RH en secteur public

«Le Conseil d'État a tiré les leçons des échecs de la réforme du système d'évaluation des fonctions»

Coralie Apffel-Mampaey est la directrice générale de l'Office du personnel de l'État (OPE) de l'Etat de Genève depuis juin 2021. Elle décrypte ici ses dossiers prioritaires: la troisième réforme du système d'évaluation des fonctions et un plan de mesures pour lutter contre l'absence.

Le nouveau Conseil d’État vient d’entrer en fonction. Quelles sont les implications concrètes pour vous?

Les grands projets RH et leurs enjeux sous-jacents devront être présentés à la délégation RH, composée de trois membres du gouvernement, mais aussi aux autres membres du nouveau Conseil d’État qui ne font pas partie de cette délégation. À noter aussi que la stratégie RH 2024-2028 sera bientôt finalisée. Les dossiers prioritaires définis dans le cadre de cette stratégie seront mis en œuvre par l’OPE.

Quels seront ces domaines prioritaires?

Les chantiers sont nombreux et se regroupent sous la stratégie du Conseil d’État «Travailler autrement», consistant à transformer la culture et notamment la culture managériale au sein de l’État. Dans ce contexte, le gouvernement genevois souhaite valoriser les managers et leur rôle d’accompagnant. Les cadres ont des responsabilités pour délivrer les prestations, mais aussi en termes de conditions de travail et d’employabilité. En principe, le personnel de l’État accomplit toute sa carrière au sein de l’administration. Mais les métiers et l’environnement changent, c’est donc aux managers d’accompagner les individus dans leur carrière.

Qu’en est-il de l’égalité F+H?

Sous l’impulsion de notre magistrate Nathalie Fontanet, nous avons bien avancé, en collaboration avec le Bureau de promotion de l’égalité et de prévention des violences (BPEV). Le taux de femmes cadres a dépassé notre objectif en 2022 à 40,6% (38,8% en 2019). L’écart de rémunération se réduit d’année en année. Selon le test logib, cet écart est même inexistant. En revanche, certains métiers dits féminins sont moins bien rémunérés que des métiers considérés comme masculins. En salaire médian, une différence de 453 francs demeure (2016 francs en 2019). Nous constatons donc un réalignement salarial au niveau des métiers. Les femmes occupent aussi de plus en plus les métiers dits masculins.

Comment évoluent les temps partiels?

Favorablement. Conformément à la volonté du Conseil d’État, nous cherchons à concilier au maximum vie privée et professionnelle. En principe, nous ne refusons jamais une réduction d’un temps plein à un temps partiel. Dans les métiers des soins, quand les salaires sont revalorisés, le personnel a tendance à diminuer son temps de travail. C’est un mouvement général de la société, les gens n’aspirent plus à travailler à temps plein.

Vous venez aussi de démarrer la troisième tentative pour réformer le plan de rémunération. Quels sont les objectifs de G’Evolue?

L’intention portée tant par les associations représentatives du personnel que l’État employeur est de moderniser le système d’évaluation des fonctions qui date de 1975. Les deux dernières réformes n’ont pas abouti: MODSEF, durant les années 2000 et SCORE, abandonné en 2020. Nous avons tiré les leçons de ces échecs. Le Conseil d’État a négocié en 2022 un protocole d’accord avec les partenaires sociaux pour redonner un cadre adéquat à la réforme. Cette dernière est désormais conduite par une commission paritaire (avec des représentants des employeurs et des employés), laquelle est en place depuis janvier et tient séance deux mercredis par mois.

Quel sera l’objectif prioritaire de cette réforme?

L’Etat a besoin d’un dispositif transparent, intelligible et public, qui garantit l’égalité salariale et évite toute forme de discrimination, avec des critères d’évaluation compréhensibles, mesurables et modernes. C’est d’ailleurs ce que souhaite le Conseil d’État et les partenaires sociaux, dont l’objectif commun est de valoriser les fonctions d’encadrement, de promouvoir les possibilités d’évolutions professionnelles, la mobilité interne et de maintenir la cohérence des grandes fonctions existantes. L’OPE, qui a un rôle cardinal à jouer, a d’ailleurs obtenu neuf postes pour construire une équipe dédiée à ce projet.

Le taux d’absence du personnel de l’État est reparti à la hausse depuis 2018. Les coûts liés au personnel absent représentent 100 millions de francs par année. Où en est-il aujourd’hui et quelles sont les mesures mises en place pour le maîtriser?

Le taux d’absence augmente dans le monde entier, en lien avec l’évolution démographique. L’intensité du travail augmente aussi et cela a un impact sur la santé. La conseillère d’État Nathalie Fontanet a décidé de lancer ce plan quand elle a vu les chiffres d’avant pandémie (4,5%), taux qui est passé progressivement à 6%. Le plan de lutte doit analyser ce qu’il se passe afin de juguler, voire de réduire ce taux d’absence.

Le plan a été lancé en mars 2023, quels sont vos premiers constats?

Comme l’a rappelé publiquement le Conseil d’État, le trend est haussier depuis 2012, et, si nous n’entreprenons rien, cela va coûter deux millions de plus chaque année. Dans cinq ans, le coût de l’absence atteindra 110 millions de francs par an. Par ailleurs, l’analyse des données a montré que la situation nous échappe à partir du 86ème jour d’absence. Nous devons donc intervenir avant cette date butoir pour être efficace.

Comment?

Le Conseil d’État nous a mandaté pour élaborer un plan en quatre axes: 1. Prévenir les absences et promouvoir la santé au travail. 2. Améliorer le suivi des absences. 3. S’occuper des personnes présentes (notamment dans les services transactionnels, pour éviter les effets dominos qui nuisent aux collaborateurs non-absents). 4. Lutter contre les absences perçues comme injustifiées. Il est toutefois important de préciser que très peu de personnes abusent du système.

Avez-vous les moyens de vos ambitions?

Oui, avec le soutien du Conseil d’État. La commission des finances nous a attribué des moyens en mars et août 2022. Le Grand Conseil a voté en décembre dernier le budget 2023 avec des moyens supplémentaires, soit 13 postes sur une durée de 4 ans. Obtenir des ressources pour améliorer les prestations RH n’est pas un mécanisme automatique, car le retour sur investissement est généralement intangible. Je suis heureuse que notre conseillère d’État Nathalie Fontanet ait convaincu l’ensemble du collège gouvernemental de mener des projets pour changer le quotidien du personnel de l’État. Lors de son entrée en fonction en 2018, elle a fait ajouter «et des RH» au titre du département des finances. Travailleuse, avec une forte personnalité, elle est très convaincante dans ses prises de parole. C’est une grande chance pour nous de pouvoir bénéficier de sa vision politique.

L'amour des chiffres et du vin

Coralie Apffel-Mampaey Diplômée de HEC Paris et expert-comptable, Coralie Apffel-Mampaey commence sa carrière dans le conseil (avec des missions d’organisation notamment chez Canal+ et France Telecom). Elle devient ensuite directrice financière de plusieurs start-ups. Relocalisée à Londres, elle entame des études d’œnologie à la Wine & Spirits Education Trust (WSET) et commence une deuxième carrière comme Wine Educator. Elle arrive à Genève en 2007 et travaille d’abord pour MSCI (Morgan Stanley Capital International) pendant deux ans. En 2010, elle intègre l’État de Genève à la direction générale des finances (comme directrice finances et comptabilité).

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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