisation, son métier consistait à l’époque à coacher les individus pour les aider à identifier le meilleur moyen pour eux de faire ce qu’ils avaient à faire. À force, David a pu identifier les bonnes pratiques communes à tous, qui font qu’un être humain va pouvoir gérer tous ses engagements, même en grand nombre, sans ressentir de stress.
Le livre Getting Things Done, publié début 2001 aux Etats-Unis, a dépassé les 2 millions d’exemplaires vendus dans le monde (50000 en France). La nouvelle édition, sortie en 2015, propose d’ailleurs deux nouveaux chapitres, dont un qui présente les récentes recherches en psychologie cognitive qui valident la méthode GTD, et expliquent pourquoi elle fonctionne quel que soit notre profil psychologique.
Au fond, tout cerveau humain, pour accomplir quoi que ce soit, a besoin de répondre à deux questions fondamentales: qu’est-ce que je dois obtenir comme résultat, et par quoi je commence. Le reste du système est destiné à gérer les réponses à ces questions dans un cerveau «externe», qui nous libère l’esprit d’avoir à nous en souvenir au meilleur moment.
Cette méthode est avant tout une pratique, au même titre qu’on apprend un instrument, une nouvelle langue, ou un art martial. Nous ne sommes pas nés en sachant le faire naturellement, il faut y travailler consciemment pour en faire une habitude intégrée. Vous pouvez lire tous les livres sur la natation, vous ne saurez nager qu’en allant dans l’eau. Il en va de même pour quiconque souhaite atteindre l’art de la productivité sans stress.