Santé

L’assistance aux employés s’impose en Suisse romande

Les problèmes personnels des employés ne disparaissent pas en entrant sur la place de travail. Pour éviter les effets négatifs sur la productivité, plusieurs multinationales optent pour un service d’assistance externalisé. Avec de réelles conséquences sur l’absentéisme et la motivation des équipes.

On a longtemps fermé les yeux sur le problème. Le «présentéisme» préoccupe cependant toujours plus les départements ressources humaines. Arrivé des pays anglo-saxons, le terme désigne la capacité de concentration fortement diminuée des collaborateurs qui souffrent (en silence) de difficultés personnelles. Avec des conséquences en terme de baisse de productivité et de rendement évidentes. Si certaines sources estiment que 30% des employés d’une société en restructuration montrent des symptômes de «présentéisme», le phénomène concerne toutes les catégories d’entreprises puisqu’il est lié au contexte très complexe des relations humaines privées et professionnelles des collaborateurs. Comment en effet assurer une présence d’esprit de tous les instants en plein milieu d’un divorce particulièrement houleux? Lorsqu’un membre de la famille est gravement malade. Ou lorsqu’on est à la recherche d’un appartement sur Genève… Si la question a souvent été repoussée en dehors des départements RH, c’est qu’elle met le doigt sur la délicate limite entre sphère privée et domaine professionnel. Car depuis que la plus-value économique s’est déplacée vers la qualité du service, les compétences humaines des collaborateurs sont toujours plus sollicitées. Mais où s’arrête la frontière entre l’intimité et le devoir professionnel? Intervenir en cas de problème personnel? Oui. Mais comment?

Une des solutions qui semble s’imposer depuis quelques années en Suisse romande est le service d’assistance anonyme proposé par ICAS. Inspiré de méthodes éprouvées en Angleterre, cette société zurichoise offre un numéro de téléphone ouvert 24 heures sur 24, 365 jours par an, pour coacher les collaborateurs dans leurs soucis professionnels et privés. L’offre comprend également un important dispositif de communication pour présenter l’outil à l’ensemble des collaborateurs et à leur entourage proche. Derrière ce dispositif, une équipe de 18 psychologues, juristes et médecins du travail cherchent des solutions aux différentes requêtes. Pour les cas plus compliqués, des entretiens individuels sont organisés. De ces échanges, ICAS tire des statistiques qu’il montre ensuite anonymement aux managers. Cet échange d’informations sert de thermomètre de l’ambiance générale sur la place de travail. Mais le grand avantage du service réside sans doute dans son externalisation. L’anonymat est ainsi entièrement garanti. «Et le problème de l’ingérence de l’entreprise dans la sphère privée de ses collaborateurs ne se pose pas puisque nous agissons uniquement sur demande des employés. C’est donc eux qui choisissent de nous parler de leurs problèmes», complète René Marchand, le créateur (en 1999) et directeur de la franchise ICAS en Suisse, Autriche, Allemagne, Italie et Luxembourg. Côté coût, un contrat ICAS se monnaie en moyenne 10 francs par collaborateur et par mois. Mais ce prix diminue avec la taille de la société. 

Dans la pratique, la plus forte demande s’opère les premiers jours suivant la présentation en entreprise. Des employés qui traînent des soucis depuis longtemps peuvent enfin passer à l’acte. D’autres appellent simplement pour tester l’efficacité du système. La majorité des problèmes resencés sont juridiques. Les aspects logistiques de la vie des collaborateurs sont également très souvent mis en avant (voir l’encadré ci-dessous). Mais les difficultés émotionnelles ont tendance à augmenter. En trois ans, le rapport logistique/ émotionnel est passé de 70/30 à 60/40, assure René Marchand. Et de proclamer: «La pression sur le marché du travail a considérablement augmenté ces dernières années. Et les implications de ce stress professionnel sur la vie privée des collaborateurs sont tout aussi importantes que les conséquences du «présentéisme» sur les affaires de l’entreprise. Il s’agit vraiment d’une solution win-win. Car autant l’individu que son employeur sont gagnants.» 

Les effets agissent sur deux niveaux. «Selon nos statistiques, 70% des demandes individuelles ont pu être réglées. Evidemment, dans le cas d’un divorce, notre marge de manœuvre reste limitée. Mais comme dans les autres domaines d’intervention, nous offrons une assistance. Au collaborateur de décider et finalement d’agir sur son sort», relève René Marchand. Du côté de l’entreprise, le service ICAS permet une approche plus scientifique des ressources humaines puisqu’il dispose de statistiques des problèmes des collaborateurs régulièrement mises à jour. «Ce sont des chiffres neutres qui permettent d’élaborer des stratégies préventives», poursuit René Marchand. Quant aux retours sur investissement sonnants et trébuchants, le service permet de diminuer le taux d’absentéisme. Chez Dupont, ce ratio est tombé à 1,4% (la moyenne en Suisse est 5). Selon René Marchand, le R.O.I. moyen pour une entreprise suisse se situe entre 1 et 12% de la somme investie. En termes RH, la plus value est autant réelle que symbolique. Alors que les discours sur l’importance du potentiel humain sont légions en entreprise, les actions concrètes le sont très souvent moins. «Payer un service qui s’occupe des problèmes privés des collaborateurs est un signe fort pour leur montrer qu’ils comptent dans l’organisation. En termes de recrutement, cela peut également être un atout de taille», note René Marchand. 

En Suisse, la première société à avoir choisi cette option est la multinationale américaine Dupont à Genève. Adepte de ce genre d’assistance depuis plus de 30 ans, c’est même à la demande de Dupont que la maison mère d’ICAS en Angleterre a étendu son réseau en Europe. Sept ans plus tard, 33 entreprises (33000 collaborateurs)  recourent à ce service en Suisse. Le chiffre d’affaires de la franchise ICAS en Suisse est gardé secret, mais René Marchand avoue une croissance annuelle de 80% depuis trois ans. Avec ses 11000 employés, Manor est aujourd’hui le plus gros client. Le spécialiste de la mode Vero Moda (160 collaborateurs) est le plus petit. Mais cet intérêt est plutôt récent. Créé en 1999, le développement de la franchise ICAS en Suisse a pris son envol en 2005 seulement. «La méthode est anglo-saxonne. Cela a provoqué des résistances. L’argument classique était que la vie privée des collaborateurs ne regarde en rien l’entreprise», explique René Marchand. Mais le vent tourne en 2002 quand le Seco révèle que 7,6% des travailleurs du pays sont victimes de mobbing. La même année, le Seco estime que le stress coûte près de 4,2 milliards de francs aux entreprises suisses. En juillet 2004, un cadre victime de mobbing à la Banque cantonale de Zurich abat en plein jour deux de ses supérieurs. L’affaire avait secoué le marché du travail suisse. Il conclut: «Ces événements ont confirmé que les problèmes personnels ne s’éclipsent pas une fois passé la porte de l’entreprise le lundi matin.»

L'interviewé

Le Dr René Marchand a lancé en 1999, avec le Dr Stefan Boëthius, la franchise ICAS en Suisse, Allemagne, Autriche, Luxembourg et Italie. 

Lien: http://www.icas-eap.com/?

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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