Le coronavirus aurait pu nous guérir de la réunionnite
Dans le contexte de la pandémie, les réunions virtuelles ont démontré leur efficacité, mais les agendas ne sont pas soulagés pour autant. Certains experts observent des cas de «zoom burnout»!
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Quand il parle de la pandémie du coronavirus, Michel Kalika, président du Business Science Institute (BSI), au Luxembourg, parle de «chance inespérée» pour améliorer les pratiques managériales. Dans un ouvrage collectif intitulé Les impacts durables de la crise sur le management, publié aux éditions Management et Société en novembre 2021, il pointe plus précisément le développement du travail à distance et des réunions virtuelles.
Bien avant la pandémie, la multiplication des réunions physiques était déjà connue comme une plaie. Trop souvent, vous vous retrouvez assis autour d’une table à devoir écouter des digressions interminables et vous finissez forcément par tapoter des SMS sur votre téléphone portable, dans une tentative désespérée de tuer le temps. Les coûts financiers des réunions inutiles, mal préparées et mal conduites ont été estimés à 32,5 milliards pour les entreprises suisses et à près de 540 milliards au niveau mondial, selon une enquête internationale réalisée par le site web de planification Doodle. Incluant plus de 6500 travailleurs, elle a révélé que les Suisses passaient en moyenne cinq heures par semaine en réunion, soit trois heures de plus que les Allemands, les Anglais et les Américains. Mais surtout, deux réunions sur trois leur semblent superflues.
Une séance sur deux improductive
Selon une autre étude, publiée en 2017 par l’Institut Opinionway pour le cabinet de conseil d’entreprise Empreinte humaine, le temps passé en réunion serait de trois à six semaines par année. L’échantillon comprenait un millier de salariés d’entreprises de différentes tailles, dans des secteurs économiques variés. Presque une séance sur deux leur semble improductive et plus de 25% d’entre eux ne voient d’ailleurs pas la nécessité d’y participer. Les conséquences sont un sentiment de perte de sens, une démotivation et un désengagement.
Néanmoins, il y a de l’espoir. Dans un ouvrage précédent publié en 2020, Michel Kalika relevait que l’introduction imposée du télétravail pour lutter contre la pandémie avait permis aux entreprises de vérifier l’efficacité des réunions virtuelles. Il ajoutait même, avec une certaine ironie, que le virus du Covid-19 avait réussi là où les experts en technologies de l’information et de la communication avaient échoué. «De toute évidence, l’interdiction légale de se déplacer et l’injonction hiérarchique de rester chez soi peuvent s’avérer au moins aussi efficaces que les séminaires de formation [pour promouvoir le management à distance]», écrivait-il dans ce livre couronné par le prix de l’Académie des Sciences commerciales, et dont la revue HR Today s’était déjà fait l’écho.(1)
Management à distance salué
Dans le présent ouvrage collectif, rédigé par un important collectif du Business Science Institute (BSI) dont la mission est de former des professionnels à la pratique de la gestion, Michel Kalika confirme les effets bénéfiques du Covid-19 sur la réunionnite. «Alors qu’on a longtemps considéré la supériorité des réunions en face à face, les pratiques distantes imposées par les mesures de confinement ont montré leur efficacité tout d’abord en tant que second choix temporaire, puis comme une solution alternative durable», affirme-t-il. Les entreprises interrogées par le collectif reconnaissent, «parfois avec réserve et parfois avec gêne», les bénéfices du management à distance. L’innovation, en particulier, semble profiter de l’effet stimulant des rencontres informelles type «Apéro Zoom» et «Café Skype», ainsi que du développement des «nouveaux espaces collaboratifs» (NEC). D’ailleurs, une majorité de collaborateurs a l’intention de demander à pouvoir continuer à télétravailler et pense que ce sera accepté par l’employeur.
Les avantages des réunions à distance sont divers. D’après Michel Kalika, le premier s’apprécie sur le plan de la ponctualité: «Il faut reconnaître un progrès collectif très significatif de ce point de vue.» Avant la pandémie, les retards étaient fréquents et on les considérait comme le signe valorisant d’un emploi du temps surchargé. «Je n’irais pas jusqu’à dire que l’immunité collective est acquise en matière de ponctualité, mais il est incontesté que la contrainte de la connexion technologique a généré des habitudes très bénéfiques en matière de respect des horaires.» L’observation d’une centaine de réunions via Zoom ou Teams lui aurait permis de constater seulement deux petits retards d’une durée supérieure à cinq minutes.
Séances plus courtes et sans frais
Deuxième intérêt du virtuel: les séances sont plus courtes. Le fait de devoir fixer une plage horaire bien délimitée pour la connexion incite apparemment les organisateurs à en réduire la durée. L’effet de la technologique ne «semble pas neutre sur ce point». Michel Kalika cite un troisième avantage: des économies notables sur les frais de déplacement et des progrès dans la maîtrise des solutions digitales depuis le début de la pandémie. La prolongation de la crise sanitaire a conduit les organisations et leurs salariés à se familiariser avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), de sorte que l’efficacité pratique des outils a probablement augmenté depuis le début de la pandémie: «De nouveaux usages se sont mis en place de façon fonctionnelle.»
Dans un autre ouvrage fraîchement publié, la consultante Sarah Proust estime que le bureau devrait être réservé dans la mesure du possible aux réunions de travail et à la socialisation, et adopter le télétravail «pour ce qui relève de la réflexion et de la production». Elle s’appuie notamment sur les résultats d’une étude conjointe de l’Institut français d’opinion publique (IFOP) et de la Fondation Jean-Jaurès, et sur une série d’entretiens qui lui ont fourni de la matière pour son livre intitulé Télétravail: la fin du bureau? (Jean Jaurès/L’Aube, octobre 2021). Le challenge consiste à trouver un équilibre entre la nécessité de faire confiance aux collaborateurs et le besoin plus ou moins justifié de les contrôler. Michel Kalika ne dit pas autre chose. Ses travaux suggèrent clairement que s’il a fallu attendre une pandémie mondiale pour que le travail à distance et les réunions virtuelles commencent à entrer dans les mœurs, c’est peut-être parce que les entreprises avaient du mal à «lâcher» leur tendance au contrôle.
«La réunionnite a-t-elle des chances de se réduire durablement sous l’effet des nouvelles et bonnes pratiques adoptées pendant cette crise?», se demande finalement Michel Khalkha. D’un côté, on pourrait penser que oui. «Nous avons pu observer, dans plusieurs organisations, que les managers qui auraient préalablement organisé une réunion en face-à-face marquaient leur préférence pour une réunion à distance.» Ce choix serait essentiellement motivé par l’efficacité du virtuel et les économies de frais de transport.
Apparition du Zoom burnout
Mais les managers réussiront-ils à ne pas multiplier à l’excès les réunions à distance? «On peut en douter, si l’on observe l’agenda de certains managers enchaînant les réunions distantes comme ils enchaînaient les réunions en face à face. La question qui se pose alors est de savoir si dans certains cas, la réunion est un moyen de coordination ou une finalité visant à remplir l’agenda», réfléchit Michel Kalika. Le naturel revient toujours au galop et risque de déplacer le problème, au lieu de le résoudre.
Déjà, l’agence digitale Quartz dénonce l’apparition d’une nouvelle forme d’épuisement, appelée Zoom burnout, imputable à «l’acharnement des réunions à distance à l’ère du Covid-19». «Le passage en téléréunion ne règle pas le problème de la réunionnite qui empoisonne certaines organisations», lit-on sur son site. «La réunionnite aiguë, effet secondaire de la pandémie», titre de son côté le journal The Economist, qui reprend un article de la rédaction Challenges.fr, selon lequel la multiplication des réunions en ligne donne du travail supplémentaire aux télétravailleurs (+30%). Louis Vareille, ancien cadre dirigeant de Danone devenu conseiller en réunion, c’est-à-dire «réuniologue» (cela ne s’invente pas!) confirme: «Certains se rassurent en multipliant les réunions.»
(1) https://www.hrtoday.ch/fr/article/le-covid-19-un-crash-test-pour-le-management- et-les-rh
https://onezero.medium.com/zoom-burnout-is-real-27e6938d0e1f
https://qz.com/work/1837095/remote-meetings-in-the-covid-19-era-are-relentless/
https://www.lenouveleconomiste.fr/lenfer-des-reunions-63952/